Le pharmacien
C'était un jeune homme
dont les yeux bleus-gris illuminait un visage mangé par une barbe
très forte. Il semblait un peu hésitant, voire un peu timide tout
en dégageant ce genre de charisme très rare qui vous colle au
plancher. Pas un charme à caractère sexuel, non, le genre de charme
des leaders naturels qui le portent sans trop le savoir et peuvent
avoir une grande influence sur leur entourage. Il portait un de ses
survêtements confortable, d'un gris clair, comme d'autres auraient
arboré un habit cravate. En somme, il ressemblait à n'importe quel
jeune universitaire qui fréquente le Marché Jean-Talon.
Il voulait avoir des
livres sur des médicaments, quelque chose de récent, car disait-il,
il était pharmacien et que les normes ici n'étaient pas
nécessairement celles auxquelles il était habitué. Durant le bref
moment qu'aura duré notre rencontre, j'ai eu l'occasion d'apprendre
beaucoup sur lui. Il semblait très gêné de ne pas maîtriser
parfaitement le français, et s'excusait constamment d'avoir à
utiliser des mots bien simple en effectuant des rallonges de langage
pour exprimer ce qu'il avait à dire.
Pour ma part, je trouvais
son français plus que convenable, ayant eu maintes fois à discuter,
surtout dans cette nouvelle succursale, avec des gens qui ne savent
que dire « s'il-vous-plaît » et « merci » et à
peine s'exprimer en anglais. Je savais qu'il existait un livre qui
répondait à peu près à ce que le jeune homme cherchait et j'avais
été tout à fait surprise de le trouver en rayons étant donné que
c'est un ouvrage très spécialisé et ce genre de volume n'est pas
coutumier des très petites succursales, comme la mienne.
L'édition présentement
en circulation datant de 2006, le client craignait un peu que les
données qu'il contenait ne soient pas tout à fait assez à jour
pour ses besoins. J'avais beau lui dire que c'était largement encore
utilisé dans les facultés de médecine, il restait dubitatif. Et
comme tous les ouvrages de ce genre, il était cher. C'est finalement
le prix qui l'avait décidé à ne pas l'acheter, et qu'il m'avait
expliqué qu'en tant que réfugié Syrien, il n'avait vraiment pas
les moyens de dépenser une telle somme pour un livre.
J'avais été saisie. Je
lui avais alors demandé depuis combien de temps il parlait le
français. Il avait ri avant de rétorquer, qu'il essayait bien fort
de parler ma langue depuis un peu plus d'un an. Il était arrivé par
le parrainage d'une communauté religieuse, ou quelque chose s'en
approchant, et n'avait jamais dit un mot en français avant février
2016. Il me répétait sans cesse que le français était si
difficile et recommençait à s'excuser de le massacrer à tout
vents.
Moi, je restais ébahie.
Qu'un jeune homme ait pu apprendre à se faire si bien comprendre
dans une langue très éloignée de celle qu'il avait parlé toute sa
vie, sans jamais utiliser ne serait-ce qu'un mot en anglais,
utilisant plutôt des synonymes à sa portée, me laissait pantoise.
Je ne sais pas de quoi
son parcours parmi nous sera fait, mais sincèrement je souhaite
fortement qu'il réussisses ses études ou ses équivalences pour
devenir pharmacien ici. Parce qu'une personne comme celle-là mérite
pleinement d'avoir un avenir fait d'autre chose que de petites
misères et autres stigmatisations qui sont le lot de beaucoup de
personnes fraîchement immigrées, malheureusement.
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