dimanche, juin 04, 2017

Le pharmacien

C'était un jeune homme dont les yeux bleus-gris illuminait un visage mangé par une barbe très forte. Il semblait un peu hésitant, voire un peu timide tout en dégageant ce genre de charisme très rare qui vous colle au plancher. Pas un charme à caractère sexuel, non, le genre de charme des leaders naturels qui le portent sans trop le savoir et peuvent avoir une grande influence sur leur entourage. Il portait un de ses survêtements confortable, d'un gris clair, comme d'autres auraient arboré un habit cravate. En somme, il ressemblait à n'importe quel jeune universitaire qui fréquente le Marché Jean-Talon.

Il voulait avoir des livres sur des médicaments, quelque chose de récent, car disait-il, il était pharmacien et que les normes ici n'étaient pas nécessairement celles auxquelles il était habitué. Durant le bref moment qu'aura duré notre rencontre, j'ai eu l'occasion d'apprendre beaucoup sur lui. Il semblait très gêné de ne pas maîtriser parfaitement le français, et s'excusait constamment d'avoir à utiliser des mots bien simple en effectuant des rallonges de langage pour exprimer ce qu'il avait à dire.

Pour ma part, je trouvais son français plus que convenable, ayant eu maintes fois à discuter, surtout dans cette nouvelle succursale, avec des gens qui ne savent que dire « s'il-vous-plaît » et « merci » et à peine s'exprimer en anglais. Je savais qu'il existait un livre qui répondait à peu près à ce que le jeune homme cherchait et j'avais été tout à fait surprise de le trouver en rayons étant donné que c'est un ouvrage très spécialisé et ce genre de volume n'est pas coutumier des très petites succursales, comme la mienne.

L'édition présentement en circulation datant de 2006, le client craignait un peu que les données qu'il contenait ne soient pas tout à fait assez à jour pour ses besoins. J'avais beau lui dire que c'était largement encore utilisé dans les facultés de médecine, il restait dubitatif. Et comme tous les ouvrages de ce genre, il était cher. C'est finalement le prix qui l'avait décidé à ne pas l'acheter, et qu'il m'avait expliqué qu'en tant que réfugié Syrien, il n'avait vraiment pas les moyens de dépenser une telle somme pour un livre.

J'avais été saisie. Je lui avais alors demandé depuis combien de temps il parlait le français. Il avait ri avant de rétorquer, qu'il essayait bien fort de parler ma langue depuis un peu plus d'un an. Il était arrivé par le parrainage d'une communauté religieuse, ou quelque chose s'en approchant, et n'avait jamais dit un mot en français avant février 2016. Il me répétait sans cesse que le français était si difficile et recommençait à s'excuser de le massacrer à tout vents.

Moi, je restais ébahie. Qu'un jeune homme ait pu apprendre à se faire si bien comprendre dans une langue très éloignée de celle qu'il avait parlé toute sa vie, sans jamais utiliser ne serait-ce qu'un mot en anglais, utilisant plutôt des synonymes à sa portée, me laissait pantoise.

Je ne sais pas de quoi son parcours parmi nous sera fait, mais sincèrement je souhaite fortement qu'il réussisses ses études ou ses équivalences pour devenir pharmacien ici. Parce qu'une personne comme celle-là mérite pleinement d'avoir un avenir fait d'autre chose que de petites misères et autres stigmatisations qui sont le lot de beaucoup de personnes fraîchement immigrées, malheureusement.

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