Allumer des étoiles
Il me semble que j'avais
quelque chose comme 11 ans, peut-être un peu plus. J'étais dans une
allée d'épicerie quand j'ai entendu, pour la première fois
Sunglasses at night. Je ne
sais toujours pas très exactement ce qu'il y avait dans cette
chanson, mais ça m'est tombé dessus comme une tonne de briques. Je
commençais depuis quelques temps à m'intéresser à la musique pop,
même si ce n'était pas une activité franchement recommandée à
l'école que je fréquentais. Mais, les voisinage n'allait pas à la
même école que moi et conséquemment je subissais son influence.
C'était l'époque où il fallait choisir entre Michael Jackson et
Boy George, celle ou une fille ne pouvait pas aimer Corey Hart et
Brian Adams. Je préférais Boy George, je le trouvais différent et
bien entendu, mon faible pour Corey Hart n'a fait que se développer
de plus en plus, jusqu'à ce que ce penchant devienne une source
d'amusement pour mon entourage.
Je
n'avais été voir la tournée Boy in the Box,
mes parents me trouvaient trop jeune pour un spectacle au Forum. Ils
avaient sans doute raison. J'avais cependant été immensément
déçue. Il n'était donc pas question que je manque le concert
suivant. Je ne me rappelle plus du tout du prix des billets, je sais
que la plupart de mes amis trouvaient que cet artiste était dépassé.
Mais, ma cousine et moi on était convaincues que c'était LE
spectacle à voir dans nos vies. Nous avions eu le droit d'y aller à
condition qu'un adulte nous accompagne et c'est ma mère qui s'y
était collée. Je me rappelle du spectacle, bien que vaguement.
Néanmoins, je sais que j'en suis sortie revigorée, émerveillée et
heureuse. Ceci étant dit, je crois que j'avais eu au moins autant de
plaisir à préparer cette aventure avec ma cousine à en parler des
heures et des heures au téléphone et à compter les dodos jusqu'au
jour J.
C'était
une sorte de rite de passage : la première grosse activité
culturelle que je choisissais de faire en dépit de l'avis de tout un
chacun, parce que j'en avais envie, parce que je voulais voir les
étoiles s'allumer moi aussi. Pas celles du ciel, celle de mes yeux
et de ceux de tous ces autres qui étaient présents ce soir-là. Je
mettais le premier pas dans mon indépendance d'être humain. Une
première étape dans l'affirmation de ma personnalité en
développement. J'aurais pu ne plus du tout aimer l'artiste en
vieillissant, il s'avère que cela arrive fréquemment de nos jour,
mais comme je suis une indécrottable fidèle, je n'ai pas encore
cesser de l'apprécier.
Ce
sont les réflexions qui me viennent, quand je pense au massacre de
Manchester. Je trouve odieux qu'on ait ciblé des jeunes filles en
fleurs qui ne voulaient rien d'autre que d'avoir l'impression de
faire partie, ne serait-ce que pour une seule seconde, de la vie de
l'artiste qu'elles aimaient de tout leur cœur. Elles voulaient,
elles aussi allumer des étoiles, devenir tranquillement une personne
à part entière.
Assassiner
des fleurs parce qu'on a peur de perdre un pouvoir qu'au fond on n'a
pas vraiment.
Je
saigne pour elles et pour toutes celles qui n'auront jamais la chance
d'aller voir ce type de concert parce que la peur aura tisser des
entraves à leur développement.
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