Comme un parfum d'indépendance
Fa que c'est ça. Pour la
première fois depuis belle lurette, je suis totalement indépendante.
J'ai vécu tant et tant d'années engoncée dans mes dettes, des
limitations liées à cet état de fait que je n'en avais presque
plus conscience, sauf que je savais bien que ces limites existaient
et que dans une certaine mesure, elles étaient de mon fait. Dans une
certaine mesure, parce que je peux affirmer que la dépression a
largement participer à creuser le tombeau de mes dettes :
j'étais à cette époque totalement incapable de travailler et à
fortiori de rencontrer mes obligations financières.
J'avais développé
toutes sortes de manières de faire afin de contourner mes
frontières, pour me donner l'impression qu'elles n'existaient pas.
En fait, j'ai appris à vivre selon mes moyens, ce qui, je le
suppose, est une bonne chose. Mon pêché de dépenses impulsives, le
seul que je n'ai ni cherché à tenir en laisse ni réussi à
diminuer, demeure la culture en générale et les livres en
particulier. Je me suis permis de voir des spectacles, malgré une
pauvreté certaine et n'ai jamais ajouter l'achat d'un livre à la
colonne de mes dépenses, malgré le fait que ça en ait été.
Et puis, dans cette
longue, très longue traversée, j'ai pu vivre, quelquefois, à
l'extérieur des limites qui m'étaient imposées. Grâces à des
amies qui m'ont aidée à voyager. En groupe tout d'abord, puis toute
seule. Mais sans elles, même si j'avais la possibilité de me payer
ces voyages, je n'aurais jamais pu partir. Parce que pour voyager, de
nos jours, ça prend une carte de crédit. Ce que je n'avais plus.
Oh, j'en avais bien eu, deux fois plutôt qu'une, mais j'avais cessé
d'en payer le solde quand je luttais pour survivre. Pas raisonnable,
pas responsable, c'est vrai. Mais bizarrement, je ne regrette
toujours pas les choix que j'avais fait à l'époque, peut-être
parce que j'ai du repartir au bas de ma propre échelle pour me
reconstruire toute au complet.
Ce printemps, mon
colocataire et moi avons, d'un commun accord, décidé que nous
allions casser maison l'an prochain. Sans heurts ni disputes à
l'horizon, simplement une écœurite aiguë de l'appartement des deux
côtés et une envie d'aller voir ailleurs, avec d'autres gens ou
seuls ce que la vie pourrait nous apporter. Par voie de conséquent,
je sais très bien qu'un voyage printanier ne sera pas dans mon
horizon des possibles.
J'ai donc décidé de
retourner à Cuba, toute seule, je commence à en avoir l'habitude et
surtout à y prendre un réel plaisir. Mais cette fois, j'ai pris ma
décision toute seule, magasiner sans avoir à en parler à personne
et payé, rubis sur l'ongle, cette première folle dépense depuis
que j'ai enfin acquis mon indépendance. Je ne suis pas excitée, ni
apeurée comme la première fois que je suis partie seule. Je n'ai
même pas tant besoin de vacances. Mais je crois que j'avais besoin
de le faire par moi-même, pour la première fois de ma vie. Comme si
j'avais pris la décision, plus ou moins consciemment, de porter un
parfum d'indépendance.
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