Papa est là
Des fois, moi, je
voudrais être presque grand. Il me semble qu'il y a tellement de
choses à voir, à vivre, à découvrir dans la vie, j'ai
l'impression de ne pas avoir assez de minutes de disponibles pour tout
apprendre ce que je voudrais apprendre, vite, vite, vite. Il m'arrive
donc de refuser obstinément de faire ma sieste. Sauf que je ne suis
pas encore tout à fait grand alors si je ne fais pas ma sieste,
après je suis pas mal moins de bonne humeur que d'ordinaire. Tout me
dérange et je pleure beaucoup. Pas longtemps, ça ne prend jamais
grand chose pour me changer les idées, sauf que je suis davantage un
rieur dans la vie qu'un grand pleureur.
L'autre après-midi donc,
je n'ai pas fait ma sieste. Alors quand on est allés rejoindre
Grand-mamie et Tatie au Club, j'étais un peu grognon. Pas assez pour
ne pas leur faire des saluts de duchesse de carnaval en les
apercevant de loin. Je suis toujours
content de voir Grand-mamie, et pas mal toujours content de voir
Tatie, je ne suis presque plus gêné dans les premières minutes
avec elle. Et puis, elle est tellement contente quand je lui dit :
« Tatie », je peux bien faire l'effort de ne pas être
trop gêné.
Je
pense que j'étais supposé faire des choses avec Grand-mamie et
Tatie, mais quand je suis fatigué et un peu grognon, c'est Papa que
je veux. Je veux faire tout ce qu'il fait, quand il le fait. Il est
si habile. Avec un grand bâton il sort des poissons de l'eau comme
par magie. Mais je n'ai pas le droit de toucher aux poissons. C'est
juste lui qui peut le faire et même si je lui dit : « Nanan,
Nanan! » Il ne me laisse pas même pas essayer. Alors je
pleure, pleure, pleure, pendant une grosse minute en disant « Papa
est là, Papa est-là ». Grand-mamie dit que je verse des
larmes de crocodiles et elle m'amène faire d'autres choses super
intéressantes comme arroser des fleurs. Je suis super bon, même si
j'ai besoin d'aide pour transporter les arrosoirs quand ils sont
pleins. Mais quand je m'érafle le pouce, il y a juste Maman pour
soigner ma douleur, je coure vers elle en disant : « Bobo
maman, bobo ». Alors elle me fait des bisous doux qui effacent
tout.
C'est
bizarre, parce qu'il n'y a pas beaucoup de gens au Club. Je pense que
c'est parce que le grand bain il est brisé. L'eau est toute noire et
il est INTERDIT d'aller le regarder de près. Dès que mes petits pas
s'en rapprochent, j'entends des « Zazou, ne vas pas près de la
piscine! » alors je change ma trajectoire, toujours un peu
déçu.
On
est tous allés manger à la maison. Un peu tard pour mon petit
estomac. Je chignais encore davantage. J'étais bien content quand
j'ai enfin mangé mes patates et mon poulet. Mais les patates étaient
un peu salissantes, oranges et mauves, il fallait que Maman et Papa
me nettoient régulièrement les mains, je n'aime toujours pas
qu'elles soient sales. Mais quand je suis fatigué, j'ai moins
d'appétit, et plus envie de faire des folleries. Alors, je me
gargarise avec mon eau, tout en gardant une bouchée cachée et Maman
me dit avec sa plus grosse voix que je dois tout croquer sinon, elle
ira chercher la bouchée avec ses doigts et m'ôtera même mon eau.
La vie est terriblement injuste quand on pas encore vingt mois.
Après
mon bain, Grand-mamie et Tatie ont dit qu'elles devaient s'en aller
pour aller faire dodo. Je ne l'aurais jamais avoué, mais j'étais
presque soulagé qu'elles partent si tôt parce que je ne sais
vraiment pas comment j'aurais pu rester réveillé, même cinq
minutes de plus.
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