Technicolor
La soirée était
fraîche, en tout cas, elle le semblait particulièrement après
plusieurs journées consécutives lors desquelles le mercure et
l'humidité se disputaient consciencieusement la première place dans
l'exaspération collective. J'avais eu la mauvaise idée de me
tromper en regardant l'horaire d'autobus dans un créneau qui n'était
pas pré-enregistré dans mon téléphone avec le résultat que
j'étais arrivée avec beaucoup trop d'avance au coin de rue ou
j'attendais impatiemment le passage du prochain transport.
Sauf que je ne rate
jamais une occasion d'observer mes congénères. Je ne fais même pas
exprès, l'oeil de l'observatrice est toujours à l’affût. Dans la
petite foule qui piétinait comme moi, il y avait deux femmes et une
petite fille qui devait avoir environ 3 ans. Elle était pétillante
de bonne humeur et sa seule présence faisait en sorte que mon temps
de patience imposé passait avec une vitesse acceptable. Je n'avais
pas l'intention de m'immiscer de quelconque manière dans leurs vies,
mais bon, je ne pouvais faire autrement que de capter des mots, de
ça, de là.
J'avais vite fait de
comprendre qu'il s'agissait d'une famille qui revenait d'une fête
d'enfant puisque la petite se tournait vers l'une et l'autre des
adultes en les appelant « maman Micheline » ou « maman
Louise » selon l'interlocutrice à laquelle elle s'adressait.
J'étais contente de voir cette aisance avec laquelle toutes les
trois vivaient publiquement leur réalité en espérant pour elles
que cette apparence de bien être était une réalité quotidienne
aussi tangible que l'image qu'elles m'en projetaient.
Une fois bien installée
dans l'autobus, j'étais assise juste devant une jeune femme qui
parlait au téléphone en espagnol à une vitesse folle, je n'avais
aucune idée de ce qu'elle racontait, mais le ton de sa voix laissait
entendre un taux de stress frôlant les azimuts des possibilités. Je
la sentait nerveuse, comme si c'était la toute première fois
qu'elle arpentait les rues de Montréal dans la nuit, ce qui était
en fait, peut-être le cas.
Je n'avais ni envie de
lire, ni envie de niaiser sur mon téléphone, alors je me laissait
baigner par la présence des autres. C'est ce qui m'avait permis de
voir entrer en scène le prochain personnage. C'était un jeune homme
de la fin trentaine qui avaient toutes les caractéristiques clichées
de l'Améridien des légendes : grand, élancé, souple, avec
une chevelure noire ébène lustrée. Sérieusement, ce gars-là
pourrait faire une fortune au cinéma américain seulement à cause
de son apparence extérieure. Mais ce qui me m'amusais beaucoup,
c'était sa tenue vestimentaire : il était habillé en cow-boy
de pied en cap.
Et sitôt grimpé dans
l'autobus, il était venu serré bien fort dans ses bras la jeune
hispanophone qui paniquait derrière-moi avec autant de sourire dans
la voix que dans son visage.
Moi j'avais l'impression
saugrenue de vivre la finale d'une film romantico-mocheton en direct
et je me disais que ça promettait de jolies rêveries pour me bercer
avant de m'endormir.
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