Plus ça change, plus c'est pareil
Voix féminine : «
Arrête de me dire que je suis folle, tu dis toujours que je suis
folle. »
Voix masculine :
« Tu capotes pour rien, tu ramènes toujours tout à toi quand
ça a pas rapport. »
En réalité, ils ne
parlent même pas si fort. Juste assez cependant pour me tirer du
sommeil et me plonger du même élan au cœur de leur vie très
privée. Je ne sais pas qui ils sont ni de quoi ils ont l'air. Je
suppose que la voix féminine est celle de la nouvelle locataire du
logement au dessus du mien et je les imagine jeunes, début vingtaine
si je me fie aux voix, et sans aucun doute un peu beaucoup pompettes.
Je n'ai pas envie de me
lever, même si évidemment, ma vessie commence à se rappeler à mon
bon souvenir, parce que je sais d'expérience que si je me lève, il
me sera plus difficile de me rendormir. On est au cœur de la nuit,
il fait noire, mes deux tourtereaux ont dû fermer un bar quelconque
avant que le jeune gentleman ne raccompagne ma voisine à la maison.
Je garde donc obstinément les yeux fermés et tout en tentant de me
fermer les oreilles.
« C'est pas vrai
que ça avait pas rapport! Elle venait de dire que sa mère lui paie
sa carte opus, ça avait rapport en hostie! Et puis va-t-en
donc, on tourne en rond dans notre conversation, on s'en reparlera
demain. »
La voix masculine
s'éloigne, je n'entends plus bien ce qu'elle dit et la fille lui
répond en hurlant et en grimpant ses escaliers au galop: « Arrête
de dire que je suis foll-E! »
De mon lit, je soupire et
me résous à aller aux toilette, au passage, j'allume ma lampe de
chevet pendant que la voix masculine se rapproche et s'arrête au
milieu d'une phrase pour s'exclamer : « Shit, on a
réveillé tes voisins, j'm'en va. »
J'ai fait mes ablutions
et suis revenue m'étendre dans un calme plat. Je n'ai même pas
entendu la fille du dessus marcher, je dois dire que je ne l'ai
jamais entendu se déplacer en haut depuis son arrivée non plus. Si
la chicane sous mes fenêtres me rappelait tristement l'ancienne
voisine, pour le reste je lui accorde sans hésiter une série
d'étoiles bien méritées dans le savoir vivre générale, l'épisode
sus-mentionné en étant témoin.
Mais cette discussion me
rappelait surtout une jeune Mathilde dans la vingtaine qui tirait
souvent le diable par la queue et enviait régulièrement celles et
ceux de ses ami-e-s qui l'avaient un peu plus facile, même si
j'étais tout à fait consciente que ma situation était
principalement due au fait que j'avais choisi de partir jeune de la
maison et d'être indépendante. Mais entre un rêve d'indépendance
et les prisons de ma pauvreté, il m'arrivait régulièrement d'avoir
des fuites de perception, mettons.
J'ai fini par me
rendormir, sans avoir le courage de bouger assez pour éteindre ma
lampe de chevet en me disant qu'au bout du compte la vie, plus ça
change, plus c'est pareil.
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