Rêver l'été
Février : Quelque
part, à Montréal, dans une rue enfouie sous la neige, le cœur d'un
homme manquait un battement. Ce soir-là, l'appartement était devenu
trop grand, même si, dans la réalité, il y avait déjà quelques
semaines qu'il en était devenu l'unique occupant. Frappé par une
grosse dose de réel, un peu en retard sur sa propre actualité.
Comme s'il avait fallut tout ce temps pour comprendre et réaliser
l'étendue de l'absence. Comme s'il avait fallut autant froid au
dehors pour se rendre à l'évidence de celui qui lui gelait les os.
Des lambeaux de douleurs qui s'échouaient sur les plages de février,
plus féroces parce qu'il ne savait même pas, un jour avant, qu'une
telle douleur pouvait exister. Il s'était alors laisser aller à
écouter le cri silencieux et puissant de son cœur qui aboyait une
détresse aussi infinie qu'insondable sans savoir si, un jour,
quelqu'un la percevrait.
Mars : dans le fond
d'une ruelle, un couple et leur chien tentaient tant bien que mal de
tromper le froid en se collant les uns aux autres, protégés par de
minces couches de carton pas tout à fait étanches. Le plus dur,
pensaient-ils, c'étaient les regards torves que leurs lançaient les
habitants du secteur, cette petite dose de mépris qui jalonnait leur
quotidien.
Avril : les ciels
menaçants de novembre s'étaient trompés de saison et prenaient
tout l'espace disponible. Une femme se battait contre les moulins à
vent des problèmes de communication qui sans être jamais vraiment
fondamentaux sapaient confiance et air d'aller. Rien de vraiment
dramatique, mais la perpétuelle aiguille au talon qui l'empêchait
juste assez d'avancer pour qu'elle ait une envie farouche de
retourner de là où elle venait, tout en sachant pertinemment que la
guerre civile était sans doute bien pire que sa situation actuelle.
Mai : dans des dizaines de
maisons inondées, des gens s'affolaient voyant toute leur vie
s'effriter dangereusement sous l'influence de l'eau. Ils avaient beau
crier, hurler, tempêter, rien ne pouvait faire en sorte qu'ils
seraient remarqués ou écoutés davantage parce que les besoins
étaient si nombreux. Comme si dans ce cas précis, la loi du nombre
jouait en leur défaveur. S'ils faisaient les premières pages des
journaux pendant quelques jours, ils savaient bien que c'était pour
être mieux oubliés quelques instants plus tard. Ils prenaient la
mesure du fait que la compassion généralisée n'a, en fait, qu'un
temps très court, même si le désastre se produit, presque dans
notre cours.
Juin : Sur le quai
d'un métro, un bandit cravaté, jouait au poker sur sa tablette
pendant qu'il discutait d'une transaction louche concernant une fille
sans aucune discrétion. Comme si son petit manège absolument pas
subtil, n'avait rien de violent.
Juillet : malgré
les auspices d'orages, dans un univers champêtre au cœur de la
ville, malgré tout, les membres d'une famille élargie avaient
décidé de braver les devins et de faire semblant que l'été
pouvait exister cette année. Une toute petite moisson de paix et de
bonheur en dehors de la saison des fêtes où il devenait un peu plus
ardu à chaque année d'en rapailler toutes les parties. À eux tous
ils avaient célébré juste assez l'été pour que ce dernier, se
décide enfin à arriver.
En tout cas, c'est le
rêve que j'en ai.
Libellés : Sur la frontière du réel