Précéder la tempête
Lundi dernier, les
nouveaux résidents de l'hôtel parlaient d'un ouragan en formation
dans l'océan Atlantique. Rien que de bien normal, on est en pleine
saison et je le sais depuis longtemps. Je suis bien consciente que
cela participe au fait que les voyages en solo soient si abordables
dans les les Antilles à cette période de l'année. Il y a deux ans,
j'avais vu de loin la queue d'un ouragan qui avait touché l'île
d'Hispaniola, Haïti plus particulièrement, je n'en avais eu qu'une
conscience approximative. Donc, lorsqu'on m'a parlé de cette
tempête, j'ai haussé les épaules avec une certaine nonchalance, ne
me sentant pas tant que cela concernée.
Et pourtant, je l'étais.
Mais en bonne petite égocentrique, mon plus gros souci en ce lundi
torride sous le ciel cubain était de ne pas pouvoir profiter de la
plage en ce dernier jour de voyage parce que le vent était un peu
plus fort qu'à l'habitude et que le ciel était nuageux. J'avais
tout de même pu passer l'après-midi sur mon transat à terminer la
série que j'avais entamé quelques jours plus tôt.
J'avais quitté l'hôtel
et sa magnifique plage à l'heure des poules avec un petit serrement
au cœur, parce que je savais laisser derrière moi des gens
formidable et une belle semaine de farniente qui m'avait beaucoup
reposée. À l'aéroport, les messages sur les écrans concernant les
arrivées et départs étaient bizarres, cependant mon avion s'était
pointé à l'heure, déposant un lot de voyageurs avant de nous
prendre à bord. J'avais souri dans ma barbe imaginaire en me disant
que c'était Cuba, et j'avais chassé toute inquiétude de ma petite
cervelle.
Je n'avais réalisé
l'ampleur de ce qui se développait qu'à mon arrivée à l'aéroport
de Montréal, parce que j'avais des messages d'une amie qui me
demandait comment j'avais survécu à Irma. Je n'avais aucune idée
de ce dont elle me parlait. Mais j'ai illico envoyé un message à ma
mère pour lui dire que j'étais de retour, en un morceau, parce que,
même en toute ignorance de cause, je me doutais bien que son cœur
tout maternel, s'inquiétait pour moi. À ce moment, l'aéroport
était tellement plein que nous avions pris un transbordeur pour nous
rentrer dans l'aérogare. Il va sans dire que les douanes étaient
bondées. Normalement, entre mon arrivée à l'aéroport et le moment
où je mets la clef dans la porte, il s'écoule environ 1h30. Ça
m'en avait pris le double, mais au bout du compte, j'étais arrivée
à mon domicile sans heurts.
J'avais alors allumé la
télé et vu la dévastation. Je n'ai pas vu d'images de l'hôtel où
je résidais, mais les vagues, hier, atteignaient 7 mètres sur la
côte où j'étais mardi matin. Ça donne froid dans le dos. Je me
compte chanceuse, tous les copains de voyage sont de retour au
Québec. Mais j'ai le cœur sous pression pour tous les autres qui ne
sont pas rentrés même si je ne les connais pas. Et surtout,
surtout, je me sens concernée par les milliers de Cubains dans leurs
îles dévastées. Je les ai rencontrés, j'ai fait des blagues avec
eux, j'ai vu leurs maisons fragiles à travers les vitres des
autocars de touristes et je connais leur joie de vivre collective,
malgré tout.
Ce soir, j'ai
l'impression d'être une rescapée vraiment très chanceuse
simplement parce que je vis du bon bord de l'Amérique.
Décidément, la vie est
beaucoup trop injuste.
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