jeudi, août 17, 2017

Ville-Marie Janis

Les premières fois lors desquelles je l'avais entendue parler, je croyais que c'était un homme. À cause du timbre de sa voix, mais du rocailleux abrupte aussi que celle-ci portait. Et il y avait une puissance dans la portée qui ne me laissait que peu de doutes. En réalité, sa voix ressemble énormément à celle de Janis Joplin à la différence près qu'elle chante incroyablement faux.

Je crois que j'ai mis quelque chose comme trois ans avant d'associer le bon visage à cette voix. Je l'entendais souvent la nuit surtout ou au petit matin. Je savais que c'était un personnage nocturne, de ceux qui font les histoires parce qu'elle portait une partie de la misère de Montréal dans ses récits. Je la savais prostituée, mais il était fort probable dans l'environnement que ce soit un prostitué. Ils existent, et sont d'ailleurs passablement nombreux dans les environs.

Je n'avais fait le bon lien qu'un soir où je revenais d'un souper chez une amie et que j'avais pris le raccourci par le parc devant la maison. Elle y était, dans un état lamentable. Minuscule en hauteur comme largeur, mais elle prenait toute la place. Elle était arrogante, batailleuse, vindicative et vulgaire. Tout en un. Elle m'avait alors haranguée sur je ne me rappelle plus quel sujet, ce qui n'avait, au fond, aucune espèce d'importance, puisque puisque je l'avais dérangée en traversant son territoire et que le reste ne comptait pas tellement.

Cette fois-là, j'avais eu peur. Peur de cette colère immense, de la violence qui l'habite, de ce qu'elle aurait pu me faire ou des chiens (humains) qu'elle aurait pu lancer sur moi, simplement parce qu'elle ressentait le besoin d'affirmer que la seule femelle alpha du secteur c'était elle.

Elle ne fait pas bon voisinage avec les commerces du quartier. Elle vole souvent, dans les épiceries où les dépanneurs. Et lorsqu'elle est confrontée à ses propres actes, elle se met dans des colères noires et traite tout le monde de fou, particulièrement lorsque ses interlocuteurs sont de vieilles personnes qui n'ont pas grand chose à lui opposer. Les policiers la connaissent. Ils l'embarquent et la débarquent régulièrement. Il arrive parfois qu'elle s'absente pendant plusieurs mois. Mais elle revient toujours camper dans la cours du HLM voisin, hiver comme été avec ses jeans d'enfants et sa vieille casquette des Expos trois fois trop grosse pour sa tête. Jusqu'à la prochaine fois où elle sera prise pour on ne veut même imaginer quel délit.

Elle fait partie de ces êtres, prématurément vieillis qui ont tout contre eux. La vie ne lui aura pas été simple. Un voisin m'a d'ailleurs récemment raconté qu'elle ne mangeait jamais rien d'autre que du pain blanc, pas souvent beurré, parce qu'elle prétendrait que la bière sustente davantage que n'importe quelle nourriture.

Ça en dit long sur la misère du monde, je trouve. Et surtout qu'il n'est nul besoin de laisser le regard porter dans des pays lointains pour la rencontrer.

Libellés :