Braderie de bisous
Le magasin était bondé,
je naviguais entre les cubes aussi bien que faire se pouvait afin
d'éviter toute collision impromptue avec des petits poucets qui
sortaient des peluches de leurs présentoirs à grands cris
d'exclamation ravis. Je venais tout juste d'enjamber un tapis de
dinosaures et de dragons qui rugissaient furieusement quand une
petite tête ornée d'une tuque rose s'était ruée sur mes jambes,
certaine, sans doute, que ces appendices étaient ceux de sa mère.
La maman, pour sa part, écoutait d'une oreille distraite une
discussion entre son conjoint et les parents de ce dernier tout en
gardant un œil vigilant sur sa fillette. En voyant la méprise, elle
avait entamé un geste pour se manifester à son enfant, mais je
l'avais précédée en dirigeant la petite, gentiment, dans la bonne
direction tout en lui remettant la tortue qu'elle avait laissée
choir dans la surprise de sa méprise.
Au moment ou la fillette
rejoignait son cercle, sa grand-mère lui avait dit : «
Tu veux la tortue? Mamie va te l'acheter », pendant que son
fils la suppliait de ne rien en faire. J'avais poursuivi mon chemin
sans trop me préoccuper de la discussion, somme toute très banale.
Sauf que, plusieurs minutes plus tard, j'avais surpris la grand-maman
demander un bisou à la petite que la petite lui refusait alors la
dame avait dit : « Si tu ne donne pas un bisou à mamie,
elle ne t'achètera pas la tortue ».
Ça m'avait choquée.
Parce que j'ai été une enfant qui n'aimait pas donner des becs et
qui me cachait dans les gardes-robes et sous les lits pour les
éviter. Comme on s'est moqué de moi à l'époque, qui a duré très
longtemps, me semble-t-il, de ma phobie des becs! Je ne peux pas dire
que je n'en avais cure, l'insistance généralisée me dérangeait
beaucoup. J'aurais voulu qu'on me laisse tranquille avec cette
histoire et que toutes les réunions mondaines ne soient pas des
épreuves de cache-cache, que je ne gagnais pas toujours.
Il va donc sans dire que
j'ai appris très jeune à dire non et à préserver mon affection
pour les personnes à qui je voulais bien la distribuer. J'ai même
encore quelques difficultés avec les gestes d'affection d'usage
commun, je suis toujours un « I » lors des premières
accolades, mais je me laisse apprivoiser beaucoup plus facilement que
naguère. Ceci étant dit, cela ne m'a pas protégée davantage que
les autres des vautours qui hantent nos société. Cependant, j'ai
eu souvent l'audace de mettre mes limites avec un homme qui me
faisait des avances qui n'étaient pas bienvenues et j'en suis fière.
Par ailleurs, la scène
que j'avais observée au magasin m'avait aussi choquée parce que je
suis convaincue que dans notre apprentissage collectif au vivre
ensemble, il faut que les enfants sachent qu'ils peuvent distribuer
leurs bisous et autres marques d'affection selon leur bon vouloir et
leurs envies. Qu'enseignons-nous aux petits si leurs gestes sont
bradés?
Au final dans cette
histoire, je peux vous dire que la petite a tenu son bout et n'a pas
été forcée de donner un bisou. Elle est partie sans tortue en
peluche, au chaud dans sa poussette, le pouce bien enfoncé dans la
bouche.
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