dimanche, octobre 29, 2017

La vie d'avant

Quand je suis sortie du lot, j'étais pas mal fière de moi. C'est qu'il y avait du Y dans le magma d'où je viens, vous n'avez pas idée. Mais je suis déjà têtue et décidée, assez en tout cas pour avoir su me frayer un chemin pour m'implanter dans le milieu que je m'étais choisi.

On était tant et tant à vouloir y arriver. La lutte serait féroce, on en était tous bien conscients avant même le départ. Et les Y adoptaient cette attitude qui me titille immanquablement l'orgueil, celle de ceux qui se savent démarrer avec un avantage sur le reste de l'humanité. Bon d'accord, dans l'historique de cette entreprise, ils avaient plus de chances que tous les X en présence. Ils le savaient et je le savais aussi. J'ai donc décidé de jouer mes cartes avec stratégie et minutie plutôt que de tout laisser tomber sur la table à la première occasion.

Je me suis mise en tête que j'étais aussi bien de voir l'épreuve comme une course de fond, rester le plus longtemps possible à l'arrière, quitte à presque me faire oublier, profiter de la vitesse et de l'énergie de ceux qui me précédait pour conserver la force de les délester et les dépasser dans les derniers mètres, histoire de passer la ligne d'arrivée en tête.

J'ai été récompensée de mes efforts plus que ce que j'aurais pu imaginer. J'ai trouvé un nid confortable et douillet. Oh, ce n'est pas spacieux, mais je n'ai pas tant le goût du luxe. Actuellement, un lieu sécuritaire et lumineux de l'intérieur me suffit pleinement. Surtout que de ma niche, j'entends les voix des personnes que j'aime déjà avec un genre d'écho qui me rassure. Je perçoit surtout une voix de femme, que je trouve immensément douce, elle fait vibrer mon cocon de toutes ses fibres, surtout quand elle chante. Mais aussi des voix un peu plus distantes, mais bien présentes; une voix d'homme basse qui résonne, une voix fluette de petit garçon et d'autres, qui m'intéressent, mais comme elles ne croisent pas mon environnement tous les jours, j'en garde des mémoires assez floues.

Je suis bien dans mon cocon, pas du tout prête à en sortir. N'empêche que je suis la première fille dans une famille de gars. De mon côté paternel en tout cas. Du côté maternel, c'est discutable, étant donné que mon grand frère est le seul membre de notre génération à exister. Je crois que c'est une bonne chose qu'il soit arrivé en premier, ça aura donné à nos parents une petite pratique avant que moi je pointe le bout de mon nez. Mais je n'allais quand même pas laisser tous les Y faire la loi dans cette famille sans y mettre mon grain de sel. Je pense qu'ils étaient vraiment prêts pour une petite fille.

C'est bien beau toutes ces considérations philosophiques, mais là je dois retourner à mon silence tout relatif, parce que je dois continuer à grandir et me former. Il me reste plusieurs pouces à prendre dans tous les sens et c'est beaucoup, beaucoup de travail pour un embryon de mon envergure.

Sachez, néanmoins, que j'ai bien hâte de vous rencontrer.

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