jeudi, novembre 02, 2017

Un brin de liberté

Sur le quai de la gare, il y avait ce couple, début vingtaine. Je les avais remarqués parce que le jeune homme n'arrêtait pas de parler dans une langue qui m'était totalement étrangère si ce n'était que je lui trouvais quelque chose de slave, sans pour autant pouvoir ni l'identifier ni la comprendre. À une heure où les passagers sont aussi peu nombreux que les trains, je ne pouvais m'empêcher d'entendre tout ce qui se disait et comme je n'avais aucune clé pour en saisir le sens, le long monologue me faisait un peu l'effet d'une berceuse.

Si ce discours n'avait aucun sens pour moi, je voyais bien pourtant, que les propos assénés étaient chargés de sens, parce que le ton était tout sauf monocorde. La jeune femme, pour sa part, tenait sa bouche fermée d'une bien étrange manière parce qu'en réalité, cela me donnait un peu l'impression de quelqu'un qui a une balle de ping-pong dans la bouche et ne doit pas ouvrir cette dernière au risque de faire tomber ladite balle. Comme si les lèvres étaient bien serrées, mais les dents ouvertes à l'intérieur. Drôle d'effet qui donnait un air maussade à la jeune personne.

Si elle n'intervenait pas, la jeune femme, pourtant, donnait toute son attention à son interlocuteur. Ils s'étaient assis face à moi dans le wagon presque vide qui nous avais cueillis à un certain moment. Alors même sans le vouloir, je ne pouvais faire autrement que de suivre le déroulement de la scène. Ils étaient du côté des quais, moi de l'autre. À toutes les fois où le train entrait dans un tunnel, le jeune homme s'animait de plus en plus, je le sentait fébrile et pendant un bon moment, j'avais l'impression que la jeune femme était froide, presque frigide.

Évidemment, je me trompais. Ils étaient sortis au bout de quelques stations et par un drôle de hasard, le train avait pris plus de temps qu'à l'ordinaire avant de reprendre sa route. J'avais alors pu voir la jeune fille tomber dans les bras du jeune homme, une fois sur le quai de leur destination, comme si elle venait d'être rescapée d'une noyade. Son corps devenant tout flasque, les jambes molles, c'était visible de mon observatoire.

Lui la regardait, l’œil fier et joyeux, socle immobile et fiable, le temps qu'elle reprenne le contrôle de se sens. Elle avait levé le regard sur lui, un regard mouillé, ému et victorieux. Elle avait alors craché un bout de chiffon et s'était exclamée, toujours dans cette langue que je ne peux interpréter avec une vivacité et une joie telles que le discours m'était soudainement devenu limpide : elle avait réussit.

J'avais été remuée de l'intérieur, parce que si j'ignorais d'où elle venait ni contre quoi elle se battait, mais elle me rappelait la Mathilde qui s'était accoudée sur le garde-fou de la Terrasse Dufferin afin de combattre le vertige jusqu'à en avoir le tournis. Un petit geste pour la plupart des gens, mais qui pour moi résonnait comme un air de liberté.

J'étais heureuse d'avoir été témoin de cet événement, ne serait-ce que pour me rappeler que chaque degré de liberté est une pierre d'assise dans la construction de soi.

Libellés :