jeudi, octobre 05, 2017

L'effeuilleuse

C'était une soirée de septembre qui se prenait pour une soirée de juillet. Montréal étouffait sous une canicule tardive et l'impatience était palpable parmi les usagers du transport en commun. Par chance, la foule était assez parsemée pour préserver un peu d'espace vital autour de tout un chacun. C'était, en tout cas ma réflexion en mettant les pieds dans un train Azur. Je n'étais pas sitôt assise que j'ai perçu un drôle de cri venant du centre du train. Toutes les têtes s'étaient tournée dans cette direction et nous avions pu voir une jeune femme qui avançait péniblement vers la tête du train, à coup de spasmes physiques et vocaux..

À chaque pas, elle poussait un cri aigu, douloureux, comme si elle était poignardée à tous les coups. Ses spasmes corporels pour leur part étaient violents et désordonnés. Si au départ, j'avais imaginé qu'elle était peut-être atteinte d'un syndrome de Gilles de la Tourette, il m'était vite apparu que c'était en réalité une femme sur un mauvais trip de quelque chose que je ne pouvais identifier. Je sais depuis longtemps qu'il vaut mieux éviter les contacts visuels avec des gens dans de tels états, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas de tous les quidams qui arpentent le métro de Montréal.

Ce soir-là, une femme discrètement voilée avait osé regarder la personne en crise dans les yeux et s'était fait copieusement invectivée sur un ton et avec des mots que je n'oserais pas rapporter ici. L'altercation n'avait duré que quelques secondes puisque la femme qui criait avait poursuivit son chemin jusqu'à un banc libre au bout du train, à quelques pas de moi. Une fois assise, elle s'était déchaussée, à cris forts, puis avait entrepris de se dévêtir, comme si quelque chose dans ses vêtements était la cause de son mal-être. En quelques instants, elle s'était retrouvée en petite culotte et en soutien-gorge et tirait sauvagement sur ses sous-vêtements, donnant l'impression qu'elle essayait à toute force de chasser un malaise physique.

Il va sans dire que cela créait une tension parmi les passagers qui essayaient tant bien que mal de l'ignorer. Nous étions plusieurs à nous dire (intérieurement) qu'il fallait aviser les équipes d'urgence. Mais ce n'est pas évident de le faire dans un train Azur parce que comme il n'y a plus de compartimentation, tout le monde entend les interventions avec le conducteur du train. À la station Laurier, un travailleur de la STM attendait pour prendre le train et une jeune fille l'avait informé de la situation avant qu'il ne monte dans celui-ci. Il avait choisi de passer son tour et était remonté à la guérite pour aviser les services d'urgence.

Ça avait pris jusqu'à Berri avant que les agents entrent dans le train que je quittais, calmes et détendus, visiblement bien préparés à l'intervention qu'ils devaient faire. Je n'étais pas restée pour voir la suite des événements, par conséquent, je n'en connais pas la conclusion.

Mais je revois la femme presque quotidiennement autour de mon travail, le visage marqué, le corps voûté par des conditions que je ne connais pas.

À toutes les fois, je suis triste, pour elle et je souhaite qu'un jour, quelqu'un trouve le moyen de lui tendre la perche qui lui permettrait de sortir de cet état-là.

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