L'effeuilleuse
C'était une soirée de
septembre qui se prenait pour une soirée de juillet. Montréal
étouffait sous une canicule tardive et l'impatience était palpable
parmi les usagers du transport en commun. Par chance, la foule était
assez parsemée pour préserver un peu d'espace vital autour de tout
un chacun. C'était, en tout cas ma réflexion en mettant les pieds
dans un train Azur. Je n'étais pas sitôt assise que j'ai perçu un
drôle de cri venant du centre du train. Toutes les têtes s'étaient
tournée dans cette direction et nous avions pu voir une jeune femme
qui avançait péniblement vers la tête du train, à coup de spasmes
physiques et vocaux..
À chaque pas, elle
poussait un cri aigu, douloureux, comme si elle était poignardée à
tous les coups. Ses spasmes corporels pour leur part étaient
violents et désordonnés. Si au départ, j'avais imaginé qu'elle
était peut-être atteinte d'un syndrome de Gilles de la Tourette, il
m'était vite apparu que c'était en réalité une femme sur un
mauvais trip de quelque chose que je ne pouvais identifier. Je sais
depuis longtemps qu'il vaut mieux éviter les contacts visuels avec
des gens dans de tels états, mais il semblerait que ce ne soit pas
le cas de tous les quidams qui arpentent le métro de Montréal.
Ce soir-là, une femme
discrètement voilée avait osé regarder la personne en crise dans
les yeux et s'était fait copieusement invectivée sur un ton et avec
des mots que je n'oserais pas rapporter ici. L'altercation n'avait
duré que quelques secondes puisque la femme qui criait avait
poursuivit son chemin jusqu'à un banc libre au bout du train, à
quelques pas de moi. Une fois assise, elle s'était déchaussée, à
cris forts, puis avait entrepris de se dévêtir, comme si quelque
chose dans ses vêtements était la cause de son mal-être. En
quelques instants, elle s'était retrouvée en petite culotte et en
soutien-gorge et tirait sauvagement sur ses sous-vêtements, donnant
l'impression qu'elle essayait à toute force de chasser un malaise
physique.
Il va sans dire que cela
créait une tension parmi les passagers qui essayaient tant bien que
mal de l'ignorer. Nous étions plusieurs à nous dire
(intérieurement) qu'il fallait aviser les équipes d'urgence. Mais
ce n'est pas évident de le faire dans un train Azur parce que comme
il n'y a plus de compartimentation, tout le monde entend les
interventions avec le conducteur du train. À la station Laurier, un
travailleur de la STM attendait pour prendre le train et une jeune
fille l'avait informé de la situation avant qu'il ne monte dans
celui-ci. Il avait choisi de passer son tour et était remonté à la
guérite pour aviser les services d'urgence.
Ça avait pris jusqu'à
Berri avant que les agents entrent dans le train que je quittais,
calmes et détendus, visiblement bien préparés à l'intervention
qu'ils devaient faire. Je n'étais pas restée pour voir la suite des
événements, par conséquent, je n'en connais pas la conclusion.
Mais je revois la femme
presque quotidiennement autour de mon travail, le visage marqué, le
corps voûté par des conditions que je ne connais pas.
À toutes les fois, je
suis triste, pour elle et je souhaite qu'un jour, quelqu'un trouve le
moyen de lui tendre la perche qui lui permettrait de sortir de cet
état-là.
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