Histoires de nausées
La dernière fois,
t'avais presque eu envie de crier victoire. Tu te disais que la
société commençait enfin à évoluer dans le bon sens. Les gens
pouvaient dénoncer et être crus; tu commençais à voir de la
lumière au bout du tunnel des non-dits. Et puis la réalité s'est
rappelée à ta mémoire, peut-être même à la mémoire collective.
La preuve hors de tout doute raisonnable ne donne pas beaucoup de
chances à ceux à qui ont a violenté la sexualité.
Et tu sais depuis
longtemps que de toute manière les victimes ont toujours tord, ou
presque. Il arrive parfois qu'on accorde aux enfants le luxe (si cela
puisse en être un) d'avoir une parole plus forte que le doute de la
culpabilité de l'accusé. Mais pour le reste, s'il n'y a pas mort
d'homme, ou de femme, les abuseurs s'en sorte plus souvent
qu'autrement avec une petite tape sur la main et pas grand chose
d'autre. Et puis il y a les délais de prescription et autres machins
dans le même genre qui ne sont rien pour encourager la dénonciation.
Anyway, à toutes les fois où tu penses à ce qui t'es arrivé, t'as
des hauts le cœur et des nausées sans aucune commune mesure avec le
bon sens.
Fa que tu t'es dit qu'il
fallait recommencer à zéro. Pour débuter discuter de féminisme
avec les jeunes personnes de ton entourage. Voir quelle sera la
réceptivité, parce que tu as souvent été renvoyée à tes oignons
par des femmes, des filles des hommes et des jeunes hommes qui te
soupçonnaient d'être juste une frustrée sexuelle qui ne s'assumait
pas quand tu te disais féministe. Pis ça, plus que n'importe quoi
d'autre, ça t'assassinait le courage et les tripes.
À ta très grande
surprise, cette fois-ci, tes idées, tes paroles,
tes questions ont été reçue différemment. Et t'as commencé à te
dire que si juste ça avait changé, peut-être que finalement, tous
ces constats d'échec avaient mené quelque part.
Et
puis, il y a un raz-de-marée de dénonciations d'abus sexuels et de
harcèlement qui s'est abattu sur Hollywood. Étrangement, la
première chose qui te soit passé par la tête c'est qu'ici, un
producteur, il y a des années, avait fini par être absout
d'accusations similaires parce qu'il était puissant. Alors tu t'es
dit que ce ne serait que feu de paille, comme bien souvent. Mais non.
Si la justice ne peut se rendre à elle-même et surtout pas aux
victimes, il semblerait que le poids du nombre finisse pas faire son
œuvre. Même si aucun des hommes présentement sur la sellette
n'était jamais reconnu coupables, leurs vies seront à tout jamais
modifiées.
Tu en
étais-là dans tes réflexions quand tu as lu le nom des trois
avocats qui allaient représenter le producteur hollywoodien :
un homme, deux femmes. Femmes qui vont aller décrédibiliser
d'autres femmes pour quoi? Notoriété? Pouvoir? Argent?
Et tu
t'es retrouvée en petite boule dans ton lit en te disant que tout
était encore à recommencer, sans savoir si tu aurais le courage de
refaire, encore, ce chemin de croix.
Il y a
des nausées plus fortes que d'autres.
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