Nouvelle entrée
Tu
es jeune, pleine de vie, il te semble que tout est devant toi et bien
peu derrière, même si du haut de tes vingt ans, il t'arrive de
parler avec nostalgie des années paisibles de ton enfance
confortable. Tu ressens la rage de vivre, de dévorer tout ce qui
t'es offert, le sommeil t'ennuie parce qu'il est synonyme pour toi de
temps perdu et tu n'es jamais aussi heureuse que dans de grands
rassemblements festifs, desquels tu deviens pratiquement toujours le
centre d'attraction.
Tu
as les nuits fastes et excessives, comme s'il fallait coûte que
coûte que tu les consommes jusqu'au bout pour que tu puisses ensuite
les raconter. Tu déboules régulièrement les escaliers, molle et
disgracieuse, en éclatant d'un rire mou et tu perds tout aussi
souvent ton téléphone dans les plates-bandes de tes voisins que tu
cherches en hurlant à qui veut l'entendre qu'on doit t'appeler pour
que tu le retrouves. Peut-importe au fond qu'il soit quatre heures du
matin. Tu suis la courbe de tes envies de tes élans.
Tu
trouves cependant beaucoup plus difficile de suivre le cours diurne
de ton parcours. Tes cours t'ennuient, ton travail aussi. Il te
semble que le Cégep soit un passage aussi insipide que l'école
secondaire avec tous ces cours de tronc commun qui ne te disent rien.
Pourtant, tu te refuses le moindre droit à l'échec, même relatif.
Tu as été élevée à performer; ta liberté d'ado se mesurait à
tes résultats scolaires et c'est comme encré en toi jusqu'à la
moelle des os. Petite pression auto-imposée qui finit par laisser
des squames aux endroits où elle frotte.
Pis
au travail, c'est pareil. C'est de l'alimentaire qui ne te définit
en rien. Mais tout t'atteint comme des balles en plein cœur, le
moindre commentaire qui pourrait avoir l'air négatif, les
changements d'horaires, d'équipier. Tout ça te donne l'impression
qui te concerne, toi et ta performance. Une autre petite pression qui
laisse elle aussi des marques.
Même
tes amours sont devenues pugnaces. Tu as la colère et la jalousie
prééminentes. Elles se jettent sur toi comme des louves affamées
et te laissent quotidiennement dans les limbes du doute. Toutes ces
choses font en sorte que lorsque tu poses la tête sur l'oreiller, le
sommeil ne vient plus, à moins que tu ne l'assommes en courant
jusqu'au bout de la nuit. Et le cercle recommence, tous les jours,
avec une pression un peu plus puissante à chaque lendemain parce que
tu la conscience aigue que non seulement tu te déranges toi-même
mais que tu commence à irriter férocement l'ensemble de tes
connaissances et de ton voisinage.
Et
tes pas de plus en plus lourds te mènent inexorablement à l'entrée
du pays des zombies. Il n'y a pas de formule magique pour t'en
détacher, il est là, présent et inéluctable. La seule chose que
tu puisses faire c'est demander de l'aide. Mais c'est probablement le
geste le plus difficile à poser quand on est jeune, pleine de vie et
d'allant et qu'on se dit qu'à cet âge, franchement, on ne peut pas
tomber.
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