jeudi, novembre 23, 2017

Les danseurs du métro

Dans un monde où le transport en commun n'a de commun que la densité de la population qui s'y agglomère chaque jour, la plupart des usagers s'y croisent sans faire attention les uns aux autres, le nez plongé dans un livre ou un appareil électronique, les oreilles occupées par des écouteurs ou un téléphone.

Il y aura toujours, bien entendu, quelques hurluberlus de mon acabit qui se fondent dans la masse, l'air aussi préoccupé par leur propre personne que faire se peut, mais qui en réalité portent leurs sens vers ce qui s'agite autour, au cas où il s'y passerait quelque chose. Évidemment, il y a aussi ceux qui passent d'un wagon à l'autre en tendant la main pour ramasser quelques sous. À mon avis, la plus grande qualité de ceux-là est de sortir les gens d'une espèce de transe apathique, même si je n'aime pas beaucoup devoir dire non en souriant à leurs demandes à toutes les fois qu'elles se présentent à moi.

Dans ces masses mouvantes il existe une forme d'irritation largement partagée, celle qui se produit quand un membre du groupe décide de faire partager à l'ensemble ses découvertes musicales. La plupart du temps, ce sont des jeunes qui écoutent une musique clinquante sur un téléphone que le haut parleur, poussé à son extrême limite rend grinçante et profondément désagréable.

Mais quelquefois, les observateurs du genre humain peuvent, assister à une certaine forme de magie. Quand, par exemple, un vieil homme, assis tout seul sur un banc au bout d'une station pratiquement vide, installe un vieux radio à batterie, tout droit tiré d'un film des années 1980 devant lui et décide de faire jouer une pièce interprétée par Frank Sinatra, comme pour envelopper le reste des usagers. Bizarrement, les tête se lèvent, regardent un peu dans toutes les directions pour comprendre d'où provient le son. Les quidams se regardent alors, tous autant qu'ils soient, un petit sourire aux lèvres.

Et puis quand la pièce glisse vers la prochaine pour devenir La valse à quatre temps de Brel, un couple, du même côté de la rame que le vieux monsieur, s'élance sur la piste longue, comme des oiseaux prêts à prendre leur envol. Ils sont élégants dans leurs mouvements, visiblement aguerris dans la pratique de cette danse, le dos bien droit, les pas assurés qui glissent sur les dalles usées de la station comme s'ils évoluaient au milieu d'une salle de balle, romantiquement éclairée.

Quand la musique s'achève, juste avant que le prochain train n'entre en gare, les applaudissements sont nombreux et nourris. Les danseurs se sont arrêtés devant l'animateur musical pour lui faire une révérence et celui-ci leur offre un magnifique sourire édenté.

Pendant ce temps, le public involontaire de cette démonstration est bien conscient d'avoir eu droit à un nouveau parfum de communauté.

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