Revers de conscience
Depuis des années que tu
suis l'actualité, ici comme ailleurs et récemment, tu t'es mise à
t'écoeurer toi-même tellement tu es rendue insensible à certaines
formes de violence. Depuis longtemps déjà, tu te heurtes aux
informations vite passées sur ces massacres de masse qui se passent
ailleurs, dans des lointains qui n'intéressent pas les masses d'ici
alors forcément elles sont plus ou moins relayées, on pourrait même
dire plus souvent pas relayées qu'autrement.
Cette indifférence
généralisée te pue au nez parce que tu sais que ce qui se passe
là-bas finira bien un jour par avoir des retentissements chez-toi ne
serait-ce que parce que les populations visées finiront bien un jour
par se mettre en mouvement pour rechercher un endroit où vivre est
plus clément, ou tout simplement possible, et que ces nouveaux
migrants viendront un jour ou l'autre grossir les masses déjà
conséquentes des humains en transit qui s'amoncellent aux portes des
pays dit soit riches, soit accueillants, soit les deux, mais qui ne
le sont pas toujours autant qu'on voudrait bien le faire croire.
Sauf que ta chape
d'indifférence s'est singulièrement raccourcie parce que tu t'es
surprise à tasser d'un revers de conscience une énième tuerie
s'étant déroulée aux États-Unis. En fait, ta première réaction
a été de te demander si cet événement allait interférer dans ta
soirée électorale municipale. Et là, vraiment, cette petite pensée
mesquine t'a fait mal à l'âme. Bon d'accord, l'exercice de
démocratie est important, mais on parle quand même ici de dizaines
de morts violentes d'un seul coup, et franchement, tu n'avais cure
des raisons qui pourraient d'être exposées. Parce que tu ne vois
pas le jour où les principaux intéressés remettront en question
pour la peine, le port des armes à feu.
Tu t'es sentie petite et
égoïste de te sentir à ce point indifférente aux tenants et aux
aboutissants de la chose. Surtout que ça devient de plus en plus
fréquent de ta part. Las Vegas, dernièrement, tu n'y a consacré
qu'une bien mince pensée, au bout du compte, quelques jours et puis
on change de sujet. C'est loin, c'est ailleurs, ce n'est pas chez
toi. Alors bien sur, tu t'es demandé quel genre de sociopathe tu
étais devenue si ces assassinats n'avaient plus ce qu'il fallait
pour te tenir éveillée la nuit.
Le pire, c'est que tu
sais pertinemment que quel que soit l'intérêt que tu portes à ces
événements, cela ne changera rien à leur fréquence, à leur
violence, à leur irréalisme. Tu n'es pas Dieu et tu ne peux pas
régler toutes les causes sociales simplement en y portant ton
attention.
N'empêche que la
nonchalance avec laquelle tu oublies de verser une larmes pour les
victimes et leurs entourages comme si rien de tout cela ne pouvait
jamais atteindre les limites de ton petit confort, n'a rien pour te
rassurer sur ta capacité à réellement vivre en société.
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