jeudi, décembre 14, 2017

Altesse

C'était l'année où j'ai commencé à travailler chez Renaud-Bray, il me semble. J'avais remarqué cette magnifique jeune femme très rousse et très enceinte. Elle portait un magnifique manteau bleu poudre d'une faction impeccable. Celui-ci était agrémenté de jolies broderies d'un blanc neigeux tandis que'une fourrure aussi immaculée ornait la chute des manche et le collet du vêtement. Ce qui était frappant avec ce personnage, c'était son port de tête tout à fait altier, du moins correspondait exactement à l'idée que je m'en faisais. Il se dégageait de sa personne une élégance certaine et un petit je-ne-sais-quoi qui la rendait remarquable. Dans ma tête, je l'appelais « l'Altesse Russe ».

Elle ne parlait ni français ni anglais et par conséquent, elle faisait son magasinage de Noël par gestes. À l'époque, elle achetait des tonnes de jouets et des bibelots. Je me rappelle de l'avoir servie à la caisse à un certain moment et elle avait tout payé en argent comptant, une facture de plusieurs centaines de dollars, ce qui ne faisait que confirmer le surnom que je lui avait octroyé.

C'est un souvenir qui date et qui serait sans doute resté enfoui quelque part au fond de ma mémoire si je ne l'avais pas vue surgir devant moi il y a quelques jours. Elle a toujours le même port de tête, et le même manteau magnifique. Il a l'air aujourd'hui aussi neuf qu'en ces jours lointains de mes souvenirs. Étrangement, elle a encore l'air très jeune, même si, évidemment elle a vieilli. Lors de notre dernière rencontre, elle était accompagné de trois enfants, dont la plus vieille était sa copie conforme et devait avoir une douzaine d'années.

Je ne pense pas qu'elle se souvienne de moi, de toute manière cela n'a aucune espèce d'importance. Elle venait faire un pré-magasinage, de livres cette fois. Elle parle tout à fait correctement le français, même si celui chante sous l'accent slave qui est difficile à manquer. Pendant la visite, les enfants, eux, discutaient avec beaucoup d'emphase, dans un québécois que l'on pourrait qualifier de pure-laine. C'était eux qui me demandaient des suggestions, des nouveaux livres qu'ils ne connaissaient pas encore, leurs yeux brillaient de plaisir quand je trouvais un petit nouveau quelque chose dont ils ignoraient jusqu'à cette minutes l'existence.

La maman, pendant ce temps, prenait des notes dans un calepin avec sa jolie plume fontaine simple, mais visiblement de très bonne qualité. Quand les enfants, sous le coup de l'excitation, se mettaient à s'épivarder un peu trop, elle leur lançait un regard sévère, mais affectueux et ceux-ci reprenaient le rang sans autre forme de procès

Et puis, un peu avant leur départ, la dame m'avait demandé si je n'avais pas sous la manche un roman pour elle, pour son propre plaisir de lire. Comme je le fais toujours, je lui avait demandé ce qu'elle aimait lire afin de bien cerner ses besoin. Elle m'avait alors répondu en souriant : « J'ai l'âme à Tolstoï madame. Est-ce que ça ne paraît pas? »

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