Charger la neige
Je suis une bibite
profondément urbaine. Je suis née et j'ai grandi sur l'île de
Montréal et il ne me serait jamais venu à l'idée d'aller
m'installer en banlieue, même si j'y ai travaillé. Si j'aime
beaucoup le bucolique des campagnes, je crois que je ne m'y sentirais
pas tout à fait à l'aise, au quotidien. Bien entendu, j'ai pris des
chemins de travers en Estrie lors de mes études universitaires,
n'empêche que je vivais toujours en ville qui, quoique de plus
petite dimension, demeurait une ville centre.
Je n'ai pas de permis de
conduire, ce qui fait que j'utilise les transports dits actifs depuis
toute ma vie. Je peux donc dire que j'ai vu bien des chaussées et
des trottoirs durant mon existence et par conséquence affirmer que
la rue Jean-Talon est l'artère commerciale la moins bien entretenue
qu'il m'ait été donné de fréquenter en plus de quarante ans de
pratique. L'hiver y est un calvaire et ça fait deux ans que je m'y
colletaille.
Après chaque chute de
neige, les bancs de neige sont laissés en bordure des trottoir
jusqu'au dernier jour du ramassage. Immanquablement. Ce qui fait
qu'au moindre redoux, les coins de rues se transforment en mare
glacées de slush. Ce qui ne rend pas l'endroit particulièrement
invitant pour les piétons, ce que je trouve très ironique étant
donné que la plupart des gens qui habitent ainsi dans le cœur d'une
ville aiment généralement se déplacer à pied dans leur quartier.
Bref, hier soir en
sortant sous une petite pluie d'hiver, j'ai rapidement pu constater
que les quelques mètres qui me séparaient du métro n'allaient pas
être du gâteau. Premièrement, les abrasifs avaient déserté
l'énorme plaque de glace qui menait du magasin à la station et
deuxièmement les mare de gadoue s'étaient transformées en
piscines, voire en lacs. Faisant un large détour sur la rue
Henri-Julien pour arriver à presque passer à sec, je suis restée
l'air bête au coin de la rue Drolet.
Là, rien à faire, toute
l'artère était inondée. Si je regardais du côté sud, l'eau
allait au moins jusqu'à la cinquième maison et du côté nord, eh
bien c'était la rue Jean-Talon. C'est quand même cette option que
j'ai suivie pour me retrouver gros-jean-comme-devant, de l'autre côté
de la rue prise entre les voitures stationnées, celles qui
circulaient et un énorme banc de neige qui tenait davantage de
l'iceberg que d'autre chose. À quatre pattes sous la pluie, j'ai
entrepris de l'escalader, manquant de me rompre le cou à plusieurs
reprises et vivant une peur certaine au moment de la descente vers le
trottoir en contre-bas.
Je m'en suis sortie d'une
seule pièce, le cœur battant d'un émoi dont je me serais bien
passé et en espérant de toute mon âme que la prochaine fois que
j'aurais à passer par là, le chargement de neige serait enfin
terminé.
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