jeudi, janvier 25, 2018

Des fois, j'ai peur un peu des fois

Ce n'est pas tant que je veuille m'acharner sur toi, mais dans le pays d'hiver que nous partageons, il me semble que je te vois davantage durant les périodes de froidure. Probablement que c'est lié au fait que pour te réchauffer tu t'aventures plus régulièrement parmi les masses, dans ces endroits ou grouillent les quidams qui se pressent vers diverses destinations.

Mon problème, tu vois c'est que tu as le chic de me faire un peu peur. Alors, forcément, dans de telles situations, j'ai tendance à être un peu plus sèche que je ne voudrais. Quand je te croise sur le coin d'une rue à 6h30 le matin, que le soleil n'a pas encore daigné montrer le bout de son nez, que les rues sont passablement désertes et que je suis une femme seule et toi un grand bonhomme qui me crie : « Madame, madame! » C'est plate, mais il y a des bonnes chances que je joue à celle qui n'a pas entendu.

Idem si on se croise autour de 21h30 sous un lampadaire brinquebalant et pas tout à fait fonctionnel. Non, je ne m'arrêterai pas. Parce que je sais que tu me demanderas de l'argent, un café ou je ne sais quoi d'autre et que je ne peux pas te donner tout ce que tu me demandes, plusieurs fois par jour, je finirais par ne plus pouvoir payer mon loyer. De toute manière, j'ai promis à quelqu'un qui a déjà vécu comme toi de donner beaucoup aux organismes et le moins possible aux mains qui se tendent en attendant la prochaine dose.

Je t'ignorerai tout autant si tu me cries après parce que j'ai baissé les yeux en te voyant allumer une cigarette dans un endroit interdit. Ce n'aurais peut-être pas été mon premier réflexe, d'ordinaire, je te regarde dans les yeux et je te salue, mais si tu te fâches la fois ou je ne le fais pas du premier coup parce que ta boucane me pique les yeux, il est probable que je change mon itinéraire dans les semaines qui suivent juste pour éviter de te croiser parce que tu es incroyablement fidèle à tes points d'ancrage.

Et si tu t'approches discrètement de moi sur une rame désertée, assez en tout cas pour que je puisses sentir ton souffle sur mon visage quand tu me demandes poliment si j'ai de l'argent à donner, il se peut que je me fige totalement et complètement avant de reculer de plusieurs pas. Il se peut aussi que tu interprètes mon recul comme du mépris ou quelque chose dans le même genre. Ce n'en est pas, c'est beaucoup plus platement de la peur.

Peur d'un certain inconnu, en partie, mais aussi peur de la perte de mon espace vital que tu as si bien piétiné.

J'aimerais vraiment ça ne pas avoir peur de toi, mais je me rends bien compte que suis incapable de m'en empêcher.

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