Comme une apparition
Selon ma bonne habitude,
j'avais les écouteurs vissés dans les oreilles et j'écoutais une
quelconque balado qui m'amusait. Devant moi, un couple se chamaillait
parce qu'ils avaient loupé l'arrêt où ils devaient descendre ce
qui semblait ulcérer la femme comme si l'erreur de repérage de
l'homme était un affront personnel. Je m'efforçais donc de ne pas
montrer que, malgré moi, je vivais les contre-coups de leur conflit
ouvert et je me réfugiais dans mes écouteurs.
J'étais donc sortie de
l'autobus avec un sourire aux lèvres et avais franchi les quelques
pas qui me menaient à la porte du bar d'une démarche assurée.
J'avais failli hurler quand une jeune femme était sortie de l'ombre
pour m'attraper par le bras. Je ne l'avais jamais vue de ma vie
tandis quelle me zieutait comme une amoureuse regarde la personne
aimée qui vient la rejoindre dans une forme de surprise bienvenue.
J'avais immédiatement compris qu'elle était plus que soûle et
j'avais dégagé mon bras en essayant de ne pas être trop brusque
tout en restant ferme.
J'avais choisi une table
à l'écart de tout, là où il y avait le moins de gens possible
parce que j'allais y rencontrer un ami avec qui nous aimons bien
parler à cœur ouvert ce qui me poussais à éviter les endroits
trop pleins d'oreilles indiscrètes, même inconnues. Comme nous ne
nous étions pas donné d'heure tout à fait précise, j'étais
équipée d'un roman passionnant, prête à affronter les minutes
d'attentes sans m'ennuyer un seul instant.
La serveuse avait à
peine déposé une bière devant moi que le groupe de la jeune fille,
déménageait ses pénates aux tables qui jouxtaient celle que j'avais
choisie. Elle s'était aussitôt approchée de moi en repoussant mon
livre et me disant : « Ah ben là, tu ne va pas me dire
que tu es venue dans un bar à minuit moins cinq pour lire un
livre? » Je l'avais regardée, un peu de haut, je dois bien
l'avouer. J'avais pris le temps de dégager ma montre à mon poignet
pour regarder l'heure exacte avant de lui répondre : « Oui,
j'ai l'intention de lire et il est 20h18, pas minuit moins cinq ».
Elle m'avait répondu en riant qu'elle le savait tandis que
visiblement, elle ne s'apercevait aucunement qu'elle me mettait mal à
l'aise, pas plus que ses comparses qui tiraient ma chaise vers leur
table malgré mes protestations.
J'avais été plus que
soulagée de voir mon ami arriver, puisqu'il me fournissait un
rempart contre un rapprochement que je trouvais mal venu.
Après coup, je m'étais
demandé si mon malaise venait du fait que je me sois fait abordée
par une femme, mais j'avais vite écarté cette hypothèse. C'était
la proposition frontale qui me mettait sur mes gardes additionné au
taux d'alcoolémie délirant de nos voisins de table qui me faisait
grincer des dents. Bien entendu, j'ai été flattée de tomber dans
l’œil de quelqu'un sans avoir à faire aucun effort, mais telle
que je suis faite, j'aurais de loin préférer un compliment laissé
comme une carte de visite à ce déploiement d'attentions que je
n'attendais ni n'espérais.
Mon compagnon de table a
sans doute trouvé que mon attention papillonnait drôlement ce
soir-là, mais je crois qu'il m'a rapidement pardonné après que je
lui ai expliqué dans quel bizarre de bourbier je me trouvais.
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