Mauvaise lune
Avoir deux ans en hiver,
ce n'est pas si chouette que cela, je pense. C'est vrai quoi! Il me
semble que, depuis mon anniversaire, je passe d'un rhume à l'autre
avec presque pas de répit entre deux. Ce qui veut aussi dire que mon
caractère est moins égal qu'en d'autres moments; mettons que j'ai
les larmes de crocodiles faciles.
Quand je fais de belles
siestes, je suis super de bonne humeur, il n'y a rien à mon épreuve
et je m'amuse avec les amis de la garderie et avec mon papa.
Ensemble, lui et moi, on construit des engins de gymnastique dans le
salon (on mes les coussins des divans par terre pour que j'y fasse
des culbutes) et aussi des cabanes pour que j'ai des coins bien
cachés et secrets pour me dissimuler. Ça j'aime ça beaucoup. Une
journée où j'étais de bien belle humeur, il m'a amené dans un
centre de jeux et on a fait tout plein de choses super comme sauter
dans des ballons. J'ai appelé Grand-mamie et Tatie pour le leur
raconter, j'étais tellement content d'avoir fait cela avec lui!
Et deux jours plus tard,
évidemment, un autre rhume m'est tombé dessus. Je ne suis même pas
allé à la garderie pendant presque toute la semaine. Je suis resté
avec Maman à la maison. Je n'avais pas le goût de faire grand
chose, mes jambes me faisaient mal et je parlais avec une petite voix
aiguë tout le temps en passant du rire aux larmes avant d'avoir le
temps de dire ouf. Et je n'ai plus du tout de patience. Quand je
demande quelque chose, je veux avoir la réponse tout de suite. Quand
on me répond que quelque chose arrivera plus tard, je ne suis pas
d'accord et je pleure.
Tenez par exemple, ce
matin, je me suis réveillé très très tôt. Alors j'étais mort de
fatigue au dîner donc j'ai chipoté dans mon assiette sans manger
vraiment et je suis aller faire ma sieste. Et en me levant, je
voulais être tout de suite dans la maison de Grand-mamie. Ça ne me
tentait pas d'attendre tout le trajet en voiture. Alors je le criais
à Maman qui s'impatientait un peu. Et je demandais constamment « Il
est où Francis? » tandis que la réponse « en chemin »
ne me satisfaisait pas du tout.
Chez Grand-mamie, tout ce
que je voulais c'était d'être avec elle et personne d'autre. Je ne
voulais pas qu'elle parle aux autres, j'étais là et je voulais que
tout soit moi, moi, moi. Surtout, je voulais manger du poulet.
J'avais faim. Même si les grands me disaient que le poulet n'était
pas cuit et qu'il y avait des craquelins et de l'humus à manger en
collation, je voulais le poulet et juste le poulet. Alors je
chignais.
On a fini par manger le
poulet, j'en ai pris trois assiettes et j'ai pris mon bain en
chantant, parce qu'une fois ma bedaine bien remplie, je vais toujours
pas mal mieux. Et puis je suis allé me lover entre mes parents sur
le divan en chantant « Alléluia » de Léonard Cohen.
C'est mal nouvelle chanson préférée et je trouve que c'est une
bien belle berceuse pour m'endormir.
Dans l'auto j'ai gardé
les yeux grands ouverts en fredonnant toutes sortes d'airs que
j'aime. Après, je suis tombé comme une roche dans mon lit, bien
content faire un beau gros dodo avant de profiter du prochain demain.
Libellés : L'enfance de l'art