jeudi, mars 08, 2018

Refuser

Ça fait longtemps que j'ai décidé de ne pas donner l'aumône à toutes les personnes qui me tendent la main entre le travail et la maison et vice-versa. J'en ai souvent parlé ici, elles sont simplement trop nombreuses pour que je puisse me le permettre et j'ai appris que plusieurs d'entre-elles ont leurs habitudes et deviennent insistantes, si on leur a déjà donné quoique ce soit.

Alors bien entendu, je mens. Non, je n'ai pas d'argent, de cigarette, de barre tendre à distribuer. C'est ma réponse, et généralement, ça passe comme une lettre à la poste. Mais pas toujours. Et je dois à ces moments m'armer de courage et de patience pour affronter les situations.

J'arrivais à la station Jean-Talon par la rue du même nom, quand un jeune homme échevelé et puant s'est planté devant moi, m'empêchant de faire un pas dans quelque direction que ce soit en me demandant : « J'peux-tu t'acheter une cigarette? » Lui, je le connais, il est souvent posté dans le secteur. Son truc c'est de demander d'acheter une cigarette et de partir en courant sans payer son dû une fois que quelqu'un la lui aura tendue.

Je lui ai donc répondu que c'était la seule que j'avais. Il m'a alors dit : « Tu mens, je préfère que les gens me disent la vérité plutôt que de me mentir tu sais ». Son ton était abrupt et désagréable tandis que mes pensées le concernant étaient au diapason de son attitude. J'ai continué mon chemin, bravement, pendant qu'il me suivait de vraiment trop près pour que je me sente en sécurité. À l'entrée de la station de métro, il y avait deux travailleurs de rues que je connais aussi de vue et deux policiers, tous les quatre en grande discussion.

Voyant le manège du jeune homme à mes côtés, une des femmes a dit : « Allez Stéphane, laisse la dame tranquille. Pis va donc voir ailleurs si tu y es ». Lui, ne l'écoutait pas, il me disait presque à l'oreille « tu vas me donner ta cigarette quand tu vas entrer dans le métro hein? Tu vas me la donner? » Je dois dire que je ne me sentais pas très bien, mais que paradoxalement, j'étais rassurée par la présence des policiers et des travailleurs de rue, tout en espérant qu'ils n'interviennent pas, je voulais régler la situation toute seule parce que je sais que je vais revoir ce jeune homme, inévitablement.

Alors, je m'étais tournée vers lui et lui avais répondu : « Non. J'ai l'intention de la terminer ». Alors il m'avait dit : « Ben non, tu vas la jeter avant de l'avoir finie alors t'es aussi bien de me la donner ». Il y avait comme une menace dans sa voix. J'avais l'impression de rétrécir à vue d’œil. Me drapant dans tout ce que j'avais de volonté, je m'étais plantée sur le trottoir et l'avais regardé droit dans les yeux en lui demandant : « Qu'est-ce que tu comprends pas dans le mot –non– , dis-moi? » Il était resté interloqué et avait tourné les talon sous les rires des travailleurs de sociaux qui m'ont dit que j'avais très bien fait tandis que les agents de police s'assuraient que j'allais bien.

Ce n'est qu'une petite anecdote, un rien du tout dans le quotidien d'une femme qui dit non et qui n'est pas crue. Qui dit non et qui devient harcelée juste parce qu'elle croise la mauvaise personne au mauvais moment.

Et au bout du compte, ça été une grande victoire pour le respect de moi.

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