Refuser
Ça fait longtemps que
j'ai décidé de ne pas donner l'aumône à toutes les personnes qui
me tendent la main entre le travail et la maison et vice-versa. J'en
ai souvent parlé ici, elles sont simplement trop nombreuses pour que
je puisse me le permettre et j'ai appris que plusieurs d'entre-elles
ont leurs habitudes et deviennent insistantes, si on leur a déjà
donné quoique ce soit.
Alors bien entendu, je
mens. Non, je n'ai pas d'argent, de cigarette, de barre tendre à
distribuer. C'est ma réponse, et généralement, ça passe comme une
lettre à la poste. Mais pas toujours. Et je dois à ces moments
m'armer de courage et de patience pour affronter les situations.
J'arrivais à la station
Jean-Talon par la rue du même nom, quand un jeune homme échevelé
et puant s'est planté devant moi, m'empêchant de faire un pas dans
quelque direction que ce soit en me demandant : « J'peux-tu
t'acheter une cigarette? » Lui, je le connais, il est souvent
posté dans le secteur. Son truc c'est de demander d'acheter une
cigarette et de partir en courant sans payer son dû une fois que
quelqu'un la lui aura tendue.
Je lui ai donc répondu
que c'était la seule que j'avais. Il m'a alors dit : « Tu
mens, je préfère que les gens me disent la vérité plutôt que de
me mentir tu sais ». Son ton était abrupt et désagréable
tandis que mes pensées le concernant étaient au diapason de son
attitude. J'ai continué mon chemin, bravement, pendant qu'il me
suivait de vraiment trop près pour que je me sente en sécurité. À
l'entrée de la station de métro, il y avait deux travailleurs de
rues que je connais aussi de vue et deux policiers, tous les quatre
en grande discussion.
Voyant le manège du
jeune homme à mes côtés, une des femmes a dit : « Allez
Stéphane, laisse la dame tranquille. Pis va donc voir ailleurs si tu
y es ». Lui, ne l'écoutait pas, il me disait presque à
l'oreille « tu vas me donner ta cigarette quand tu vas entrer
dans le métro hein? Tu vas me la donner? » Je dois dire que je
ne me sentais pas très bien, mais que paradoxalement, j'étais
rassurée par la présence des policiers et des travailleurs de rue,
tout en espérant qu'ils n'interviennent pas, je voulais régler la
situation toute seule parce que je sais que je vais revoir ce jeune
homme, inévitablement.
Alors, je m'étais
tournée vers lui et lui avais répondu : « Non. J'ai
l'intention de la terminer ». Alors il m'avait dit : « Ben
non, tu vas la jeter avant de l'avoir finie alors t'es aussi bien de
me la donner ». Il y avait comme une menace dans sa voix.
J'avais l'impression de rétrécir à vue d’œil. Me drapant dans
tout ce que j'avais de volonté, je m'étais plantée sur le trottoir
et l'avais regardé droit dans les yeux en lui demandant :
« Qu'est-ce que tu comprends pas dans le mot –non– ,
dis-moi? » Il était resté interloqué et avait tourné les
talon sous les rires des travailleurs de sociaux qui m'ont dit que
j'avais très bien fait tandis que les agents de police s'assuraient
que j'allais bien.
Ce n'est qu'une petite
anecdote, un rien du tout dans le quotidien d'une femme qui dit non
et qui n'est pas crue. Qui dit non et qui devient harcelée juste
parce qu'elle croise la mauvaise personne au mauvais moment.
Et au bout du compte, ça
été une grande victoire pour le respect de moi.
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