jeudi, avril 19, 2018

Cimetière de l'été précédent

Le printemps me manque. L'espèce de bouillie grise qui enveloppe Montréal depuis plusieurs jours n'est pas ce que j'appelle le printemps. C'est sans doute pour cette raison que j'ai entrepris, par un matin pas tout à fait brumeux, de marcher jusqu'au métro Berri. Comme si je croyais que cette bravade pouvait porter un coup terrible à la température automnale et ainsi faire jaillir le printemps.

Ça faisait un bail que je n'avais pas pris cette marche que je connais tellement par cœur que d'ordinaire je ne remarque que très peu le paysage, sauf si, à l'occasion je tombe sur un lever ou un coucher de soleil passablement extraordinaire. Les gens, eux, je les vois tout le temps, mais le décor, il m'arrive souvent de ne pas vraiment en tenir compte.

Bien entendu, l'air ambiant était, disons, frisquet. Je n'avais d'autre choix que de marcher d'un bon pas afin de me tenir au chaud. Et même s'il n'y avait pas vraiment de brouillard, la grisaille de ce matin précis, drapait les contours des édifices et et des véhicules d'un genre de halo qui rendait tout un peu flou. Ça me rappelait l'image qu'on a enfant d'un cimetière duquel les fantômes pourraient se lever à tout moment, si tant est qu'on avait le courage de le regarder assez longtemps ou encore de le traverser à la nuit tombée.

C'est dans cet état d'esprit que je me suis rendue compte que j'arpentais effectivement un cimetière. Partout autour de moi, les ancrages et autres poteaux portaient les cadavres des vélos de l'été précédent. Les uns étaient désarticulés, les autres démembrés. D'autres encore simplement affaissés sur des roues crevées. Beaucoup de roues solitaires, tristement attachées à un cadenas désormais inutiles. À leur base, souvent, un cerne de rouille quand la chaîne faisait encore partie de la carcasse éventée.

Sans trop m'en apercevoir, je me suis mise à les dénombrer, et à tenter de m'imaginer l'histoire de ces bicyclettes laissées pour mortes sur les pavés, ensevelies par les chutes de neige durant l'hiver rigoureux que nous venons de traverser pour se rappeler à nos bons souvenirs seulement maintenant que les trottoirs et les rues sont vraiment dégagées.

J'ai abandonné mes projets rendue à 30, surtout que je n'avais pas encore fait la moitié du chemin. J'ai d'ailleurs pu constater que la population de vélos morts augmentait dramatiquement aux abord de la station de métro, comme si tous leurs anciens propriétaires s'étaient collectivement découragés devant les avanies subies par leurs précieux destriers en s'engouffrant dans les tunnels des métro, comme pour oublier.

Je sais à quel point il est désagréable de trouver un bout de vélo plutôt qu'un vélo entier là où on l'avait laissé, mais il me semble que la base de la civilité c'est d'en détacher les restants et de les mettre au chemin pour les prochaines vidanges. Parce que même si ces cadavres ne puent pas la putréfaction, ils contribuent largement à la pollution visuelle.

Et ça, à mon sens, ça rend le printemps encore plus triste qu'il ne l'est déjà.

Libellés :