Mesure d'humanité
Je viens d'écouter un
reportage sur la migration illégale en Amérique. Les personnages en
présence étaient sensiblement les mêmes que ceux des routes
migratoires d'Afrique et d'Europe, mais le pays de destination était
celui dans lequel je vis, cette terre promise ou l'une rêvait de
conduire une voiture pour amener ses enfants à l'école et l'un
souriait à l'idée d'une maison dont le toit ne coulerait pas.
Aucun d'entre eux n'a
pris la route de la migration avec légèreté. Quitter une terre
natale ne se fait généralement pas sans arrière pensée. Pour ceux
qui décident d'arpenter un continent du Brésil jusqu'au Canada par
des routes qui n'en sont pas, c'est parce que leur pays natal n'a
plus aucun espoir à leur offrir. Ils savent qu'ils verront plusieurs
compagnons de voyage périr en cours de route, que ce sort leur est
peut-être même réserver et pourtant, tous les jours, ils se
battent pour avancer. C'est horrible.
C'était une route ardue,
impitoyable et incroyablement chère. Une route ou l'on abuse des
gens désespérés, de leurs maigres ressources financières et bien
souvent aussi de leur corps. Un chemin ardu qui s'étire sur des mois
et peut-être même des années. Partout où ils passent, ils
dérangent et personne ne veut d'eux parce que personne n'est équipé
pour les accueillir.
Surtout que moi je sais
que s'ils parviennent jusqu'ici, même leurs rêves simples tarderont
à se réaliser. Se créer une vie ici ne se fera pas sans heurt, ils
y vivront mille difficultés et plus encore. Quel travail
pourront-ils obtenir? Rien ne sera simple et à regarder leurs yeux
brillants devant le possible Eldorado que représentent pour eux le
Canada, j'avais le cœur qui se saignait par compassion.
En tout cas, ça remet
mon existence en perspective. Oui, j'ai mes enjeux, mes difficultés,
mes échecs. Rien toutefois de comparables avec ce qu'ils fuient avec
assez de détermination pour entreprendre une aventure aussi
dangereuse. Je peux bien me dire que je ne suis pas riche, mais par
comparaison, je le suis immensément. J'ai une solide éducation, une
belle culture générale, un emploi que j'aime et qui me nourri
autant émotionnellement que physiquement. J'ai une famille qui
m'aime et avec qui j'entretiens de bonnes relations. J'ai un toit,
une chambre pour moi toute seule, assez d'argent pour décider de
manger au restaurant quand j'en ai envie ou de me payer un spectacle
de temps à autre. Et surtout, je me sens, généralement, en
sécurité.
Je sais depuis longtemps
que ceux qui prennent ces routes migratoires entament en fait un saut
dans l'inconnu. Je sais que leurs trajectoires seront semés de
passeurs et de bolides surpeuplés et non sécurisés. Mais c'est
comme si en les voyant marcher ce continent qui est le mien, je les
voyais de beaucoup plus proche que par le passé. Ils me deviennent
plus tangibles et me forcent à réaliser à quel point je suis née
du bon côté du monde.
J'ai eu de la chance et
je suis bien heureuse d'être assez curieuse du reste de l'humanité
pour le mesurer, à tout le moins en partie.
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