jeudi, avril 05, 2018

Mesure d'humanité

Je viens d'écouter un reportage sur la migration illégale en Amérique. Les personnages en présence étaient sensiblement les mêmes que ceux des routes migratoires d'Afrique et d'Europe, mais le pays de destination était celui dans lequel je vis, cette terre promise ou l'une rêvait de conduire une voiture pour amener ses enfants à l'école et l'un souriait à l'idée d'une maison dont le toit ne coulerait pas.

Aucun d'entre eux n'a pris la route de la migration avec légèreté. Quitter une terre natale ne se fait généralement pas sans arrière pensée. Pour ceux qui décident d'arpenter un continent du Brésil jusqu'au Canada par des routes qui n'en sont pas, c'est parce que leur pays natal n'a plus aucun espoir à leur offrir. Ils savent qu'ils verront plusieurs compagnons de voyage périr en cours de route, que ce sort leur est peut-être même réserver et pourtant, tous les jours, ils se battent pour avancer. C'est horrible.

C'était une route ardue, impitoyable et incroyablement chère. Une route ou l'on abuse des gens désespérés, de leurs maigres ressources financières et bien souvent aussi de leur corps. Un chemin ardu qui s'étire sur des mois et peut-être même des années. Partout où ils passent, ils dérangent et personne ne veut d'eux parce que personne n'est équipé pour les accueillir.

Surtout que moi je sais que s'ils parviennent jusqu'ici, même leurs rêves simples tarderont à se réaliser. Se créer une vie ici ne se fera pas sans heurt, ils y vivront mille difficultés et plus encore. Quel travail pourront-ils obtenir? Rien ne sera simple et à regarder leurs yeux brillants devant le possible Eldorado que représentent pour eux le Canada, j'avais le cœur qui se saignait par compassion.

En tout cas, ça remet mon existence en perspective. Oui, j'ai mes enjeux, mes difficultés, mes échecs. Rien toutefois de comparables avec ce qu'ils fuient avec assez de détermination pour entreprendre une aventure aussi dangereuse. Je peux bien me dire que je ne suis pas riche, mais par comparaison, je le suis immensément. J'ai une solide éducation, une belle culture générale, un emploi que j'aime et qui me nourri autant émotionnellement que physiquement. J'ai une famille qui m'aime et avec qui j'entretiens de bonnes relations. J'ai un toit, une chambre pour moi toute seule, assez d'argent pour décider de manger au restaurant quand j'en ai envie ou de me payer un spectacle de temps à autre. Et surtout, je me sens, généralement, en sécurité.

Je sais depuis longtemps que ceux qui prennent ces routes migratoires entament en fait un saut dans l'inconnu. Je sais que leurs trajectoires seront semés de passeurs et de bolides surpeuplés et non sécurisés. Mais c'est comme si en les voyant marcher ce continent qui est le mien, je les voyais de beaucoup plus proche que par le passé. Ils me deviennent plus tangibles et me forcent à réaliser à quel point je suis née du bon côté du monde.

J'ai eu de la chance et je suis bien heureuse d'être assez curieuse du reste de l'humanité pour le mesurer, à tout le moins en partie.

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