dimanche, avril 08, 2018

Zone d'inconfort

J'ai une amie qui a pris la décision de déménager en dehors de sa zone de confort. Elle et moi, on se connaît depuis longtemps. Plus de quinze ans. On en a déménagé, ensemble, ou séparément, des meubles. Mais depuis une douzaine d'années, on s'était plus ou moins établies dans des secteurs que nous connaissions par cœur toutes les deux. Notre zone s'étendait autour de l'axe de la station Berri avec un jeu de 7 sept stations en direction nord et est.

Quand l'immeuble ou elle vivait depuis plusieurs années avait été vendu, elle s'était aussitôt mise en quête d'un nouveau nid. Elle avait déjà en tête Verdun comme prochain lieu de vie. Je ne connais pas cette partie de la ville, c'est très au sud et très à l'ouest, pour une fille qui a grandi dans Ahuntsic. Pour ma première visite officielle dans son nouveau logis, je m'étais perdue en m'y rendant. J'avais pris sa rue dans le mauvais sens et m'étais retrouvée une station de métro en aval. J'avais un peu honte quand je lui avais annoncé que je m'étais perdue, mais je ne pouvais pas faire autrement que de rebrousser chemin jusqu'à ma destination finale.

Il y a une autre station de métro dans son secteur, mais après ma mésaventure, je n'avais pas envie de tenter un nouvel itinéraire, dans le noir. Je suis donc retournée à la station De L'Église qui m'est totalement étrangère. C'est, à mon avis, un étrange endroit. De part sa structure, entre autres, étant donné que les rames sont superposées plutôt que face à face. Ça donne une profondeur hors norme. Et le dimanche soir, les métros en général, et cette station en particulier, ne sont pas des lieux très fréquentés. Comme pour faire exprès, j'ai manqué le train d'une vingtaine de secondes alors je m'étais engagée sur un quai vide qui me semblait glauque malgré sa propreté, simplement parce que je n'en connaissais pas les marques.

J'avais à peine posé mes fesses sur un banc pour attendre patiemment l'écoulement des neuf prochaines minutes quand un homme s'est mis à hurler. Je n'avais aucune idée de l'endroit où il était, mais sa voix portait. On aurait dit un rugissement immense dans les voûtes de la station. Il criait à une femme de le laisser tranquille en émaillant son « discours » de noms d'oiseaux aussi violents que dérangeants. Malgré l'armure du livre que j'avais dans les mains, je n'arrivais pas à me concentrer. L'homme me semblait loin, mais je me trouvais bien seule dans cet antre de la Terre. Dans les stations que je fréquente d'ordinaire, je vois constamment des agents circuler. Là, j'étais seule. Complètement seule avec un rugissement venu de je ne savais où.

Jusqu'au moment ou une ado aux yeux et à la chevelure d'un noir de geais s'était arrêtée devant moi en me disant quelque chose en arabe, ce que je n'ai évidemment pas compris. Je l'avais regardée surprise en lui rétorquant : « Quoi? » Elle s'était assise tout à côté de moi, même si tous les autres bancs étaient disponibles et m'avait répondu dans un québécois parfait : «  Oh! Désolée, j'ai juste eu peur. Je suis passée à côté de cet homme et s'est mis à m'insulter, comme si tous ses malheurs étaient de ma faute ».

J'avais eu peur de loin, je comprenais donc un peu. Je n'avais rien à dire, alors je lui avais serré la main très fort, sur mon cœur.

Et c'est ainsi que j'avais attendu le prochain vers ma zone de confort, coincée entre un peu de chaleur humaine et beaucoup d'inconfort.

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