Zone d'inconfort
J'ai une amie qui a pris
la décision de déménager en dehors de sa zone de confort. Elle
et moi, on se connaît depuis longtemps. Plus de quinze ans. On en a
déménagé, ensemble, ou séparément, des meubles. Mais depuis une
douzaine d'années, on s'était plus ou moins établies dans des
secteurs que nous connaissions par cœur toutes les deux. Notre zone
s'étendait autour de l'axe de la station Berri avec un jeu de 7 sept
stations en direction nord et est.
Quand
l'immeuble ou elle vivait depuis plusieurs années avait été vendu,
elle s'était aussitôt mise en quête d'un nouveau nid. Elle avait
déjà en tête Verdun comme prochain lieu de vie. Je ne connais pas
cette partie de la ville, c'est très au sud et très à l'ouest,
pour une fille qui a grandi dans Ahuntsic. Pour ma première visite
officielle dans son nouveau logis, je m'étais perdue en m'y rendant.
J'avais pris sa rue dans le mauvais sens et m'étais retrouvée une
station de métro en aval. J'avais un peu honte quand je lui avais
annoncé que je m'étais perdue, mais je ne pouvais pas faire
autrement que de rebrousser chemin jusqu'à ma destination finale.
Il
y a une autre station de métro dans son secteur, mais après ma
mésaventure, je n'avais pas envie de tenter un nouvel itinéraire,
dans le noir. Je suis donc retournée à la station De L'Église qui
m'est totalement étrangère. C'est, à mon avis, un étrange
endroit. De part sa structure, entre autres, étant donné que les
rames sont superposées plutôt que face à face. Ça donne une
profondeur hors norme. Et le dimanche soir, les métros en général,
et cette station en particulier, ne sont pas des lieux très
fréquentés. Comme pour faire exprès, j'ai manqué le train d'une
vingtaine de secondes alors je m'étais engagée sur un quai vide qui
me semblait glauque malgré sa propreté, simplement parce que je
n'en connaissais pas les marques.
J'avais
à peine posé mes fesses sur un banc pour attendre patiemment
l'écoulement des neuf prochaines minutes quand un homme s'est mis à
hurler. Je n'avais aucune idée de l'endroit où il était, mais sa
voix portait. On aurait dit un rugissement immense dans les voûtes
de la station. Il criait à une femme de le laisser tranquille en
émaillant son « discours » de noms d'oiseaux aussi
violents que dérangeants. Malgré l'armure du livre que j'avais dans
les mains, je n'arrivais pas à me concentrer. L'homme me semblait
loin, mais je me trouvais bien seule dans cet antre de la Terre. Dans
les stations que je fréquente d'ordinaire, je vois constamment des
agents circuler. Là, j'étais seule. Complètement seule avec un
rugissement venu de je ne savais où.
Jusqu'au
moment ou une ado aux yeux et à la chevelure d'un noir de geais
s'était arrêtée devant moi en me disant quelque chose en arabe, ce
que je n'ai évidemment pas compris. Je l'avais regardée surprise en
lui rétorquant : « Quoi? » Elle s'était assise
tout à côté de moi, même si tous les autres bancs étaient
disponibles et m'avait répondu dans un québécois parfait : «
Oh! Désolée, j'ai juste eu peur. Je suis passée à côté de cet
homme et s'est mis à m'insulter, comme si tous ses malheurs étaient
de ma faute ».
J'avais
eu peur de loin, je comprenais donc un peu. Je n'avais rien à dire,
alors je lui avais serré la main très fort, sur mon cœur.
Et
c'est ainsi que j'avais attendu le prochain vers ma zone de confort,
coincée entre un peu de chaleur humaine et beaucoup d'inconfort.
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