jeudi, mai 17, 2018

Apprivoiser la bête

La plupart des gens croient qu'on adopte un animal. Moi je crois que c'est parfois l'inverse qui se produit et à ma connaissance, lorsque cela se produit le lien entre l'humain et l'animal en est décuplé. Quand j'ai déménagé ici, j'ai laissé derrière moi un chat qui vivait depuis toujours avec sa sœur et nous ne voulions pas les séparer. Lui et moi on s'entendait assez bien, mais sans plus. Mon départ ne l'a pas dérangé outre mesure, il est tombé sous le charme de l'amoureux de la personne à qui je l'avais laissé. Il s'était donc choisi un maître à sa mesure et ils ont vécu de longues années d'affection partagées. Il était le chat P beaucoup plus qu'il n'a jamais été le mien.

Parallèlement, ici, il y avait deux chats. Un des deux m'a adoptée en quelques semaines à peine. Nos personnalités se correspondaient à merveille. Nous aimions passer du temps ensemble sans toutefois être collés continuellement. Il venait se faire flatter cinq minutes, puis allait se coucher sur mon lit, veillant de loin à mes activités. Quand je me couchait il restait là, le temps que je m'endorme et migrait ensuite vers mon divan. Je l'entendais descendre, peu gracieusement, dudit divan quand j'étais éveillée depuis un moment et je savais qu'il m'attendais devant son plat de nourriture, impatiemment.

Lorsqu'il est mort, j'ai eu beaucoup de peine. C'était la première fois que je pleurais tant un animal, la première fois que je m'étais attachée à ce point. À un point tel que je n'ai pas voulu en adopter un autre, malgré l'ennui, parce que le chat que je voulais c'était celui qui était parti et que trouvais qu'il aurait été bien injuste pour une créature affectueuse de se contenter de miettes de mon attention.

C'est aussi arrivé à ma sœur, avec un chien. Elle et son amoureux avaient commencé par garder ce chien de temps en temps, mais il s'est adapté à leur environnement avec pugnacité et finalement ils l'ont gardé. Et aimé. Il y avait de quoi, c'était un chien adorable qui m'a grandement aidée à diminuer ma peur des grosses bêtes, même si je manque encore souvent de courage lorsque j'en croise une dans la rue. Si celle-ci n'est pas en laisse, je ne me pose pas de question et je change de trottoir. Quand il est mort, la famille au complet a porté son deuil. Moi comprise.

Il y a deux ans, ma grande amie a perdu son chat pendant qu'elle était en vacances. Elle en a été très peinée et l'a cherché pendant longtemps. Et puis, un jour, elle a pris chez elle le chat devenu celui de trop dans une famille déménagée en appartement. Elle ne le voulait pas et n'était pas naturellement portée vers lui. Mais il a été patient et l'a apprivoisée tout doucement. Il s'est installé dans sa maison et dans son cœur, l'air de rien.

Personne ne le savait mais ce chat avait une anomalie respiratoire et cardiaque. En moins de temps qu'il n'en faut pour dire « ouf », la fin de semaine dernière, il est parti. Euthanasié pour éviter trop de souffrance. Ce départ a été aussi subit que brutal pour sa maîtresse qui l'aimait complètement. Deux toutes petites années de vies partagées qui laissent dans leur sillage un vide immense. Et une peine tout aussi grande.

Alors non, je ne suis pas du tout certaine que l'apprivoisement soit un geste nécessairement humain. Je pense que les bêtes savent d'instinct trouver la meilleure personne avec lesquelles partager leur vie.

Qu'on se le tienne pour dit.

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