Apprivoiser la bête
La plupart des gens
croient qu'on adopte un animal. Moi je crois que c'est parfois
l'inverse qui se produit et à ma connaissance, lorsque cela se
produit le lien entre l'humain et l'animal en est décuplé. Quand
j'ai déménagé ici, j'ai laissé derrière moi un chat qui vivait
depuis toujours avec sa sœur et nous ne voulions pas les séparer.
Lui et moi on s'entendait assez bien, mais sans plus. Mon départ ne
l'a pas dérangé outre mesure, il est tombé sous le charme de
l'amoureux de la personne à qui je l'avais laissé. Il s'était donc
choisi un maître à sa mesure et ils ont vécu de longues années
d'affection partagées. Il était le chat P beaucoup plus qu'il n'a
jamais été le mien.
Parallèlement, ici, il y
avait deux chats. Un des deux m'a adoptée en quelques semaines à
peine. Nos personnalités se correspondaient à merveille. Nous
aimions passer du temps ensemble sans toutefois être collés
continuellement. Il venait se faire flatter cinq minutes, puis allait
se coucher sur mon lit, veillant de loin à mes activités. Quand je
me couchait il restait là, le temps que je m'endorme et migrait
ensuite vers mon divan. Je l'entendais descendre, peu gracieusement,
dudit divan quand j'étais éveillée depuis un moment et je savais
qu'il m'attendais devant son plat de nourriture, impatiemment.
Lorsqu'il est mort, j'ai
eu beaucoup de peine. C'était la première fois que je pleurais tant
un animal, la première fois que je m'étais attachée à ce point. À
un point tel que je n'ai pas voulu en adopter un autre, malgré
l'ennui, parce que le chat que je voulais c'était celui qui était
parti et que trouvais qu'il aurait été bien injuste pour une
créature affectueuse de se contenter de miettes de mon attention.
C'est aussi arrivé à ma
sœur, avec un chien. Elle et son amoureux avaient commencé par
garder ce chien de temps en temps, mais il s'est adapté à leur
environnement avec pugnacité et finalement ils l'ont gardé. Et
aimé. Il y avait de quoi, c'était un chien adorable qui m'a
grandement aidée à diminuer ma peur des grosses bêtes, même si je
manque encore souvent de courage lorsque j'en croise une dans la rue.
Si celle-ci n'est pas en laisse, je ne me pose pas de question et je
change de trottoir. Quand il est mort, la famille au complet a porté
son deuil. Moi comprise.
Il y a deux ans, ma
grande amie a perdu son chat pendant qu'elle était en vacances. Elle
en a été très peinée et l'a cherché pendant longtemps. Et puis,
un jour, elle a pris chez elle le chat devenu celui de trop dans une
famille déménagée en appartement. Elle ne le voulait pas et
n'était pas naturellement portée vers lui. Mais il a été patient
et l'a apprivoisée tout doucement. Il s'est installé dans sa maison
et dans son cœur, l'air de rien.
Personne ne le savait
mais ce chat avait une anomalie respiratoire et cardiaque. En moins
de temps qu'il n'en faut pour dire « ouf », la fin de
semaine dernière, il est parti. Euthanasié pour éviter trop de
souffrance. Ce départ a été aussi subit que brutal pour sa
maîtresse qui l'aimait complètement. Deux toutes petites années de
vies partagées qui laissent dans leur sillage un vide immense. Et
une peine tout aussi grande.
Alors non, je ne suis pas
du tout certaine que l'apprivoisement soit un geste nécessairement
humain. Je pense que les bêtes savent d'instinct trouver la
meilleure personne avec lesquelles partager leur vie.
Qu'on se le tienne pour
dit.
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