jeudi, avril 26, 2018

Réfugiés climatiques

J'ai l'habitude de poser un certain regard sur les excentriques que je croise. Je ne fais pas tout à fait exprès, je les vois, voilà tout. De ce fait, j'ai remarqué une certaine forme de migration de la vaste majorité d'entre-eux en fonction des saisons. Nous sommes actuellement à une charnière saisonnière, justement, par conséquent j'ai constaté plusieurs abonnés absents dans les rangs des visages que je croise quotidiennement depuis des mois. Par exemple, l'homme qui a tenu la porte du métro Jean-Talon tout l'hiver s'est fait la belle depuis la fin de semaine. Il s'était aussi évaporé au printemps dernier, pour mieux se matérialiser à son poste quelque part en novembre.

À mon passage à Berri aujourd'hui, le ciel crevé déversait des trombes d'eau. Ce qui a bien entendu amené un bon nombre d'individus à se réfugier dans les longs corridors qui mènent aux différentes portes extérieures, en faisant en quelque sorte, des réfugiés climatiques. À cause d'un détour sur les rues du dessus, mon propre itinéraire à l'intérieur de ces murs a été modifié en faisant en sorte que j'ai parcouru, sous terre, un beaucoup plus long chemin qu'à l'ordinaire.

J'ai revu plein de personnes que je n'avais pas vues depuis fort longtemps. Non, je ne suis pas altruiste au point de m'en être aperçue sur le coup, mais à les revoir tous, massés dans des corridors en échos, un peu plus maganés que l'an dernier, beaucoup plus usés, m'a fait réaliser leur récente absence. Je me suis d'ailleurs trouvé juste assez égoïste de ce fait, pour avoir l'impression de faire encore partie de la masse plus ou moins indifférente qui les entoure.

Ces gens, je les croise d'ordinaire à l'extérieur sur des coins de rues précis le long du trajet que j'aime faire à pied entre chez-moi et Berri. En me rendant à l'évidence qu'ils animent ce secteur de la ville durant les belles saisons, même lorsque celles-ci ne le sont pas vraiment. Les habitués de l'hiver se sont pour la plupart évanoui de mon champ de vison. J'ignore où il passent ces mois-là. Et je sais d'expérience que je vais m'habituer à ce nouveau paysage humain en laissant ces visages s'étioler dans ma mémoire sans trop m'en apercevoir. D'autant que je ne verrai pas leur automne au quotidien, puisque je déménage dans deux mois.

Néanmoins, les itinérants et autres personnages étranges ne sont pas les seuls réfugiés climatiques que j'ai croisé en masse aujourd'hui. Partout autour de moi, d'autres mains se tendaient pour que je cotise à une cause ou une autre, comme si toutes les équipes sollicitation des organismes à but non lucratif s'étaient aussi rabattues dans les même corridors impersonnels. Et si j'ai beaucoup de tolérance envers les étranges, je le suis beaucoup moins avec ceux qui me lancent des petits commentaires désobligeants quand je leur dit que je ne suis pas intéressée à m'arrêter pour écouter leur laïus sur les causes qu'ils défendent, aussi juste soit-elle.

Et pour couronner le tout, il y avait des distributeurs de bibles et autres représentants religieux à tous les trois pas. Tout ce beau monde voulait mon bien, à leur mesure, à condition que j'endosse, j'appuie, je collabore financièrement ou par d'autres moyens à leur réalité faisant en sorte que j'ai franchement eu l'impression de devenir une proie un peu trop facile pour tous ces réfugiés du climat.

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