dimanche, mai 06, 2018

Germaine

Je ne prends pas très souvent l'autobus en fin de matinée le dimanche parce que c'est généralement, pour moi, un jour de congé. Ce qui fait que je quitte généralement mon domicile tôt, ou beaucoup plus tard, ou encore pas du tout. Bref, je ne savais pas que sur cette ligne de bus à cette heure précise il y avait un certain code à respecter. Je n'avais d'ailleurs aucune raison de m'en douter puisque je fréquente cette ligne quasi quotidiennement depuis près de 10 ans.

Je suis donc montée à l'arrêt habituel en trouvant un peu étrange que tout le devant du bus soit vide mais que l'arrière soit bondé. Je me suis donc installée près de la chauffeure en toute innocence. Je me rendais au dernier arrêt, j'en avais donc pour assez longtemps pour me plonger le nez dans un bouquin bien confortablement habitée par les personnages que j'allais y rejoindre.

J'avais à peine déplacer mon signet pour entreprendre ma lecture quand un homme est venu demander un renseignement sur les arrêts déplacés par la construction. La chauffeure avait répondu, grandement gênée, qu'elle en était à son tout premier trajet sur cette ligne et qu'elle ne connaissais pas bien le nom des rues. Comme je suis une personne gentille et que j'ai un genre de travers de service à la clientèle bien implanté dans mes manières, j'ai fourni l'information demandée au grand soulagement de l'homme qui semblait aussi perdu à Montréal que je le serais dans le bois. La conductrice elle était ravie de mon aide et m'a chaleureusement remerciée de ma gentillesse.

Je lui ai souri en retour et je me suis entrée dans ma lecture. Je venais de terminer un second paragraphe tandis que l'autobus était à l'arrêt quand une femme s'est plantée devant moi en me disant : « S'cuse-moi. » J'ai levée les yeux, surprise, pour constater deux choses; premièrement, elle ne s'excusait aucunement, elle exigeait la place que j'occupais; deuxièmement, il semblait évident que j'avais commis un impair majeur en prenant ce siège précis à cette heure particulière un dimanche, parce que visiblement, c'était le sien.

Je suis bien élevée, même si je lis souvent en transport en commun, je jette des regards fréquents autour de moi et je n'hésite pas à céder ma place aux femmes enceinte, aux vieilles personnes ou celles à mobilité réduite. Mais si cette dame était plus âgée que moi, elle ne l'était pas de beaucoup et surtout elle resplendissait de santé. Elle aurait tout aussi bien pu marcher les trois pas de plus qu'il fallait faire pour atteindre le prochain banc libre.

Je me suis levée en vitesse et suis allée me réfugier sur la banquette arrière pour camoufler mon fou rire. La dame qui m'a chassée s'est ensuite mise à parler avec la conductrice, ou plutôt à lui expliquer sa job, critiquant sa conduite (pourtant douce et agréable), la vitesse à la quelle celle-ci ouvrait les portes, etc... C'était vraiment trop pour moi, j'ai monté le volume de mon baladeur sans quoi je me serais écroulée de rire et ça n'aurait pas vraiment été subtil.

Quand le véhicule a atteint son terminus, j'étais la dernière passagère. La Germaine était descendue peu de temps après être montée. J'ai souhaité un bonne première journée à la conductrice qui m'a répondu avec un demi-sourire : « Maintenant je sais pourquoi aucun ancien ne veut faire ce trajet à cette heure précise ».

J'ai éclaté de rire en m'engageant sur le trottoir ensoleillé.

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