Germaine
Je ne prends pas très
souvent l'autobus en fin de matinée le dimanche parce que c'est
généralement, pour moi, un jour de congé. Ce qui fait que je
quitte généralement mon domicile tôt, ou beaucoup plus tard, ou
encore pas du tout. Bref, je ne savais pas que sur cette ligne de bus
à cette heure précise il y avait un certain code à respecter. Je
n'avais d'ailleurs aucune raison de m'en douter puisque je fréquente
cette ligne quasi quotidiennement depuis près de 10 ans.
Je suis donc montée à
l'arrêt habituel en trouvant un peu étrange que tout le devant du
bus soit vide mais que l'arrière soit bondé. Je me suis donc
installée près de la chauffeure en toute innocence. Je me rendais
au dernier arrêt, j'en avais donc pour assez longtemps pour me
plonger le nez dans un bouquin bien confortablement habitée par les
personnages que j'allais y rejoindre.
J'avais à peine déplacer
mon signet pour entreprendre ma lecture quand un homme est venu
demander un renseignement sur les arrêts déplacés par la
construction. La chauffeure avait répondu, grandement gênée,
qu'elle en était à son tout premier trajet sur cette ligne et
qu'elle ne connaissais pas bien le nom des rues. Comme je suis une
personne gentille et que j'ai un genre de travers de service à la
clientèle bien implanté dans mes manières, j'ai fourni
l'information demandée au grand soulagement de l'homme qui semblait
aussi perdu à Montréal que je le serais dans le bois. La
conductrice elle était ravie de mon aide et m'a chaleureusement
remerciée de ma gentillesse.
Je lui ai souri en retour
et je me suis entrée dans ma lecture. Je venais de terminer un
second paragraphe tandis que l'autobus était à l'arrêt quand une
femme s'est plantée devant moi en me disant : « S'cuse-moi. »
J'ai levée les yeux, surprise, pour constater deux choses;
premièrement, elle ne s'excusait aucunement, elle exigeait la place
que j'occupais; deuxièmement, il semblait évident que j'avais
commis un impair majeur en prenant ce siège précis à cette heure
particulière un dimanche, parce que visiblement, c'était le sien.
Je suis bien élevée,
même si je lis souvent en transport en commun, je jette des regards
fréquents autour de moi et je n'hésite pas à céder ma place aux
femmes enceinte, aux vieilles personnes ou celles à mobilité
réduite. Mais si cette dame était plus âgée que moi, elle ne
l'était pas de beaucoup et surtout elle resplendissait de santé.
Elle aurait tout aussi bien pu marcher les trois pas de plus qu'il
fallait faire pour atteindre le prochain banc libre.
Je me suis levée en
vitesse et suis allée me réfugier sur la banquette arrière pour
camoufler mon fou rire. La dame qui m'a chassée s'est ensuite mise à
parler avec la conductrice, ou plutôt à lui expliquer sa job,
critiquant sa conduite (pourtant douce et agréable), la vitesse à
la quelle celle-ci ouvrait les portes, etc... C'était vraiment trop
pour moi, j'ai monté le volume de mon baladeur sans quoi je me
serais écroulée de rire et ça n'aurait pas vraiment été subtil.
Quand le véhicule a
atteint son terminus, j'étais la dernière passagère. La Germaine
était descendue peu de temps après être montée. J'ai souhaité un
bonne première journée à la conductrice qui m'a répondu avec un
demi-sourire : « Maintenant je sais pourquoi aucun ancien
ne veut faire ce trajet à cette heure précise ».
J'ai éclaté de rire en
m'engageant sur le trottoir ensoleillé.
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