Crever d'ennui
J'avais si peur de
m'ennuyer en déménageant toute seule, si peur de la solitude
justement. Ça fait vingt jours que je suis arrivée et je constate
avec surprise que mon plus gros problème, actuellement, c'est
justement que je ne me suis pas ennuyée une minute. Parce que l'air
de rien, ces plages d'ennui sont nécessaires à la création, en
tout cas à la mienne.
Je crois que je vivais
pas mal seule depuis environ trois ans. En fait, mon ancien coloc et
moi ne nous fréquentions que peu. On soupait ensemble par-ci par-là,
ou on jasait un peu dans le couloir mais c'était presque comme si on
avait des appartements contigus sans vraiment les partager. Ce n'est
pas une décision qui s'est prise, c'est arrivé tranquillement, sans
vraiment qu'on s'en aperçoive ni l'un ni l'autre je suppose et le
clou dans le cercueil a sans doute été posé lorsque Ex-coloc a
rencontré quelqu'un avec qui il a rapidement formé un coupe.
Forcément, au fil du temps, il s'est mis à passer beaucoup moins de
temps seul à la maison ce qui signifiait, entre les lignes, que les
longues soirées de discussions que nous avons un jour partagées,
finirait par s'étioler d'elles-mêmes.
Ça fait en sorte que pas
grand chose n'a changé dans mes habitudes et mon mode de vie. Je
mange seule, je lis seule, j'écoute la radio seule, je regarde un
film seule ou je fais un casse-tête seule. Soit exactement ce qui
était mon quotidien depuis fort longtemps. En plus, je n'ai plus à
subir les jérémiades du chat qui n'était pas le mien et qui avait
la voix et la dépendance pas mal fortes. Plus nécessaire non plus
de rythmer mes allées et venues à la salle-de-bain en fonction des
autres occupants des lieux. Ce côté des choses me plaît bien. Par
contre, je ne peux pas sauter une semaine de ménage parce que c'est
autour de l'autre de s'y coller; on ne peut pas tout avoir faut
croire.
Et puis, malgré le fait
que j'ai grandi dans ce quartier, il n'est pas resté inchangé
durant toutes les années où j'ai vécu ailleurs. J'ai donc la
curiosité éveillée. Je regarde et j'observe attentivement autour
de moi à chacun de mes déplacements. Je me fais des espèces de
courses au trésor mnémoniques pour essayer de retrouver le nom de
commerces depuis longtemps disparu, ou le nom des familles qui
habitaient à tel ou tel endroit.
J'ai parfois des petites
surprises, comme de voir sortir une amie du secondaire de la maison
parentale et d'apprendre, étonnée, qu'elle l'a rachetée et qu'elle
y habite désormais avec ses trois enfants. Mais la plupart du temps,
je n'ai que des images un peu floues parce que les années ont fait
leur chemin sur les bâtiments comme sur moi.
Moi qui croyais crever
d'ennui au bout de quelques minutes à peine, me voilà bien
détrompée quand à mon propre caractère. Pour cultiver ma plume je
vais devoir, comme ce soir, m'astreindre à l'écriture, que j'aille
autre chose à faire ou pas.
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