Effets de perspectives
Dans une société où
l'on repousse le concept de la vieillesse, l'idée même de la
mortalité devient presque floue. Pourtant, personne n'y échappera.
C'est écrit dans le ciel, qu'on le veuille ou non. Mais bien
entendu, malgré le fait que nous portions collectivement des
œillères cette réalité finit tôt ou tard par nous rattraper.
Cet automne, elle me frappe de plein fouet. Parce que tranquillement,
mais sûrement, ces départs pour l'éternité sont ceux des gens de
la génération de mes parents.
Jusqu'à très récemment,
il me semblait que la mort venait chercher des gens qui étaient loin
devant moi, aïeux âgés que je connaissais que très peu. Sauf que,
ce matin j'ai appris le décès de l'ex-mari d'une amie de ma mère.
Je ne peux pas dire que je me souvienne bien de lui. Je n'avais pas
dix ans quand il s'est séparé ça fait donc quelque chose comme
trente-cinq ans que je ne l'ai pas croisé. Il existe cependant, dans
ma tête, quelques photos assez vives de l'homme. Généralement en
costume de bain parce que nous allions à un chalet dans sa famille
et que c'étaient des moments heureux de mon enfance. J'imagine bien
que je l'ai aussi vu à d'autres moments que durant ces journées
estivales qui me plaisaient tant, mais je n'en garde pas de trace
dans ma mémoire faillible.
Il avait
soixante-quatorze ans. Mes grands parents maternels sont morts
beaucoup plus jeunes que lui. Et je les trouvais si vieux. Peut-être
l'étaient-ils davantage que ceux des générations suivantes au même
âge. Je ne sais pas. Ce que je sais cependant, c'est que par un
effet de perspective biaisée et sans doute particulière, je ne
trouve pas ma mère vieille. Ni la plupart de ses amis d'ailleurs, en
tout cas, ceux que je croise encore de temps à autres. On ne se voit
pas vieillir, on passe les jours sans trop s'en rendre compte et on
se réveille un matin avec quelques cheveux blancs sans trop savoir
quand ils sont venus agrémenter sa chevelure.
Si le temps qui passe me
heurte particulièrement cet automne, c'est sans doute parce que
parallèlement, beaucoup de personnages publics que j'ai toujours
connus, s'éteignent jalonnant de leur fin de parcours l'année qui
s'achève. Et dans la plupart des cas, on s'accorde pour dire qu'ils
ont eu une belle vie bien remplie et qu'ils sont mort de leur belle
mort. Pour ma part, j'en voyais une bonne part comme des géants
immuables qui seraient toujours présents. Mais, évidemment je me
trompais.
Ça remet en perspective
la brièveté de l'existence, de ce passage conscient sur une planète
qu'on malmène en refusant de voir plus loin que le bout de notre
éphémère présence. Je n'ai plus vingt ans, je n'ai même plus
trente ans. J'ai sans doute vécu plus de la moitié de ma vie. Je
vieilli. En fait, je ne le réalise pas très souvent, sinon en
regardant grandir les enfants de ma sœur. Parce qu'eux changent à
une vitesse si fulgurante qu'on ne peut faire autrement que de
réaliser que le temps a passé, même si ce n'est que deux semaines
ou un mois.
Je vais devoir me
préparer mentalement à voir s'étioler la génération qui me
précède, et, inévitablement la mienne.
Ça laisse bien des
réflexions philosophiques en perspective...
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