Le gâteau d'anniversaire
La nuit était chaude et je devais faire vite pour que mon petit festin portatif ne se gâche pas durant le transport. Aucune tergiversation n'était possible, aucun retour en arrière envisageable. J'ai hésité avant de sonner à sa porte. Les dents du loup ont toujours eu un effet rébarbatif sur mon courage. Cette peur lancinante de se faire lacérer les tripes plus sûrement que la surface du corps. J'ai souris, gênée lorsqu'on m'a dit d'entrer et j'ai lancé le paquet sur le divan en disant : « La dernière fois tu étais déçu que je n'en ai pas pris pour toi ». Le visage du loup s'est éclairé, ses rides faisant sourire ses prunelles. Les papilles frémissantes de plaisir anticipé, mains tendues, désarmées. Il a tapoté le coussin à ses côtés, invitation muette à le rejoindre. J'ai failli reculer. Soudainement rétive à me laisser happer dans cette bulle à laquelle j'aspire pourtant. J'ai presque tourné les talons pour de bon. Alors j'ai fermé les yeux pour mieux respirer, j'ai vu le vertige me plonger dans le vide. Et je me suis affaissée sur le divan, laissant un bon mètre d'espace entre son corps et le mien. Il ne faudrait pas non plus me prendre pour plus hardie que je ne le suis.
Il a ouvert son paquet, les yeux gourmands. J'ai dit que je voulais prendre la première bouchée, histoire d'y avoir goûté. Il m'a rétorqué que c'était son désert et qu'il devait avoir l'honneur d'y plonger le premier. Je ne savais plus dans quoi il voulait plonger. J'avais les mains moites, la gorge humide, les yeux dans le vague, l'angoisse galopante. Il a chantonné en dégustant, comme un enfant qui aime ce qu'on met dans son assiette. Il m'a dit : « Ferme les yeux pour bien goûter toutes les saveurs ». J'ai fait non de la tête. Il a ri de moi. Il me voyais me débattre contre les mailles du filet dans lequel je m'étais moi-même jetée. Il a répété, plus tout pas son injonction, comme une prière à mon intention. Ça été plus fort que moi, j'ai fermé les yeux pour calmer le tournis. La bouchée, trop grosse qu'il m'avait tendue a débordé sur mes lèvres. Il a saisi mon poignet; état d'urgence. Je ne pouvais plus rouvrir les yeux; état de manque.
J'ai eu le goût de tout recracher, mon coeur le premier. Battant à toute force dans mes veines. Et ses doigts sur mon pouls étaient témoins de mon émoi. La fourchette en tombant a fait un petit bruit cristallin sur le parquet. Des bouts de phalanges on effleuré mon front mouillé de sueur. L'haleine du loup s'approchait de sa proie. La peur qui vrille les gestes à l'impuissance. Des lèvres sur mes tempes, mes yeux toujours clos. Un éclair de soulagement. Le bonheur qui rejoignait mes pas.
J'ai ouvert les yeux dans une pièce sans lueurs. Éclairée seulement par mon soleil intérieur. Un morceau de gâteau écrasé sur le sol. Et le souvenir d'un loup qui n'avait jamais existé, imprimé dans tous les pores de ma peau.
Libellés : Sur la frontière du réel
C'est... spécial n'est-ce pas? J'aime bien ce texte.
J'aime beaucoup...!
Et moi qui croyais que tu t'étais enfin décidée... tu m'as bien eu!
Lew : Qu'est-ce que tu veux dire par spécial?
Vertige : Eh bien merci!
Damao : Yesssssssssssss!