lundi, novembre 24, 2008

Mémoires de décembre

Je suis un peu en avance avec ce texte, mais à chaque année, je renonce à l'écrire le jour dit parce que d'autres sur la toile racontent mieux que moi ce qui s'est passé. C'est pourquoi, je devance le temps cette année, de peur de me censurer. Encore

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Tous les matins, ou presque, Stéphanie le croisait sur le chemin qui menait à la polyvalente. Ils partageaient quelques cours, mais pas d’amis et surtout, jamais un mot ni un regard. Elle connaissait son nom depuis plusieurs années déjà, à cause de l’école et si ce n’était du fait que sa demeure croisait son chemin quotidiennement elle n’en aurait jamais su plus sur Jean-François. Un garçon bien ordinaire. Un peu timide, pas vraiment beau, pas laid non plus. Il ne possédait pas le charme de ces jeunes hommes qui faisaient la loi à l’école. Il n’était qu’un dans la masse. Elle aussi d’ailleurs. Mais leurs groupes anonymes ne se côtoyaient pas. Ce matin là pourtant, ils s’étaient échangé un regard sur la route. C’était un lundi matin, pas tout à fait comme les autres. Le premier cours à l’horaire de ces adolescents fébriles en était un d’histoire. Un cours attendu, puisque qu’au début de chaque mois, ils discutaient d’actualités. Trois élèves présentant tour à tour, les actualités internationales, nationales et régionales, dans l’ordre. Arrimant ainsi le passé au présent. Et c’était leur tour à tous les deux, ordre alphabétique oblige.

Elle était anxieuse. Elle devait briser la glace, raconter et commenter ce qui s’était passé autour du monde durant le mois écoulé. L’Afrique du Sud, la France, les États-Unis étaient à l’ordre du jour. Dix minutes pour présenter tant de choses, c’est court. Stéphanie s’en sortit sans trop de heurts. Survécu même à la période de questions des autres élèves. Elle écouta comme dans un rêve, l’exposé suivant, celui sur les nouvelles nationales, qui d’ordinaire l’intéressaient le plus, encore crispée par son propre exposé. Puis, ce fut au tour de Jean-François. Tous savaient au moins un thème qui serait abordé au cours de l’exposé. Polytechnique est ses mortes. Cinq jours seulement après le drame, il était évident que le sujet serait à l’ordre du jour.

Rapidement, les élèves se sont rendu compte que leur collègue approuvait le geste posé par Marc Lépine. Un silence glacial s’installa dans la classe. Les adolescents étaient tétanisés tandis que le professeur, blanc comme un linge interrompait la présentation en demandant un « pourquoi, empreint d’horreur et de doute ». Dans le fond de la classe, quelques filles se mirent à pleurer. Stéphanie, elle sentait son cœur manquer quelques battements. C’était l’hiver, dans l’hiver. Jean-François, à l’avant, semblait inconscient de l’effet qu’il produisait sur ses compagnons de classe et répondait avec une hargne que les autres n’auraient jamais soupçonnés aux questions du professeur. De ce discours, Stéphanie de retenu que la blessure d’un garçon qui n’était pas encore tout à fait un homme, tentant de se dépêtrer du sentiment de transparence qu’il ressentait lorsqu’une demoiselle le croisait. Et qui s’était mué en hargne profonde. Elle se disait qu’elle aurait dû lui parler. Avant.

C’est à ce moment qu’il se mit à cracher son venin sur les filles de la classe. Et Stéphanie était du nombre des victimes de cette colère plus grande que nature. Frissonnante, elle espérait que la cloche sonne au plus vite et surtout ne pas avoir à faire le chemin vers la maison avec la muette compagnie de Jean-François quelque par autour d’elle. Cela ne se produisit pas ce jour-là, ni les jours suivants. En Janvier, il devint évident que Jean-François avait quitté la polyvalente.

Mais son souvenir, lui n’a jamais quitté ceux qui l’avaient entendu.

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3 Commentaires:

Blogger Juli s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Wouah.

Ça frappe.

5:29 p.m.  
Blogger Michèlelamamande s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Wow! Quelle façon originale, quel biais différent pour souligner ce terrible 6 décembre

12:03 p.m.  
Blogger Mamathilde s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Juli : des fois les reprises à Canal D sont inspirantes.

Mamamanàmoi : Je ne t'avais jamais raconté cela? Même en 1989? Cette histoire est particulièrement collée sur la vérité pourtant...

12:40 p.m.  

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