dimanche, février 22, 2015

Petite Marie

Mon premier boulot était dans un club vidéo. C'était à l'époque où ces endroits étaient au centre de la vie de quartier : l'offre télé était relativement limitée et internet n'existait pas vraiment. Les gens louaient des films pour passer le temps. Certaines familles réservaient des nouveautés à chaque semaine, dont celle de Petite Marie, que j'appelais ainsi à cause de la chanson de Cabrel et du fait que c'était une toute jeune adolescente qui n'avait pas encore atteint sa pleine hauteur.

Encore aujourd'hui, je me demande pourquoi elle a tant voulu être mon amie. Ce qu'elle a pu passer comme temps, au club vidéo pour attirer l'attention des grandes qui y travaillaient. La mienne en premier lieu. C'était une personne à l'esprit rationnel, douée pour les chiffres et les sciences, très cartésienne, comme toute sa famille, du reste. Elle portait une joie de vivre qui résonnait dans son rire. Moi j'étais au sommet de ma carrière de Reine du drame, vivant mes émotions en montagnes russes. Je n'étais certainement pas terre-à-terre, en tout cas. Petite Marie a persévéré à vouloir être mon amie, et réussi. Je ne pense pas que j'ai mis une once de condescendance la laisser entrer dans ma vie, malgré le fait que j'avais trois ans de plus qu'elle, et qu'à cet âge, ça paraît.

C'était une personne généreuse. Immensément. Être mon amie n'était, semblerait-il, pas suffisant. Il fallait qu'elle partage avec moi toute sa famille. Je les avais apprivoisés et eux m'avaient adoptée. Je connais ma chance, je sais bien que peu de gens peuvent se targuer d'une telle situation, et c'est à Petite Marie que je le dois.

Nous avons passé ensemble à travers des années charnières de l'adolescence. Il lui arrivait de trouver que j'étais un peu trop expressive, particulièrement dans des assemblées publiques. Mais, parce que c'était moi, elle faisait avec, même si sa personnalité était moins, disons, versée dans les excès qui me caractérisaient. Elle était la personne qui me ramenait régulièrement sur le plancher des vaches, à coups de points de vue pragmatiques.

Je suis partie étudier à Sherbrooke, ne revenant à Montréal qu'assez rarement, au fil du temps. Elle est allée étudier à Trois-Rivières et le temps à fait son œuvre, nous éloignant l'une de l'autre. Une amitié qui s'étiole jusqu'à ne plus exister, par manque de contacts.

Et puis, les réseaux sociaux sont arrivés. Et on s'est retrouvées, sans se revoir. En sachant qu'il y avait quelque chose de très fort et de très précieux dans notre passé commun. Puis, ce garçon-là et moi on s'est revus. C'est son frère. Vendredi soir, il a fait un spectacle, que je n'aurais manqué sous aucun prétexte. Lorsqu'elle est arrivée, j'ai eu droit à un espèce de serre-fort qui décoiffe, mais qui fait tellement de bien. Nous avons savouré la performance, magnifique, de ce garçon-là. À un moment donnée, happée par la musique et la prestance de son frère, des larmes d'émotions se sont mise à ruisseler sur les joues de Petite Marie. J'ai sorti mes mouchoirs et elle m'a serré le bras très fort, comme pour se raccrocher à un ancrage nécessaire dans ce flot de trop plein. Moi j'ai eu l'impression que j'étais une femme comme il s'en fait peu et j'ai pris toutes les décharges d'amour qu'elle m'a partagé.

Je l'avais appelée Petite Marie parce que je l'ai connue lorsqu'elle n'était qu'une toute jeune adolescente, mais il y a bien longtemps qu'elle est plus grande que moi.

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1 Commentaires:

Blogger Unknown s'est arrêté(e) pour réfléchir...

Magnifique et touchant portrait

11:52 a.m.  

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