Une femme d'honneur
Je m'étais rendue à son
bureau, armée de toute la mauvaise foi dont je suis capable. Ça ne
me tentait pas, je n'allais pas l'aimer, nous n'allions pas nous
entendre. C'était écrit dans le ciel.
Évidemment, j'ai eu
tort. Elle avait je ne sais quoi qui m'avait immédiatement mise en
confiance. Malgré le fait que je devais me taper des heures de
transport en commun pour m'y rendre, une seule rencontre m'y avait
résolue. Elle avait su mettre le doigt sur mes travers
professionnels en même pas un mois. Sans m'en accuser, elle me
m'avait simplement pointé ce que je faisais qui ne m'aidait pas. Des
choix de mots, de phrases qui, l'air de rien, me rendaient vulnérable
à la critique collective des employés dont j'avais la charge.
J'ai eu le sentiment
d'éclore, sans toutefois réussir à atteindre sa main de fer dans
le providentiel gant de velours. Elle avait ce sens de ce qui allait
fonctionner ou non, qui me laissait sans voix. Un sens aigu des
nuances, aussi. Ce qui n'était pas toujours ma qualité principale,
ni à ce moment ni aujourd'hui. Elle avait tôt fait de déceler mon
sens de l'exagération et du drame, malgré le fait que je ne sois
plus la Drama Queen de mon
adolescence.
Après
toutes ces années de collaboration, il m'arrive encore de débarquer
dans l'encadrement de sa porte, toute en émotions, alors elle lève
son regard bleu sur moi tandis que j'y lis une infinie patience et
beaucoup d'humanité. Comme pour me laisser le temps de m'apercevoir
toute seule que la situation n'est somme toute, pas si grave et que
j'ai tout ce qu'il faut pour y remédier par moi, même. Juste en
prenant un certain recul. Bien souvent, le simple fait d'exprimer mes
doutes et mes angoisses, un peu n'importe comment, me donne
l'occasion idéale pour avoir une vue d'ensemble sur ce que je suis
en train de vivre.
J'ai
trouvé en cette interlocutrice, une personne à l'humour aiguisé et
fin. Qui a rapidement décrété qu'elle divisait tout ce que je
disais par trois, afin d'avoir une idée plus juste de la situation.
Alors, lorsqu'il m'arrive de lui donner du premier coup l'heure
juste, sans aucune espèce de fioriture, j'ai appris à appuyer mes
dires de chiffres, de tableaux, d'analyses pour contourner le piège
que je m'étais tendue sans l'aide de personne. J'ai eu à me rendre
à l'évidence que de travailler sur nos menus défauts nous amène
beaucoup plus régulièrement qu'on veut bien l'admettre, à se
dépasser.
Je crois que la plus
grande leçon que j'aurai apprise à ses côtés c'est qu'il est
toujours préférable de mettre de côté les jugements fabriqués
d'avance, de parer la réflexion de nuances et surtout de ne pas agir
sur des coups de têtes. Ce qui, dans mon cas, est tout un défi.
C'est une femme généreuse
qui laisse les gens déployer leurs ailes et grandir sans jamais en
prendre ombrage et qui possède une acuité indéniable dans sa
perception des gens.
C'est une femme
d'honneur, en vérité.
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