Une funambule
La première fois où je
l'ai vue, c'était par une belle journée d'automne. Il me semble que
le soleil était radieux et que les arbres arboraient des couleurs
éclatantes. Elle ne le savait pas, mais moi, du haut de mes neuf ans
et demi, j'attendais depuis bien longtemps de faire sa connaissance.
Honnêtement, sur le moment j'ai été déçue. Elle était toute
fripée, et il m'apparaissait évident qu'elle ne pourrait pas être
ma meilleure amie la semaine suivante. J'aurais dû m'en douter
pourtant, j'avais déjà deux petits frères qui avaient eux aussi
été des bébés. Enfin bref, j'avais fait contre mauvaise fortune
bon cœur et pris la décision de l'aimer de tout mon être.
Elle a été une petite
fille joyeuse et vive qui aimait profondément les animaux. Un de nos
frères était allergique à bien des animaux, mais ça n'a pas
empêché la petite d'adopter un chat lorsqu'elle avait quelque chose
comme quatre ans. On venait de comprendre, en famille, que ma sœur
n'irait jamais sans chat, quelles que soient les circonstances. Ce
sont deux concepts qui vont ensemble, ma sœur et un chat. Mais
c'était aussi une petite fille rayonnante, à l'oreille impeccable.
Elle comprenait l'anglais avant que je ne le fasse, malgré nos
presque dix ans de différence. J'ai un souvenir vivace d'une marche
sur la rue Prieur, durant laquelle elle m'a chanté les vraies paroles d'une chansons qui jouait continuellement dans ma chambre,
alors que je n'aurais absolument pas pu les citer parce que je ne les
comprenais pas.
Je n'ai pas beaucoup
connu l'adolescente, je vivais dans une autre ville et je ne revenais
à Montréal que quelquefois par année. On se parlait un peu au
téléphone, de son camp qui était le centre de son univers, ou des
Girlmore girls parce qu'on l'écoutait ensemble, à distance. Et
l'air de rien, pendant qu'elle devenait une femme, moi je m'enfonçait
dans le pays des zombies, alors bien entendu, nos relations n'étaient
pas si fameuses. D'autant que je me choquais beaucoup. Ce qui
n'amieutait pas les relations familiales.
Elle est vite devenue une
jeune adulte bien dans sa peau et active dans son milieu. Je crois,
que pendant un moment de sa vie, elle trouvait qu'elle était devenue
un peu ma grande sœur, parce qu'elle atteignait des paliers de vie
que je ne rencontrerai jamais. Elle avait le début de l'âge adulte
quelque peu intransigeant.
Et puis, elle est devenue
mère. Une belle et bonne maman. Douce sans être gâteuse. Ferme
mais pas rigide. Et comme femme, ses angles se sont arrondis sans
qu'elle ne s'en aperçoive. Un plus grande tolérance ajouté à un
peu moins d'impatience généralisée. Elle aura appris à manœuvrer
sur un fil de fer à hauteur de ciel tout en gardant obstinément ses
deux pieds sur terre.
C'est une des choses qui
me fascinent le plus chez elle, sa capacité à avancer toujours
quelque soit l'étroitesse du chemin quelle décide d'emprunter.
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