mercredi, septembre 19, 2007

Le parfum des livres

Petite, j'adorais les robes qui tournent. Je rêvais d'être une princesse et de porter ces grandes robes à crinolines, tellement encombrantes mais oh combien élégante dans mon imaginaire d'enfant. Les robes qui s'étalaient en corolle autour de mon petit moi lorsque je pivotais jusqu'à me donner le tournis me permettaient plus facilement de croire que je faisais partie d'une scène de Autan en emporte le vent ou de Sissi. Je pouvais dès lors m'évader dans un monde féerique, m'inventer une vie, laisser courir les fils de mon imaginaire jusqu'à tisser une toile douillette dans laquelle mes sourires faisaient la loi. Cependant, si j'aimais ces nouvelles robes, je détestais devoir faire les boutiques avec maman pour choisir ces objets de désir. Assez rapidement, maman a pris l'habitude de courir les boutiques sans moi et je trouvais les étoffes de mes rêves sur le pied de mon lit en rentrant de l'école. Encore aujourd'hui, le magasinage m'impatiente, je fais toujours grand cas de mes passages obligés dans ce que j'appelle « les magasins de mesdames » parce que j'ai un besoin criant, comme lorsque mon jeans décide de se déchirer d'un bout à l'autre pendant mon trajet de vélo jusqu'au travail. Comme si je sortais d'une guerre particulièrement difficile.

Par conséquent, je n'ai jamais été particulièrement dépensière. Pendant que mes amies dépensaient tout leur argent de poche en nouveautés vestimentaires, le mien s'entassait tranquillement dans mon compte de banque. Je ne possédais pas une fortune, mais disons que j'avais un peu plus de moyens que la plupart de mes copines puisque je ne trouvais jamais rien qui me plaise dans les magasins que nous visitions la fin de semaine. Ça été vrai jusqu'au jour où nous sommes entrées dans une gigantesque librairie. Et là, pour la première fois de ma vie, l'argent m'a brûlé les mains. Je n'ai pas pu résister à l'appel des bouquins qui me faisaient de l'oeil sur les tablettes. Je me suis pratiquement vautrée dans les pages des livres qui craquaient sous mes doigts laissant émaner l'odeur de colle neuve qui les caractérise.

J'ai eu l'impression d'entrer dans mon pays. Celui où les héros portent les visages que je veux bien leur donner. Chaque étalage portait un ami. Ou plusieurs. Des milliers de livres prêts à être dévorer. Des tonnes de parfums qui m'appelaient d'une étagère à l'autre. Une ouverture vers l'imaginaire. Je n'ai pas pu tout acheté ce que j'aurais voulu me procurer, près de vingt ans plus tard, il y a beaucoup de livres que j'aimerais posséder qui ne font pas partie de mes bibliothèques quoique celles-ci débordent et compliquent singulièrement mes déménagements fréquents. Et je suis complètement incapable de me défaire de ces volumes : ils forment une part de mon identité. Je n'ai qu'à jeter un coup d'oeil dans mes bibliothèques pour voir le cheminement intellectuel que j'ai parcouru dans les dernières années. Où mieux encore, en ouvrir un au hasard, pour y trouver un brin d'herbe, témoin muet d'une activité de plein air que j'avais oubliée, mais dont le parfum empesé me rappelle tous les détails de cette journée évanouie dans le passé.

Je crois que ce que je préfère dans le parfum des livres ce sont ces arômes emprisonnés par distraction qui conserve la mémoire du trajet que ceux-ci ont parcouru. Devenant en quelque sorte un relais mnémonique de mes souvenirs olfactifs.

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lundi, septembre 10, 2007

Un si joli hasard

C'est une drôle de petite bonne femme derrière ce comptoir presque trop haut pour elle. On dirait une pomme un peu vieillie, rouge encore mais pas tout à fait éclatante. Toute ronde et un peu fripée. Elle déborde de joie de vivre et tout son plaisir est de servir adéquatement sa clientèle qu'elle connaît par coeur. Elle sait qui vient chercher des cigarette, qui vient chercher de la bière, elle reconnaît ses interlocuteurs au téléphone en jetant un regard rapide aux chiffres du numéro de téléphone qui s'affiche sur son écran et crie au livreur, avant même d'avoir entendu la commande, « Va falloir que t'aille chez madame Tremblay ! » Quand on vient lui porter des bouteilles vides on constate qu'elle n'est pas très à l'aise avec le calcul mental ; il faudra toujours lui que 10 bouteilles de bière à 0,10$ feront 1,00$ sinon elle sortira sa calculette pour être bien certaine de ne pas se tromper.

En cet après-midi chaud d'un mois de septembre qui a des allures d'août, le dépanneur est plein. Il y a des clients jusqu'au fond de la petite pièce dont les étalages grimpent dangereusement haut. Une vielle dame au comptoir a sérieusement ralenti la circulation, occupée à vérifié tous ses billets de loto qui me semblent si nombreux que je n'arrive pas à les compter. Dehors, un homme fait les cent pas. Je me demande s'il attend que le calme soit revenu à l'intérieur du commerce pour y pénétrer. Les habitants du quartier continuent pourtant à s'y engouffrer et moi j'attends patiemment avec ma pinte de lait. La dame des lotos fini ses achats tandis que l'homme aux cent pas entre pratiquement en courant. Et c'est là qu'il regarde la petite foule assemblée dans le commerce avant de demander à la caissière : « Veux-tu m'épouser? »

Un silence fébrile tombe sur l'assemblée. La petite bonne femme derrière son comptoir se met à fondre à vue d'oeil. Elle est rouge et sans voix. Je la vois chercher ses mots et sa contenance sans parvenir à les rattraper. Elle tord ses petites mains potelées et usées de travail avant de laisser sortir un oui presque inaudible. Pas tellement parce qu'elle hésite mais davantage parce qu'elle a bien peur que son coeur lui sorte de la poitrine si elle parle trop fort. Acclamations et sifflets fusent de toutes part. Un grand éclat de rire termine ces bruyantes effusions. Tous les témoins de cette étrange demande en mariage quittent tour à tour le dépanneur, après avoir payer leurs achats un peu plus lentement qu'à l'habitude, avec un rayon de soleil étampé dans le regard. Moi je quitte les lieux avec ma pinte de lait en me disant qu'il y a des moments où on est vraiment heureux d'avoir croisé un si joli hasard.

Le lendemain soir j'y retourne pour faire provision de cigarettes. Elle est toujours derrière son comptoir. Un peu plus radieuse qu'à l'habitude. Il n'y a qu'une jeune femme devant moi. Lorsque la caissière croise mon regard elle se penche vers la demoiselle qui me précède et lui dit comme si un secret lui brûlait les lèvres : « J'ai reçu ma première demande en mariage hier. » L'interlocutrice de répondre, amusée « Ah oui, et qu'est-ce que tu as répondu? » « Ben j'ai dit oui! Qu'est-ce tu penses! Il est tellement merveilleux mon homme! Ça aurait été n'importe qui d'autre que j'aurais refusé, mais là, je pouvais pas! » Et pour la première fois je réalise qu'elle porte cet accent salin des gens qui ont grandit sur les rives de l'estuaire. Je la vois différemment. Plus comme une petite bonne femme qui ressemble un peu à une pomme bien mûre, mais comme la jeune fille pleine de rêves qui a un jour foulé les plages de gravier qui enserre les rives du fleuve Saint-Laurent.

Elle me lance un clin d'oeil complice, après tout j'étais un témoin de son émoi. Je me penche vers elle pour lui donner toutes mes plus sincères félicitations. Et je sais que je ferai désormais partie de son existence puisque j'étais présente lors du plus grand moment de sa vie. Et j'ai bien hâte de savoir quand et comment sera la noce. Je m'amuse à lui en parler à chacun de mes passages. Pour le plaisir de voir les étoiles s'allumer dans ces yeux ravis.

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