mercredi, août 31, 2016

Un pas dans l'Univers

Je suis un petit garçon curieux. L'exploration c'est mon domaine. J'aime me promener à quatre pattes, glisser mes petites menottes sous les divans, dans les fentes des parquets, ouvrir et fermer la porte de mon armoire. C'est la mienne parce que c'est la seule que je suis capable d'ouvrir. Et je peux même la vider au complet. J'adore me retrouver assis au milieu des plats en plastiques, armé d'une cuiller en bois et chanter en m'accompagnant de la belle musique que je produis.

J'aime aussi ma grand-mamie. Je la connais bien, je la vois souvent. Elle sent presque aussi bon que Maman. Elle me fait rire et me fait faire plein de choses comme qui font applaudir les autres grandes personnes. Comme les beaux yeux ou le lapin. À tous les coups, ça fonctionne. Et moi, je trouve ça très stimulant quand on me fait des grands bravos ou qu'on rigole à cause de ce que je fais. Alors, quand Grand-mamie me montre quelque chose, je m'efforce bien fort de refaire très exactement ce qu'elle me montre.

Il y a aussi Papi. Oh lui je l'aime ! Avec sa grosse voix qui vibre bien quand il me prend dans ses bras. Il est si drôle ce Papi là ! Il coure et coure après-moi avec les mains qui veulent me chatouiller pendant que je me sauve le plus vite possible jusqu'à ce que je sois coincé, plus capable d'aller ni en avant, ni en arrière et encore moins sur les côté pendant que Papi me dit : « Je vais te manger ! » Alors je ris, je ris et je ris encore. Des fois, je ris tellement que j'en deviens tout fatigué et que je soupire bien, bien fort pour reprendre mon souffle.

Mon préféré de tous les préférés, c'est mon papa ! Il est si... Papa. Quand je le vois, je veux qu'il joue avec moi, qu'il me donne mon bain, qu'il me chante des chansons qu'il me prenne dans ses bras. J'aime particulièrement lorsqu'il me fait doucement sauter sur son genou pendant qu'il mange. Maintenant que je suis grand, je peux même manger la même chose que lui, dans son assiette. C'est vraiment meilleur que sur la tablette de ma chaise-haute.

Évidemment, il y a Maman. Elle est toujours-là. Ben presque. L'autre jour, elle m'a laissé tout seul avec Grand-mamie. Ça ne me dérangeait pas d'être tout seul avec Grand-mamie. Elle m'a encore montré plein de choses et m'a chanté tout plein de chansons que j'aime. Mais quand Maman est revenue, je n'étais pas content. Enfin, j'étais content, mais pas content en même temps. Alors, je le lui ai fait sentir, je me suis blotti bien fort dans les bras de Grand-mamie, même si Maman me tendait les bras et me demandait : «  Tu veux du lait, Zazou ? » Pfff ! J'ai résisté longtemps. Sauf que j'ai fini par me rendre pour me lover contre cette odeur que je connais depuis toute ma vie. C'est toute ma sécurité.

Aujourd'hui, ce sera une nouvelle journée d'exploration pour moi. Je vais à la garderie. Sans Maman ni Papa ni Grand-mamie ni Papi. Ouf ! Ce sera toute une une aventure.

J'ai déjà hâte de leur raconter.

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samedi, août 27, 2016

Une accusation lancinante

C'était un soir de canicule. L'un de ceux où l'impatience de tout le monde était à vif parce que ça faisait déjà plusieurs jours que la moiteur nous enveloppait comme un paletot de plumes à un moment où nul n'en a besoin. La rame de métro n'était pas particulièrement remplie et pourtant chaque nouvelle entrée étrivait la patience générale parce que qu'elle fournissait une source de chaleur supplémentaire.

L'irritabilité était palpable autour de moi. J'entendais beaucoup de soupirs exaspérés à chaque fois que le train prenait un peu plus de temps qu'à l'ordinaire à quitter une gare. Comme si chacun des personnages en présence avait un rendez-vous urgent à honorer dans les délais les plus brefs. Même les groupes de gens ne semblaient pas en mesure de se faire la conversation tellement tous étaient épuisés par l'air ambiant.

À Mont-Royal, un homme s'est engouffré dans le wagon. Un homme que j'ai vu souvent ; que j'ai entendu souvent. Il s'est planté au beau milieu de l'engin et s'est mis à haranguer les passagers : « Bonsoir, j'ai un message important à faire. » Pas de réponse. Les yeux de chacun se sont résolument baissés sur leurs appareils électroniques ou perdus dans l'observation du décor fascinant que les fenêtres laissent voir dans les tunnels.

Il avait une voix de stentor au phrasé bien posé. À chaque fois que ma route avait croisé la sienne, j'avais été frappée de cet état de fait. Pour un peu d'abstraction on aurait pu croire un animateur de radio. Malgré l'indifférence généralisée, il avait continué : « Mon nom est Éric, et je vis dans la rue. Je n'ai pas pu me trouver une place aujourd'hui pour dormir et prendre ma douche, mais j'en ai une réservée à La Maison du Père demain. Je n'ai rien mangé depuis hier matin. Là, j'aurais besoin de treize piastres pour pouvoir me laver, prendre une hostie de bonne douche. Ce n'est pas beaucoup treize piastres, pis à la gang c'est vraiment peu. Et pour moi, ce serait vraiment beaucoup. »

J'avais pensé que c'était un très joli discours. Mais personne, moi la première n'avait mis la main dans sa poche pour l'aider. Le problème, c'est qu'on ne peut pas décemment donner à l'un sans en voir un autre se substituer au premier dans la fraction de seconde qui s'en suit. Et puis, ces interpellations sont un peu épeurantes quand la il fait noir dehors, malgré les lumières blafardes du métro. On a honte aussi de ne pas tendre la main. En tout cas, moi j'avais honte. Je craignais aussi qu'il ne me suive à la sortie, m'arrive quelquefois. Peut-être que je ne joue pas assez bien de l'indifférence apparente.

Je m'étais donc ruée hors du wagon, la toute première. J'avais jeté un regard par dessus mon épaule pour voir ce qu'Éric faisait. Il était resté accroché à son poteau, le regard désespéré. Vraiment désespéré et mon cœur s'était fendu devant autant de détresse.

Mais je n'étais pas retournée lui faire l'aumône qu'il demandait.

Depuis, sa voix résonne dans ma tête à toutes les fois où je mets les pieds dans un wagon de métro quand la nuit est tombée.

Comme une accusation lancinante de mon manque de générosité.

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jeudi, août 25, 2016

Récolter les bribes du réel

Il me semble que c'était pendant les vacances d'hiver. Celles qui le coupent en deux. Je jouais à la poupée dans ma chambre avec une amie, Marie qu'elle s'appelait, nous avions conçu une maison dont les chambres étaient sous mon bureau. Quand la porte s'est ouverte, nous étions toutes les deux sous le bureau, bien affairées à nos chimères et ma mère nous a dit : « Il y a Jacques au téléphone, il veut savoir si ça vous dirait d'aller voir La guerre des tuques au cinéma dans une heure ? » Jacques, c'était le papa de Marie. On s'est regardées toutes les deux avant d'exploser de joie et de nous exploser la tête sur les arrêtes du meuble, en trépignant sur place.

On ne savait pas vraiment ce qu'était ce film, sinon qu'on en entendait beaucoup parler déjà. On savait que c'était un film avec des enfants ; des vrais enfants. Alors forcément, on était curieuses d'aller le voir et qu'on ne pouvait pas refuser une telle proposition.

C'est étrange, parce que je me rappelle précisément le moment de la proposition du film, mais absolument pas de la séance de cinéma. Le film par contre, m'a profondément marquée, comme il a marqué une bonne partie des gens de ma génération. C'était un film, au cinéma et les acteurs avaient mon âge, ou peu s'en faut. En plus, ils parlaient ma langue. Pas le français, j'avais vu déjà plusieurs films en français, beaucoup de films d'animation dont les personnages étaient des enfants, mais ils parlaient un français qui n'était pas le mien. Qui plus est, les décors ne ressemblaient généralement en rien à ma réalité.

Ce jour-là cependant, j'avais sous les yeux une histoire de vacances de Noël dans un décors que j'avais déjà vu, de mes propres yeux. Pas le fort on s'entend, mais le reste, je le connaissais. C'étaient des enfants qui n'avaient pas peur de la neige ni du froid. Des enfants qui bougeaient pour ne pas se retrouver transis. Ce jour-là, j'ai compris que les histoires dans ma tête pouvaient s'inscrire dans le décors que j'habitais. Ce n'est pas rien. Un raz-de-marée de possibilités.

Plus besoin d'écrire Il était une fois avant de débuter quelque chose, plus besoin de camper un décors dans une lointaine contrée ; une histoire pouvait vivre, faire rire et faire pleurer en même pas deux heures avec mon accent, mes référents et ma poésie.

J'ai pensé toute l'année à cette anecdote, celle des deux petites filles qui se cognent la tête de concert sous un meuble parce qu'on leur propose une activité stimulante et parce que j'ai baigné dans la version 3D de ce long métrage qui m'avait tant parlé. Je n'avais pas trouvé l'angle pour l'aborder. Mais ce soir, au soir des soirs de la vie de monsieur Melançon, je me suis dit que je pouvais prendre ma plume pour le remercier de m'avoir ouvert ces portes sur mon imagination.

Parce que je suis avant tout une portraitiste fantaisiste de mon réel, aussi traficoté soit-il.

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dimanche, août 21, 2016

L'analyste

C'était par une belle journée de l'automne 1992. Je ramassais mes affaires à la fin d'un cours de français quand une fille dont je n'avais jamais retenu le nom lors des prises de présences vint se planter à côté de la place que je tentais, tant bien que mal de libérer. Elle m'avait lancé : « Je dois manquer les deux prochaines semaines d'école, nous avons deux cours ensemble, sur les quatre auxquels je suis inscrite. Est-ce que tu accepterais de me prêter tes notes de cours ? Et je te le dis tout de suite, ça va arriver souvent au cours de l'automne. » J'avais accepté illico, sans poser aucune question. Elle en était restée sidérée.

Deux semaines plus tard, nous nous étions donné rendez-vous dans un des nombreux locaux étudiants avant le début des cours et elle avait diligemment photocopié mes notes de cours. Je me rappelle avoir beaucoup ri avec elle en lui traduisant certaines de mes abréviations toutes personnelles qui n'avaient de sens que pour moi. Juste avant de nous rendre en classe, elle m'avait dit que j'étais la seule personne à qui elle avait demandé ce service qui lui avait spontanément dit oui, sans lui en demander la raison.

J'étais perplexe. Je ne voyais pas pourquoi refuser ce service, ça ne m'enlevait rien et les raisons de son absence lui appartenaient. Je n'aime pas quand les gens me poussent dans mes retranchements pour avoir mes confidences, alors j'accepte celles que l'on me fait, mais me fait un devoir de ne pas gratter pour les obtenir. Et cette fille était si mince qu'il était possible qu'elle fut malade ce qui aurait pu expliquer ses absences.

Ce n'était pas du tout le cas. Au bout de quelques mois, nos collaborations ayant duré un an et demi, elle m'avait expliqué qu'elle faisait partie de l'équipe canadienne de plongeon et qu'elle quittait régulièrement pour des compétitions à l'international. Elle m'avait invitée à aller la voir s'entraîner un jour. Et j'avais été impressionnée. Par sa prestation, bien sûr, mais aussi par les prouesses que j'avais vues au centre Claude-Robillard. Je ne m'étais jamais intéressée à ce sport avant ce jour, mais depuis je regarde toutes les compétitions auxquelles je peux avoir accès.

J'ai quitté le cégep sans prendre son numéro de téléphone. Ce n'était pas mon amie, simplement une fille à qui j'avais rendu un tout petit service. J'ai cependant continué à la suivre de loin, l'oubliant régulièrement, entre deux prestations.

Elle a gagné une médaille de bronze en 1996, vivant par la suite une tempête médiatique à laquelle elle n'était certainement pas préparée parce qu'elle n'était pas la plongeuse la plus en vue au Canada avant sa médaille. Dans les mois qui ont suivis sont exploit, elle a été jugée et vilipendée. J'étais triste pour elle parce que je me rappelais d'une fille allumée et intelligente et que j'aurais été fort surprise que ces qualités se soient évaporées en quelques années.

Désormais je l'entends aux quatre ans, analyser les prestations des plongeurs actuels. Avec beaucoup de simplicité et aussi un don certain pour faire comprendre aux citoyens lambda les figures qui sont faites par les athlètes. À tout coups, je revois la mince jeune fille qui s'était planté devant moi pour me demander mes notes de cours, avec ses yeux bleus immenses et brillants, sa formidable détermination et son sourire désarmant.

Je me plais, parfois, à penser, que j'ai peut-être un peu aidée, à atteindre les sommets qu'elle visait et qu'elle avait atteint, selon moi.

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mercredi, août 17, 2016

Noir d'encre

À ma sortie du travail hier, il pleuvait. C'était dru, froid et il y avait des piscines en bordures des trottoirs. Je ne fais jamais cela, mais j'avais demandé un lift à une employée jusqu'au métro histoire de ne pas faire la ligne orange complètement détrempée. Grand bien m'en fit, pour le temps précieux que j'ai gagné.

Je suis arrivée au métro Papineau vers 22h05 et me suis engouffrée à l'épicerie du coin, histoire d'aller me chercher le lait nécessaire à mon café matinal. Je revenais vers les caisses quand tout s'est éteint. Pendant une dizaine de seconde, j'étais figée dans le noir le plus complet, avant que les génératrices ne prennent le relais. C'est très court, dix secondes ans une vie, sauf que ça m'a parut fichtrement long avant que ne s'allument ces espèces de phares qui m'indiquaient où se trouvaient les abords du magasin. Je suis passée à la caisse avant de franchir la porte pour me précipiter dans une noirceur intense.

Je voyais, à l'ouest, des lumières si lointaines qu'elles étaient floues. Dans toutes les autres directions, c'était le néant. La station de métro était bien entendu illuminée, cependant je l'ai rapidement laissée derrière moi pour me rendre à la maison. Et j'avais peur. Pas de me faire attaquer, la température horrible étant garante de cette forme de sécurité. J'avais peur parce que j'ai peur des pannes d'électricité en partant, mais surtout parce que je devais traverser les voies d'accès du pont Jacques-Cartier pour me arriver à bon port. J'avais froid et je ne voyais pas où je mettais les pieds. Bien entendu, j'ai dû les mettre dans tous les nids de poule que j'ai croisé.

Arrivée à la première traverse, j'ai vite constaté que le trafic n'était pas trop intense et que j'avais largement le temps de passer de l'autre côté de la voie. Mais à la seconde, celle de la rue Papineau direction sud, les voitures étaient nombreuses et allaient très vite dans les circonstances. Heureusement, j'étais du bon côté de la voie, celui où on les voit arriver justement. Dans l'autre sens, il y a un édifice qui coupe complètement la vue sur la rue Papineau ce qui rend quasi impossible la traversée lorsque les feux pour piétons ne sont pas enclenchés.

J'ai traversé rapidement, dès que j'ai eu une fenêtre pour le faire, sans courir, parce que je ne voulais pas prendre le risque de glisser et de me faire écrapoutir au passage. J'ai retenu un cri de mort en mettant le pied sur le trottoir opposé parce qu'il y avait là un homme que je n'avais absolument pas vu avant d'être presque sur lui. J'ai poursuivi ma route et ça m'a pris un temps fou à réussir à entrer ma clef dans la serrure ; je ne la voyais pas. J'aurais bien pu sortir mon téléphone pour m'éclairer, mais avec la pluie diluvienne, je n'étais pas certaine que ce soit une très bonne idée.

Je me suis illico changé, j'ai cherché une chandelle et me suis résolue lire pour éviter de penser à la panne. Je ne me suis pas mise en colère, je n'ai pas paniqué, mais je n'aimais pas ça du tout. Je n'aime jamais ça.

Et puis, je me suis dit que ma situation aurait pu être bien pire ; si j'avais pris l'autobus, comme d'habitude, l'électricité aurait manqué alors que j'étais à Berri. Et faire tout ce chemin à pieds, dans le noir, dans des rues que je connais pas mal moins par cœur, eut été une épreuve dont j'étais bien contente de m'être passée. Cette heureuse supposition a, par ailleurs, contribué à me calmer les nerfs.

J'ai tout de même poussé un soupir de soulagement quand l'électricité est revenue. Permettant à mon corps de se relaxer assez pour que je puisse aller me coucher.

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dimanche, août 14, 2016

Ces bruits du silence

- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !
- Grrriiissshhhh-tchak !

Le bruit se rapprochait sur le quai silencieux. Si tant est qu'un quai de métro puisse l'être. Ça arrive, presque, les matins de fin de semaines. Personne ne parle, les gens ont les yeux encore ensommeillés, et pas un quidam n'a les oreilles encore assez réveillées pour écouter son baladeur à une force assez soutenue pour que les êtres l'entourant en subissent les contre-coups.

Ce matin-là, je n'avais aucune idée de l'origine du bruit. Ce qui ne m'empêchait pas de rire sous cape à cause de tout ce que mes oreilles avaient capté entre mon domicile et ce quai à cette heure à laquelle j'aime marcher dans mon quartier, à cause de sa quiétude justement.

À peine avais-je passé le pas de la porte de mon domicile que je m'étais trouvée face à une escarmouche entre deux hommes maganés. Je n'avais pas essayé de savoir à quel sujet, changeant plutôt rapidement de trottoir, histoire de ne pas me retrouver dans leurs pattes. Il pleuvait doucement sur le bitume, assez pour que mes bras soient un peu humides mais pas suffisamment pour que je sois détrempée à l'arrivée. Ces matins-là, sont ordinairement encore plus paisibles que les autres, puisque les marcheurs de chiens s'y font discrets et que les ruelles ne résonnent pas des babillages infantiles qui les animent généralement.

Mais au coin d'une rue déserte, j'avais entendu un fond musical western. J'avais l'impression qu'il arrivait de tous les côtés en même temps. J'allais regarder derrière moi, histoire de voir si je ne pouvais pas y trouver l'origine de ce son quand une chaise motorisée est sortie de la ruelle que j'allais croiser. Juché à son bord, trônait un cow-boy, aussi fier et digne que s'il eut monté un destrier dans un cadre plus approprié à son tempérament. Un radio suranné, bien installé dans le panier à l'avant laissait fuser les notes que j'avais entendu pendant qu'un homme encore soûl (ou peut-être déjà soûl) sur son balcon s'écriait : « Saint-Tite, calice ! » J'avais étouffé un fou rire avant de continuer mon chemin.

Sur le quai, j'avais fini par localiser une jeune fille qui s'y promenait de long en large en coupant des morceaux de ruban adhésif de la petite roulette qu'elle tenait à la main. Elle collait les morceaux de l'exacte même dimension sur le support en plastique de sa roulette en attendant l'entrée en gare du train, faisant réverbérer dans les tunnels les bruits incongrus que j'avais perçus.

Une fois installée dans le train, j'ai vu la jeune fille changer de wagon à toutes les stations, dans un sens comme dans l'autre entre Berri et Montmorency, s'asseyant trois secondes maximum sur des bancs libres, le temps de coller sur une page blanche un de ses précieux morceaux de ruban.

Je ne sais pas si tel est le cas pour d'autres que moi, mais décidément, j'aime beaucoup tendre mes antennes vers tous ces êtres que je croise, dans les rues, les transports en commun ou encore les mails de centre commerciaux. Ça me donne, il me semble, un aperçu sur l'humanité, malgré le fait que celui-ci soit montréalocentriste.

C'est le biais avec lequel je dois vivre, et je ne m'en plains pas.

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jeudi, août 11, 2016

Vivres l'effet des étoiles filantes

Les gens qui me sont proches savent que je me suis beaucoup laissée emporter dans les dernières années. Je me plongeais dans la colère comme d'autres se plongent dans une activité sportive. Si je savais que ce n'était pas une manière adéquate de gérer des situations émotivement chargées, je n'en mesurais pas très bien les impacts. J'imagine qu'à trop avoir le nez collé sur le tableau, j'en finissais pas en oublier le paysage.

Je ne me suis pas mise en colère depuis un peu plus d'un an maintenant. Oh, j'ai vécu un paquet de situations stressantes, j'ai senti les émotions me submerger plus d'une fois, sauf que je n'ai pas laisser ma violence me happer. Pas de cris à m'en déchirer les cordes vocales et les tympans des auditeurs ; pas de rage de mots qui dépassent la pensée et laissent des traces dans les mémoires ; pas d'actes violents envers moi-même ou des objets inanimés.

Ça n'a l'air de rien comme cela, sauf que de déconstruire ces mauvaises habitudes, ces réflexes de protection, ce n'est pas si simple. Sentir l'adrénaline monter, savoir quelle pourrait être la suite, l'admettre, prendre un battement de cils de recul et aviser mon interlocuteur qu'il vient de me heurter de plein fouet, que ce soit volontaire ou non, et que j'aurais besoin d'une minute ou deux de silence et être capable, après ce délai, de passer à autre chose.

J'en vois aujourd'hui, les dividendes. D'abord, je trouve beaucoup plus facile de vivre avec moi-même. Parce que pas de grosse colère, ça veut aussi dire pas de grosse culpabilité dans les jours qui suivent. Je constate aussi que des personnes que j'aime beaucoup manifestent plus régulièrement l'envie de me fréquenter, ne craignant plus de voir surgir une explosion quasi volcanique au moment où ils s'y attendaient le moins.

C'est ainsi que j'ai passé la nuit dernière debout à regarder les étoiles filantes. Chez des amis et aussi sur les routes qui nous ramenaient vers la ville au cœur d'une chaude nuit estivale. Une nuit tranquille lors de laquelle toutes les discussions étaient aussi amicales que teintées de vérités. Personne ne semblant vouloir prendre tout l'espace. Ce qui me concerne au premier chef. Il m'aura fallut une pluie d'étoiles filantes pour mesurer tous les étapes que j'avais franchies en un an. À commencer par ne plus avoir ni besoin ni envie de prendre tout l'espace de discussion dans un groupe pour plutôt me laisser bercer par les mots de tous (incluant les miens), les yeux levés vers le ciel.

Je suis rentrée à la maison à une heure indue, fatiguée et heureuse. Trop fourbue pour dormir en fait. Ça faisait bien longtemps que je n'avais pas vu le soleil se lever sur une nuit sans sommeil qui ne soit pas causé par le stress ou toute autre forme d'ancienneté. J'ai profité du moment. Seule dans mon lit, les yeux grands ouverts, et le cœur aussi.

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dimanche, août 07, 2016

Reconnaître l'inconnue

Pendant plusieurs années, les matins de fin de semaine, je voyais la même femme venir sélectionner un paquet impressionnant de revues qu'elle feuilletait pendant une heure ou deux sans jamais en acheter, ni acheter quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs. Comme la plupart des feuilleteurs de magazines, elle ne les replaçait pas, j'avais donc l'occasion de constater que ses préférence allaient vers la musique, particulièrement les instruments de musique.

Je trouvais étrange d'être la seule personne de l'équipe à la remarquer puisqu'il s'agissait visiblement d'une transgenre. Ce qui fait qu'elle avait un look et une stature pour le moins visibles. Si je la voyais régulièrement, jamais je ne l'ai entendu parler et malgré le fait que je lui ai souvent souri, elle ne me rendait pas pas la politesse. J'avais supposé qu'elle n'aimait pas le regard que je portais sur elle, ce que je trouvais assez ironique étant donné que je vis dans un des quartiers de Montréal où on en voit le plus. Je ne suis donc ni surprise ni choquée par ce type d'apparence. Qui plus est, je crois que je ne l'aurais pas trop vue si ça n'avait été des piles de magazines que j'ai eu a replacer derrière elle, hebdomadairement.

Elle avait cessé de se présenter en magasin quand nous avions retiré les magazines. Sortant ainsi de ma mémoire.

Toutes les stations de métro ne sont pas pourvues de musiciens de qualité égales. Malheureusement pour moi, j'ai régulièrement l'impression que le métro Papineau n'est pas tout à fait l'espace le plus couru. Souvent, c'est la même petite bonne femme, bizarrement attriquée qui chante a cappella des trucs pêle-mêle sans mélodie réelle dans lesquels il est continuellement question de Dieu. Ses musiques me font beaucoup penser à l’œuvre de Normand L'Amour, si vous voyez ce que je veux dire.

Pas hier soir, cependant. Dès ma sortie du wagon, j'ai été agréablement surprise d'entendre une énorme voix masculine, claire et juste. Un homme jouait du clavier tandis qu'une femme, dont je ne voyais que les pieds l'accompagnait à la basse. Je m'abstiens, la plupart du temps, de verser l'obole aux musiciens du métro, je ne le fais que lorsque je suis franchement impressionnée. C'est donc en relevant la tête après avoir déposé mes quelques dollars que j'ai réalisé que la bassiste était ma cliente de magazines depuis longtemps disparue. Je l'ai regardée quelques instants interloquée et elle m'a souri, d'un espèce de sourire de connivence fort charmant.

Et c'est sorti tout seul, je lui ai dit : « Oh, je suis contente de vous voir ! » simplement et naturellement. Son sourire s'est élargit jusqu'à ses yeux.

Je crois que j'ai fait sa journée.

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jeudi, août 04, 2016

Une forme de magie

Depuis que la folie Pokémon a atteint le monde, il me semble que je suis souvent la seule personne, dans un autobus, à ne pas avoir les yeux systématiquement rivés sur mon écran à la recherche de la créature rare à attraper. Combien de fois, déjà, me suis-je fait dire : « Mathilde, ne bouge pas, tu as un Pokémon derrière l'oreille ! » Ce qui, vous l'admettrez, est un peu déconcertant. Il y en a même plusieurs sur mon lieu de travail, un centre d'achats, est semble-il un très bon lieu pour la chasse.

C'est ainsi que je vois clients et employés arpenter les allées du centre commercial, dès que possible, à la recherche de la prochaine bête à attraper. Je ne peux pas dire que je ne comprends pas cet engouement, je suis moi-même joueuse, mais pas à ce jeu-là. Pour toutes sortes de raisons, en commençant par le fait que je me sais susceptible d'être complètement accro, ma folie des casses-tête en faisant foi.

Une drôle de bise a cependant commencé à souffler sur cette folie vers la fin de la semaine dernière. Une autre forme de folie, tout aussi réjouissante pour ceux qui y participent. La librairie vibrait d'effervescence depuis que 14 grosses boîtes bien scellées prenaient une bon part de notre espace d'entrepôt. Les employés tournaient autour en essayant d'apercevoir un peu du contenu de celles-ci. Tout le monde a, par ailleurs, respecté l'embargo.

Beaucoup d'entre-eux, m'ont offert de rentrer plus tôt dimanche matin pour m'aider à faire la mise en place. J'avais choisi de déplacer mon quart de travail entre 7h et 15h, plutôt que de faire le 9h à 17h habituel. Ils m'arrivaient aussi avec un paquet d'idées aussi bonnes qu'inusitées pour faire une vitrine accrocheuse et jolie. J'ai trouvé cela amusant et touchant à la fois, parce que d'ordinaire, pas grand monde ne se précipite pour se lever aux aurores un dimanche matin. Sauf qu'il s'agissait ici de la sortie du dernier Harry Potter (même s'il s'agit en réalité d'un texte théâtral, plutôt que d'un roman en bonne et due forme), un personnage qui a marqué leur vie de lecteurs.

Pour un certain nombre d'entre-eux, c'est ce qui les amené à la lecture. Ou plutôt qui les a accrochés à la lecture. Ça leur avait ouvert un monde qui les sortaient des écrans cathodiques en étant au moins aussi intéressant que ce que les consoles avaient à leur proposer. Ils connaissent souvent par cœur de longs passages des romans, parlant de Harry et de ses acolytes comme s'ils étaient leurs amis intimes.

C'est ainsi qu'employés et clients se sont rués sur la librairie à son ouverture dimanche, en me disant qu'ils vivaient une grande émotion puisqu'ils retrouveraient leurs personnages favoris et qu'ils ont collectivement troqué le téléphone pour un bouquin le temps de se replonger avec délectation dans le monde créé par J.K. Rowling.

C'est ce que j'appelle de la magie.

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