jeudi, septembre 28, 2006

Le secret se dévoile

Je me demande bien ce que je ferais, créativement, sans ces thèmes qui m'inspirent une fois par semaine. Voici ma contribution pour le Coitus impromptus de la semaine.

********************************

Je n'arrive pas à dormir une nuit complète. Je m'éveille à 6h00 alors que le soleil n'a pas encore pointé son nez sur mes parallèles. J'ai les tripes en bouillie et une envie de vomir lancinante. J'ai les yeux cernés et le nez en chou-fleur, ma toux me fait mal aux côtes. Je suis au bord de l'abysse dans lequel je me suis mirée pendant de longues années. Je ne suis plus capable d'arrêter la chute, de m'amortir moi-même. La descente est abrupte, les enfers trop chauds. Je n'ai plus la patience d'écouter les jérémiades des clients, qu'ils soient touristes en quête de guide, ou Québécois pressés par un temps des fêtes qui approche à grands pas. Tout m'est trop lourd, trop de responsabilités, trop d'attentes. Lasse des coups dans le dos, des mesquineries sans fin. Lasse de recevoir un des sourires de façade pour apprendre, durant la minute suivante, que finalement l'auteur de cette fleur me trouvait nulle.

J'ai les idées en fuite. Je ne sais plus les retenir pour bâtir des textes qui me soulageraient qui définiraient mon identité. Des images fugaces me traversent l'esprit tandis que je n'arrive pas à en saisir l'essence. J'ai l'épuisement complet, la larme facile. Et la colère encore davantage. Je suis une tigresse enragée qui en veut au premier venu. Plus capable de vivre dans mes culottes, plus capable d'avoir tant à faire en si peu de temps. Plus capable de surnager entre le travail et le travail. Entre le vide et l'absence. Épuisée à la seule idée de me retrouver ensevelie sous une chape de responsabilités plus lourde que le plomb qui entrave déjà mes ailes. Plus capable de me battre avec une estime de soi en dents de scie, cisaillée de cris malvenus qui me répètent que je ne suis pas apte à boire à l'aune de mes aspirations. Plus capable de respirer les culpabilités de mes manquements.

J'ai le corps en loque, les idées noires. Je suis engloutie sous le regard des autres. Sous le regard acerbe que je porte sur moi. J'ai passé des années à espérer un sauveur qui me tirerait loin des griffes de mes créanciers et de mes responsabilités à coup de chèques visés. Quelqu'un qui ferait pour moi ce que je n'avais su faire : réussir. J'ai passé ces même années à espérer un mec qui me donnerait un amour de moi que je n'ai jamais su trouver dans mes propres racines. Quelqu'un qui me prendrait en charge. Quelqu'un qui me donnerait le courage de me lancer dans les projets aventureux de l'écriture de fiction. Quelqu'un qui m'aimerait à ma place. J'ai le corps en loque et l'esprit embrouillé. Je me suis vautré dans l'alcool, et autres substituts de bonheur aussi factices que les sourires que je présente, pour éviter les questionnements redondants des angoisses qui m'assaillent lorsque je me demande qui je suis.

J'ai partagé ma coupe avec des pervers de tout acabit. J'ai partagé mon lit avec des quidams fortuits. J'ai raconté des histoires pour pour fuir toujours plus loin, la réalité morne de mes jours épuisés. Et puis il est venu me proposer ce marché : en échange d'un petit bout de talent et d'un peu d'inspiration, je lui appartiendrais. Je l'ai laissé labourer mon corps comme un champs asséché. Je lui ai permis de boire à mes lèvre le sang de mon corps vieillissant. J'ai obtenu un bout d'étoile, aussi éphémère que ridicule. Du toc pour les petites filles qui mesurent la beauté à coup de falbalas et de clinquant. Je suis devenue aussi futile que mes rêves, aussi riche que Crésus. De l'or me coulait entre les doigts sans que je cherche à le retenir. Et je me suis retrouvée, ce matin, au bord du précipice que je connais trop bien. Celui qui me plonge dans raz-de-marée de mes dépressions. Mon équilibre de pacotille s'est étiolé, ma beauté s'est affaissée.

Pour un peu de paillettes et quelques gouttes de miel, j'ai vendu mon âme.

Depuis je vampirise tous les êtres qui m'approchent, leur volant toutes leurs histoires pour vous les raconter.

mardi, septembre 19, 2006

Les mauvais génies

Voici un petit texte dans un instant volé au temps. C'est ma contribution de la semaine au Coitus impromptus.
*****************************
Ils sont invisibles aux yeux de ceux qui vous regardent. Ils se terrent dans les profondeurs de vos insondables et vous crient des horreurs par la tête à tout moment. Ils vous répètent sans cesse que vous n'êtes pas assez belle, pas assez bonne. Ils se repaissent de vos échecs, comme si ces derniers étaient des victoires chaudement disputées. Ils vous serinent des souvenirs néfastes, les moments dont vous êtes le moins fière, en letmotivs lancinants qui vous poussent à retourner dans vos retranchements.

Ils ont des yeux bleus, noirs ou verts, des dents blanches ou gâtées, ils sont familiers ou étrangers, mais leur présence dans votre vie est incontournable. Et le soir lorsque le sommeil tarde à vous envelopper de sa couche d'oubli, lorsque vous retournez votre existence dans tous les sens, ils vous murmurent que vous n'y arriverez pas. Alors le doute vous serre les tripes. Alors vous pleurez des larmes amères que vous buvez jusqu'à la lie. Alors dans ces nuits sans lumière, vous avez envie de tout laisser tomber. Lorsque vous levez votre regard bouffi sur la glace de la salle demain, dans l'éclat blafard de l'électricité choquante à cette heure indue, vous vous dites : « T'es laide! T'es grosse! Tu peux ben être toute seule depuis si longtemps!» Et vous retourner vous blottir sous les draps, transie de froid.

Quelquefois, vous faites semblant que rien de cela n'existe. Vous vous précipitez dans les bras de n'importe quel quidam qui vous aura surprise d'un appel improbable, pour rien d'autre que l'idée de savourer votre corps un peu et de vous rejeter dans l'oubli dès que le soleil tissera les couleurs dans l'aurore urbaine. Et vous croirez de toutes les forces de vos idéaux que c'était tout de même un peu vrai. Et vous vous direz que de toute manière vous n'auriez rien de plus ailleurs. Que vous ne valez pas davantage que cette nuit sans conduite, et sans suite. Face publique, vous serez forte, vous ferez exactement comme si de rien n'était et vous sourirez à belles dents, en donnant l'impression d'être encore cette tigresse conquérante que vous avez toujours été.

Et puis, un jour, vous arriverez au bout de vos peines. Moralement morte. Usée jusqu'à l'âme. Vous décrocherez le téléphone pour hurler : «Je suis grosse, je me trouve laide. Je me sens seule et je voudrait qu'on me prête un coeur, que je puisse respirer. » Alors on vous dira : « Allons Mathilde, laisse donc taire ces pensées, allons, ma belle, tu sais bien que rien de tout cela n'est autre chose que les drames que tu te crée. Viens, je t'emmène, on va mettre dehors tes mauvais génies.»

lundi, septembre 11, 2006

Les biches 4 : Sound of Panic

Chers Lecteurs-assidus-de-ce-Carnet,

L'automne commençant à rougeoyer tranquillement les terres québécoises, il est maintenant temps pour la Biche-animatrice de reprendre du service. Une fois de plus, elle s'enquiquinera d'un groupe de 51 Français-vacanciers en quête d'aventure au Nouveau-Monde. Ceux-ci ne tarderont pas à constater, du haut d'une déception sans nom, que les autochtones sont en majorité blancs et que les indigènes ne portent plus le pagnes des années de première colonisation.

Votre Biche-assez-folle-pour-se-relancer-dans-une-telle-entreprise, sera donc occupée du matin au soir à entretenir ces Touristes-dépendants-de-leur-animatrice du 14 septembre au 4 octobre, en deux vagues distinctes. Selon leur habitude, les Français-excités, seront plus intéressés par le spectacle qu'offrent les écureuils-urbains grassement installés sur les parterres verdoyants, gentiment aménagés par les cités visitées, que par les indications géographiques, sociologiques, démographiques ou historiques, que la Biche-intéressée a préparé au cours des années.

Au cours des prochaines semaines, La Biche-décoiffée ne sera pas en mesure de mettre à jours ces quelques pages. Elle comprendra d'ailleurs très bien que son absence réelle, du monde virtuel, crée une désertion certaine parmi les fidèles la suivent depuis bientôt 18 mois. Elle espère néanmoins que les groupies réels ou imaginaires des chemins qui traverses ses lignes, auront envie de reprendre leur itinéraire au bond, lorsque la Biche-auteure-de-ces-pages, sera de retour dans un horaire permettant l'écriture.

Bien évidemment, la Biche-amicale, s'ennuiera de son lectorat sympathique, ainsi que de l'animalerie domestique et de son Roger fleurissant en santé sur les marche de son balcon. Elle reviendra sans doute la tête pleine d'anecdotes truculentes et de petites colères à exulter. Elle part, cette année, moins confiante que l'an dernier puisqu'elle sait désormais quels écueils guettent les Biches-trop-confiantes. Mais elle se sait capable de survivre à l'adversité, à l'âge mentale en chute libre d'un groupe de visiteurs étrangers et a une très forte envie de bien s'amuser.

La-Biche-pressée xx

dimanche, septembre 10, 2006

Des hommes sauvages

« Je suis un vieux garçon, épris de sa solitude. Je suis incapable de vivre avec quelqu'un d'autre que moi.» Elle le regardait en souriant, attendant patiemment la suite de sa logorrhée lancinante, pleine de justifications qui ne l'intéressaient pas plus qu'il ne le fallait. Elle lui répondait de se taire un peu, et de l'embrasser. Il lui lançait alors ce regard meurtri, qui la déséquilibrait chaque fois. Elle lui fermait les yeux pour oublier et ils s'enfonçaient dans le silence des mouvements. Il était tendre, nerveux et pressé. Il courait après l'éphémère du plaisir comme d'autres cherchent le bonheur. Elle savait qu'elle faisait partie d'une liste étoffée, mais choisissait de mordre dans l'instant et dans la chair, lorsque l'occasion se présentait. Elle s'habillait sans mot dire pendant qu'il lui expliquait l'angoisse de laisser une fille partager sa couche pour la nuit et s'en allait sans un regard en arrière. Il se croyait soulagé qu'elle n'exige rien.

Lorsque par hasard il la croisait, il lui souriait de toute son âme, heureux de la revoir. Il passait près d'elle en laissant courir ses phalanges sur la blancheur de sa peau. Elle savait alors que son temps était compté, qu'il rappellerait encore, lui proposant invariablement une soirée qui se terminerait dans les bras ouverts d'une douillette cramoisie. Et qu'elle devrait, une fois de plus, se rhabiller en vitesse pour ne pas manquer le dernier métro. Quelquefois, elle lui demandait : « Pourquoi moi? » Il lui répondait que sa peau était si douce que ses doigts en gardait la mémoire. Il lui disait qu'elle l'apaisait. Il lui affirmait qu'elle était différente des autres. Tandis qu'elle ne le croyait qu'à demi. Il posait ses lèvres sur son front, en s'excusant d'être ainsi. Profondément infidèle et dangereusement volage. Elle esquissait une moue amusée, sachant qu'il lui disait la vérité.

Une nuit, elle le quitta sans laisser d'adresse, de téléphone où de lieu de rendez-vous, en se disant qu'elle ne voulait plus se lacérer la chair sur sa sensibilité émouvante. Elle mettait la main sur le bouton de survie. Les premières semaines lui criaient de l'appeler, lui rappelant à grands renforts d'images mentales, de sillons sans sa peau, la douceur des moments. Alors elle a jeté tous les numéros de téléphone qu'elle possédait. Les souvenirs se sont estompés : elle ne gardait que la tendresse en otage. Lorsqu'elle le voyait de loin, elle s'esquivait avant qu'il ne l'ait aperçue. Fuyant l'esquif de ses désirs. Elle disait qu'elle était lasse, qu'elle ne voulait plus de ces histoires sans conduites qui la laissaient éparse dans les nuits de Montréal. Elle disait qu'elle en avait assez de ces hommes qui l'aimaient mais s'aimaient davantage.

À l'autre bout de sa vie, dans les passages diurnes, elle voyait cet autre homme lui chavirer les émotions sous sa cape de souvenirs qui meublaient les silences et les faux-bonds. Elle savait qu'il était aussi de la race de ceux qui sont profondément indépendants, arborant la solitude sous une solide carapace d'occupations aussi multiples que variées. Elle savait qu'il était de ceux que l'on prend au vol où alors qu'on ne les prend pas du tout. Elle s'amusait de le voir se torturer à s'inventer des excuses, à lui jurer qu'il ne voulait pas la faire souffrir, qu'il avait envie de la voir, d'étendre le bras jusqu'à sa peau, de savourer son âme, plus encore que son corps. Elle avait cesser d'attendre et d'espérer de ces hommes solitaires qu'ils tranchent leur isolement pour elle. Elle avait compris que toutes leurs promesses non tenues les blessaient bien davantage qu'elles ne l'atteignaient, elle.

Un soir, alors qu'elle décrivait la vie dans ses cahiers usés, elle vit l'homme de la nuit passer la porte du café où elle avait installé ses pénates. Il se dirigea vers elle d'un pas assuré, charmeur certain de sa chance. Au même moment, l'homme des souvenirs diurne fit son apparition. Il s'approcha comme un fauve vers sa proie. Tous deux étaient fiers comme des paons, d'avoir enfin réussi à trouver de temps pour elle. Tous deux se pavanaient, assurés de leur succès. Elle leur fit la bise, les présenta l'un à l'autre puis leur dit, en les quittant : « Je ne vous attendais pas. »

jeudi, septembre 07, 2006

Notre pas si mystérieuse Mademoiselle C

Elle n'entre pas dans une pièce, elle la survole de son pas aérien. Elle nous montre, un sourire éclatant aux lèvres, ses derniers achats. Petits objets, vêtements, chaussures, ou couvre-lit qu'elle aura trouvé à rabais. Le tout placé dans des sacs colorés, ordonnés et assortis de boucles multicolores, parce que l'emballage est au moins aussi important que le contenu. On pourrait la croire superficielle. Mais nous savons que ce n'est qu'un leurre puisque notre Mademoiselle C a l'âme aussi généreuse que le temps qu'elle prend pour courir les boutiques de la ville. C'est toujours elle qui pense à souligner un anniversaire. C'est elle aussi qui nous rappelle de ne pas oublier un grand départ, ou une naissance. Elle nous façonne des toiles, des dessins, des objets, de ses mains. Toujours méticuleusement, avec beaucoup de talent. Mais elle dira que d'autres sont meilleurs qu'elle dans ce qu'elle fait, que ce n'est qu'un hobby, qu'elle n'aura pas pris le temps.

Les injustices la mettent en colère, et la bêtise humaine encore davantage. Les gens mesquins la font rager et nous en voyons de toutes les couleurs, quand d'aventure, quelqu'un s'est attaqué à une personne qu'elle aime. Elle ne décolérera pas tant que les choses n'auront pas été mises au clair. Ensuite, seulement, elle calmera ses orages et posera à nouveau sur son entourage, le regard si bleu qui la caractérise. Elle est généreuse, tout le temps. Prête ses trésors à tout venant. En perd parfois, par la négligence d'autrui. Elle me confie alors qu'elle est triste parce que ses objets lui sont importants. Elle est créative aussi, beaucoup. Elle organise des soirées de jeux (qui tombent souvent à l'eau) ou d'autres activités de bricolages qui ont parfois un peu de succès. Elle dit qu'elle n'a pas vraiment d'amis parce qu'elle est mauvaise pour donner des nouvelles et que ses seuls amis sont ceux qu'elle voit dans son quotidien.

Je ne la connais pas vraiment, elle est secrète. Elle dira sans doute qu'elle est trop ordinaire pour que ça en vaille la peine. Mais moi je sais que ce n'est pas vrai. Je sais que si elle semble négliger de garder des contacts, c'est en fait parce qu'elle est très occupée. Elle a un grand secret qu'elle ne peut nous partager : elle descend des fées. Elle en possède la grâce et la légèreté. Au printemps, elle se sauve dans les bois pour les animer de ses facéties. Elle fait rayonner la nature en lui parlant à l'oreille pour qu'elle soit la plus belle, dans sa verdure et ses rayons de soleil mordorés. Elle fait des valses dans la boue pour redonner à la terre, son envie de vivre. Et tout l'été, on la voit voguer d'un endroit à l'autre comme si elle avait des ailes. Elles y sont bien, mais nous sont invisibles parce que nous ne sommes que des mortels, un peu sots, et que nous avons oublié, sur les traverses de la vie, le goût du merveilleux qui nous rendrait ses univers accessibles. Et quand l'automne rougit les arbres comme des jeunes filles devant leurs premiers soupirants, elle collectionne les feuilles qui jonchent les rues de Montréal, en souvenir des heures de vie, pendant que la nature se prépare à hiberner sous son grand manteau blanc.

Notre Mademoiselle C est parfois un tantinet écervelée, souvent coquette et toujours à penser aux autres. Aux minuscules plaisirs qui les feront sourire. Elle se rappelle des goûts de chacun et de leurs faiblesses aussi. Mais plutôt que d'en user contre nous, elle nous montre l'envers de la médaille, le côté qui nous fait plus jolis que ce dont nous sommes intimement persuadés. Elle me dira que je suis belle parce que j'ai ce charme particulier, cette voix grave qui donne envie de m'écouter. Alors, j'ai envie de la croire, et j'y arrive, l'espace d'une soirée.

Je crois qu'elle ne me tiendra pas rigueur d'avoir dévoilé son secret. C'est une bonne fée. Seulement, soyez discrets à se sujet, s'il vous arrivait de la rencontrer. Parce qu'elle est avant tout une fée discrète qui aime bien s'effacer pour laisser aux autres le devant de la scène.

Au printemps prochain, vous verrez bien, elle disparaîtra encore une semaine. Elle nous dira que ce sont ses vacances. Seulement, vous saurez qu'elle sera partie travailler à réveiller la vie autour d'elle.

mercredi, septembre 06, 2006

La blonde de son père

Elle l'énerve. Profondément. Toujours parfaite, tirée à quatre épingles, toujours souriante. Comme si chacune des journées de l'année était une journée solennelle. Elle l'énerve avec sa confiance infinie dans la vie et les gens qui l'habitent. Elle l'énerve parce qu'elle ne se met jamais en colère. Elle n'a jamais l'air trop fatiguée. Malgré les nuits sans sommeil que Félix lui fait vivre, sa peau n'en porte aucune trace. Elle l'énerve quand son père se penche vers elle et l'embrasse doucement. Une telle tendresse, un geste si langoureux; pas du tout acquis. Elle l'énerve quand il lui dit : « Je t'aime. » Elle l'énerve parce qu'elle n'est même pas si belle que cela, et pourtant elle a ravit son coeur. Entièrement. Elle le voit bien. Dans l'autre de vie, celle d'avant, ce n'était pas ainsi. Les gestes étaient froids. Depuis longtemps.

Elle ne lui parle que pour le strict nécessaire. S'enfermant dans sa chambre, passant des heures au téléphone avec ses amies, pour ne pas avoir à communiquer. Elle ne met la table qu'à contre-coeur, ne fait jamais sa chambre. Elle est désagréable au possible. Elle fait exprès, mais rien ne la fait sortir de ses gonds. C'est agaçant à la fin. Et son père ne voit rien. Rien du tout. Et puis, elle a toujours l'impression qu'ils parlent dans son dos. Quand ils sont tout seuls ensemble, le soir venu. Alors elle s'installe entre eux, pour écouter la télé et prend le contrôle de la télécommande jusqu'à ce que son père lui lance un «Mélissa!» bien senti. Elle se lève et claque la porte de sa chambre. Il lui laisse quelques minutes et gratte dans la porte en disant des choses stupides. De toute manière il ne prend jamais son parti. Et puis lorsqu'elle retourne voir sa mère, sa vraie mère, c'est pire encore. C'est plate, c'est vide, c'est dans une ville où elle ne connaît personne et sa mère veut toujours avoir des discussions de filles avec elle.

Elle l'énerve parce qu'elle connaît son père mieux que quiconque. Avec elle, il rentre tous les soirs à la maison. Pas comme avant, quand sa mère passait des heures à pleurer une douleur que Mélissa ne comprenait pas trop bien. Elle l'énerve parce qu'elle ne peut même pas lui reprocher d'essayer d'être sa mère. Elle n'a jamais interféré avec les directives des parents biologiques. Jamais. Elle l'énerve parce que ses yeux noirs voient sa colère. Ils la devinent et la débusquent, mais elle ne dit rien. Elle ne pose pas de questions. Quelquefois elle dit : « Si tu veux parler, tu peux. » Mélissa lui fait des grimaces dans son dos et l'imite méchamment. Quand son père la voit faire, il lui fait des gros yeux. Toutes les fois, la petite fille revient en force sur le devant de sa propre scène et l'énorme peur de le perdre, lui, ressurgit. Elle l'énerve quand elle vient porter Félix dans son lit à elle, après son boire de la nuit et que le bébé sent si bon. Elle l'énerve parce qu'elle ne peut même pas dire à ses amies que sa belle-mère est épouvantable. Elle sait trop bien que ce n'est pas vrai.

Mais surtout elle l'énerve quand elle lui dit des choses vraies. Quand elle vient, la nuit, avec Félix dans les bras et qu'elle caresse sa chevelure emmêlée pendant que Mélissa fait semblant de ne s'apercevoir de rien. Quand elle lui parle de l'amour que son père a pour elle, sa belle grande fille têtue. Lui expliquant que personne, jamais ne pourra prendre sa place. Malgré le divorce, malgré le fait qu'ils sont désormais deux de plus dans leur vie. Et quand la porte se referme sans bruit, elle verse des larmes de rage qui goûtent le sel en serrant son petit frère dans ses bras. Son petit frère qui est heureusement aussi beau que leur père, pas fade et ordinaire comme cette femme-là.


Ce qui l'énerve le plus, au bout du compte, c'est que malgré toutes ses colères, toutes ses crises et sa meilleure volonté, Mélissa sait bien que depuis longtemps, elle a commencé à l'aimer.

mardi, septembre 05, 2006

Les visions de Mme Irma

Voici ma contribution pour le Coïtus impromptus de la semaine.

******************************

Lors que je l'ai rencontrée, j'étais jeune et elle était déjà vieille. J'étais fascinée par son vécu. C'était une petite bonne femme toute simple qui n'avait pas eu une vie plus grande que celle de qui que ce soit. Par contre, elle avait nettement plus de chemin que moi, lové dans sa besace. Elle avait plus de quatre-vingts ans, moi j'abordais insolemment une jeune vingtaine pimpante. J'allais la voir, une fois semaine, l'après-midi, pour lui faire la lecture, lui dire que Dieu n'existait pas, juste pour le plaisir de la voir s'emporter. Nous nous sommes raconté des romans que nous avions aimés tellement de fois que nos histoires devenaient comme des livres cornés, surlignés au marqueur de nos élans du coeur.

La plupart du temps, je m'instruisais auprès d'elle. Je lui demandais de me raconter les transformations du vingtième siècle, qu'elle avait vu passer. Elle me racontait la télévisions, les transports en communs, le rétrécissement des espaces humains. Mais toujours, elle me rappelait que l'important c'était d'aimer. D'aimer jusqu'au bout des ongles, sans équivoque, sans retranchements. Elle me disait que la vie, ne pouvait être la vie que si on la regardait droit dans les yeux avant de prendre une grande bouchée dedans. Moi, je l'écoutais ravie de l'avenir qu'elle m'offrait. Point n'était besoin d'être carriériste, point non plus d'obligation de vie rangée pour la réussir. L'important, au bout du compte, quant le sentier sous nos pas s'amenuisait, était de pouvoir se dire « ma vie, je l'ai vécue. » Elle était en quelque sorte mon mentor tandis que j'étais, selon ses propres termes, un souffle de printemps sur ses dernières années.

Madame Irma, avait aimé dans sa vie. Les souvenirs de ses histoires de coeurs transcendaient les époques. Elle gardait vivants des moments de sa vie qui s'étaient déroulés quelques soixante-dix ans auparavant. Elle n'avait pas eu beaucoup d'amis ni d'amoureux. Elle avait tout de suite compris là où son coeur battait. Et puis, on se mariait jeune, au milieu du XIXe siècle. Quand je lui parlais de mes histoires d'amour qui n'allaient nulle part, elle m'écoutait en silence, hochant la tête par instant, confortablement installée sur ses oreillers, me donnant l'impression qu'elle se moquait gentiment de moi.

Ce que je retiens de ces rencontres c'est qu'elle me parlait du coeur. Elle me disait souvent que l'important c'était d'ouvrir les canaux vers les autres, pour aller jusqu'au bout de soi-même. Pour s'approcher des autres et tenter de les comprendre le plus possible. Un jour elle m'a dit qu'elle avait passé sa vie à faire des intrusions intempestives dans la vie d'autrui, sachant souvent, en même temps que ceux qu'elle aimait, ce qui les bouleversait. Ainsi, elle avait vu des morts au moment même où celles-ci se produisaient, elle avait suivi des descentes dans des comas éthyliques et assisté aux balbutiements de nouvelles histoires d'amour, à l'insu des différents protagonistes de ces aventures. Elle m'a avoué qu'à quelques reprises elle a indiqué aux intéressés ce qu'elle avait vu, mais qu'elle choisissait bien ceux à qui elle se dévoilait ainsi. Parce qu'elle savait bien qu'elle serait perçue comme une sorcière, par plusieurs d'entre eux. Elle m'a aussi raconté la grande fatigue que généraient ces passages impromptus dans des secrets qu'elle visitait un peu malgré elle.

Fréquemment, je lui demandais ce qu'elle entrevoyait pour moi. Elle me faisait des gros yeux parce qu'elle n'avait jamais vu l'avenir, seulement des présents parallèles et je le savais très bien. Mais j'aimais bien la voir s'emporter un peu en me tapant les doigts de ses aiguilles à tricoter, tendrement. Moi, j'attrapais sa petite menotte parcheminée et je la caressais sans pouvoir résister à l'envie de plaquer un baiser sur sa joue douce. Je me suis réveillée un matin, avec un noeud dans le coeur, et j'ai su, sans l'ombre d'un doute, que l'heure pour son dernier passage était passée. Je me suis donc rendue à l'infirmerie, un jour de semaine, contrairement à nos habitudes. Les infirmières, sur l'étage m'ont regardée d'un drôle d'air puisque personne encore ne m'avait prévenue. Elle avait entrepris sa traversée quelques deux heures plus tôt. Sa peau, toujours aussi douce et souple, était déjà froide. J'ai versé une larme en lui disant que je l'aimais.

Depuis, j'écris que tous mes chemins mènent ailleurs et j'espère sincèrement que ce sont des chemins du coeur.

samedi, septembre 02, 2006

De quêtes en tempêtes

J'ai toujours eu une mémoire assez exceptionnelle. Je me rappelle d'un millier de détails saugrenus sortis de passés confus. Des dates, des événements, des anecdotes. Ces presque rien qui font la vie. J'énerve un paquet de monde avec ma mémoire qui traverses les silences et les absences. On me dit souvent : « Ben voyons, comment se fait-il que tu te rappelle de cela?» Je ne sais pas. Je ne le saurai sans doute jamais, mais c'est encré en moi. J'ai perdu toutes les boîtes contenant les cahiers verts de mes années d'écriture compulsive autour de moi. Cependant, j'ai pu conserver des détails dans des tiroirs soigneusement refermés. Ma grande chance, c'est sans doute de ne jamais avoir perdu les clefs pour les ouvrir à volonté.

J'ai aussi beaucoup d'imagination. Je me suis réinventé des vies tellement de fois qu'il m'arrive de me demander jusqu'à quel point les images froissées de mes années révolues sont le fruits de mes divagations plutôt que ceux de la réalité. Là encore, je ne saurais dire. Il existe en moi une zone étrange dans laquelle cohabitent la réalité et les chimères que j'aurais bien voulu voir s'exhausser. Et, sincèrement, j'ignore lesquelles de ces parties sont mes mémoires infidèles. Je n'ai pas d'oreille, je chante faux et je n'ai aucun talent pour les langues. Mon anglais, quoique correct, est empesé d'un accent à coucher dehors. Paradoxalement, je reconnais toutes les voix que j'entends même à des années d'écart. Comme si les tons étaient des notes plus certaines que toutes les musiques du monde. Un accent tonique placé sur une syllabe bien précise me fait fréquemment voyager dans le temps. Ainsi, je me suis remémoré les heures d'attentes qui me fatiguaient quand, à l'aube de l'âge adulte, j'espérais que tu me donnes des nouvelles.

Nous avons sans doute beaucoup changés toi et moi. Je ne prends plus tes hésitations comme des attaques personnelles. Je suis déçue tout en m'en foutant un peu. J'ai fait, je crois, tout ce que je pouvais pour tracer des sentiers entre hier et aujourd'hui et, au bout du compte, je ne vois pas ce que je pourrais me reprocher. Je ne suis pas fautive. Je suis moi. Entière, tête de mule, fonceuse, un peu plus que dans ce passé récent que tu n'as jamais croisé. Je fonce dans des portes ouvertes, ou fermées, en me disant que de toute manière, un nez finit, la plupart du temps, par arrêter de saigner. Je ne suis pas les conventions sociales, parce qu'elles me semblent mensongères et futiles. Parce que je suis lasse de me trouver engoncée dans des attitudes qui ne me ressemblent pas vraiment, mais que j'avais choisi d'adopter pour me créer une appartenance au monde qui m'entoure. Je n'ai plus peur. Plus peur de me faire dire « non. » Je n'arrive pas à voir quand cet état d'esprit est revenu m'habiter. Je le sens par contre, au creux de moi. Et ce n'est pas simplement pour faire la fière, pour faire la belle. Ce n'est pas à force de négation que j'arrive à me convaincre de cette plénitude. C'est, en réalité, un raz-de-marée qui me soulève.

Aujourd'hui quand tu ne rappelles pas, malgré les promesses de ta voix, les envies de me reconnaître qui se dessinent dans tes tonalités, je sais que c'était sincère. Je sens les passages des émotions que je fais ressurgir chez toi. Au lieu de me sentir assassinée de l'intérieur par les quantité effarantes de tes trahisons de paroles, je souris. Et je me dit qu'il y a sur cette planète des hommes qui seront toujours un peu plus loin que la moyenne dans l'indépendance. Et je me dis que je n'ai franchement pas le courage de te laisser prendre plus d'espace dans ma vie parce que tes silences et tes faux bons constants finiraient par ronger mes états d'âme qui sont plus sereins, à cette heure précise d'un matin gris, que jamais auparavant dans ma vie.

Ce matin, j'ai simplement envie de te dire merci d'avoir repasser sur mon existance. Apportant sur ton sillage cette force de vie que j'avais autrefois échappée dans les tempêtes de mes quêtes affectives.

vendredi, septembre 01, 2006

Je te crois

Quand tu l'as rencontré, tu te disais qu'un mec comme ça, c'était ton genre. Tu voyais bien en lui le charmeur, le gars social, la personne avenante qui faisait presque la révérence devant chaque femme qui croisait son chemin. Tu le regardais de loin, affichant son indolence et t'étais mordue, avant même de lui avoir parlé. Tu te disais qu'un gars comme ça dans ta vie, ça ne se pourrait pas. Que t'étais beaucoup trop quelconque pour qu'il s'intéresse à toi. Mais il était toujours là, à te regarder de loin comme tu le faisais à son insu. Et tes amies te disaient en riant qu'il n'avait d'yeux que pour toi, pendant que tu doutais toujours.

Et puis un bon soir, il s'est offert pour te raccompagné à la maison, à pied en faisant un espèce de long détour, ce que tu ne savais pas, pour le simple plaisir de ta compagnie. Au pas de ta porte il t'a fait cet espèce de sourire assassin qui te rendait folle depuis des semaines entières, même quand tu ne le voyais pas si souvent parce que les matins te réveillaient de cette mémoire tenace et que ton coeur cabriolait dans ta poitrine parce que tu revoyais en un éclair, ce visage qui te chavirait toute entière. Et c'est là qu'il t'as demandé s'il pouvait t'embrasser. Toi, tu n'en revenais pas, coite devant cette demande à laquelle tu ne croyais presque pas. Tu n'as rien dit, en fermant les yeux pour espacer le vertige qui t'envahissait. C'était doux et chaud, comme un baiser d'adolescence. Tendre comme une pêche trop mûre. Tu l'as laissé dehors cette nuit-là et tu as peiné pour t'endormir, trop excitée par ce qui venait de t'arriver.


Depuis, il t'a rappelée, il a multiplié les occasions de te voir. Il t'a présenté ses amis, sa famille, faisant de toi l'officielle. Celle. Au tout début il n'y avait que toi dans ses attentions, mais le naturel est revenu et il s'est remis à faire du charme aux femmes, parfois même aux hommes, qu'il croisait. C'était dans sa personnalité, tu le savais, mais tu ne savais plus trop comment le percevoir. Alors le monstre s'est éveillé en toi, une jalousie terrible qui prenait toute la place. Et tu le doutais quand il te laissais assise toute seule à la table et que son voyage vers les toilettes prenait plus de temps qu'un simple aller-retour. Et tu te rongeais les sangs en le cherchant du regard, angoissée. Et tu avais envie de crier lorsque tu l'apercevais en train de faire le coq devant une fille trop belle pour toi. Mais lorsqu'il reprenait place, tu ne disait rien, bâillonnant le monstre rugissant de tes tripes. Il savait. Il te trouvait lourde. Il te disait de lui faire confiance, mais tu n'y arrivais pas. Tu ne comprenais pas pourquoi il t'avait choisie, toi, la petite bonne femme, somme toute bien ordinaire. Puis un jour il est parti en te disant que ça ne pouvait plus durer, que ta jalousie lui coupait les ailes et l'amour. Alors tu t'es écroulée de sanglots en lui promettant que tu changerais. Sauf que tu avais fait cette promesse si souvent qu'il ne te croyais plus. Épuisé qu'il était d'avoir tellement essayé.

Tu l'as revu, bien des années après. La jalousie était encore ta bête intime, tenace et destructrice. Elle avait fait fuir d'autres hommes, d'autres gens qui t'étaient importants. Et t'étais-là, toute seule avec tes angoisses, à te demander comment renverser la vapeur. Mais ce soir-là t'étais contente de le voir. Contente de renouer avec cet ancien amour, trop grand pour toi. C'est à ce moment qu'il t'a dit «Mathilde, arrête, tu ne vois pas que c'est à toi que tu fais mal? Tu ne vois pas que c'est de l'autodestruction ton truc? Que tu ne pourras jamais être heureuse si tu doutes toujours ainsi de la bonne foi d'autrui. » Tu le savais, tu le savais depuis longtemps, depuis lui en réalité. T'avais une envie sauvage de le frapper au visage parce qu'il te disait exactement ce que tu ne voulais pas entendre. Tu t'es retenue et en lieu et place de la claque, tu lui a simplement demandé comment on faisait. Il t'a dit qu'il ne savait pas. Il t'a dit aussi qu'il fallait un jour que tu admettes que chaque être humain était unique et que si on te choisissait toi, c'était parce que ce toi là convenait.

T'es rentrée chez-toi penaude, avec cette drôle de phrase dans la tête. Puis tu t'es rendue compte que c'était vrai. Que personne ne pouvait être exactement comme toi et que tu ne pouvais pas te mettre en compétition avec toutes les filles de la Terre parce que cette compétition était inadéquate. Pour la première fois de ta vie d'adulte, t'a lâché prise, arrêté d'essayer d'être parfaite. Tu t'es dit «basta!» et tu as arrêté de nourrir la bête de tes peurs et de tes doutes. Tranquillement elle s'est fait plus silencieuse.

Désormais, lorsqu'un homme te dit qu'il t'aime, t'as encore le réflexe de te demander pourquoi il te choisirait toi. Mais tu fini par sourire et tu lui réponds : « Je te crois. »