jeudi, novembre 30, 2017

Novembre délavé

Il me semble que j'ai la cervelle à « délavé » depuis quelques temps. Je crois que c'est un effet direct novembre. Faut bien que je me trouve un coupable et, franchement, ce mois me semble tout désigné.

Pour faire changement, j'ai un gros rhume de novembre, il me semble que ça m'arrive souvent. En tout cas, c'était le cas l'an dernier parce que je me rappelle tout à fait que j'ai fait l'ouverture de la succursale dans un état proche de la catatonie quand je ne toussais pas à en perdre haleine. Pareil cette année. J'en suis à la période de la toux infinie qui n'est certainement pas aidée par un environnement de travail particulièrement sec.

Et puis, je suis atteinte par la baisse de luminosité. Y-a rien à faire, à tous les ans c'est la même chose, je me sens un peu plus fatiguée que normalement quand les jours se raccourcissent à vue d’œil. Bien évidemment, je ne vais pas trop me prélasser tranquillement dans un espace public pour lire ou juste observer les gens parce qu'il fait trop froid, trop mouillé ou les deux. Je sais que pour les deux prochains mois, mes trajets aller-retour entre la maison et le travail se feront à la noirceur et ça a une incidence, si ce n'est une influence, sur ma bonne humeur naturelle.

C'est aussi la période de l'année pendant laquelle je dois mettre ma cervelle en recherche de solutions au travail. Parce que si décembre est le moment dans l'année qui voit les consommateurs se bousculer dans les commerces pour arriver à Noël en même temps que tout le monde, les casse-têtes logistiques de la mise en marché des quantités mirobolantes d'un seul articles ou d'une augmentation sidérante de titres différents dans un secteurs, c'est en novembre que ça se fait. Et mon travail, du moins, une partie de mon travail, c'est justement de trouver les solutions de ces casse-têtes afin que le magasin ait un petit air guilleret et accueillant. Résultat, mes rêves sont peuplés de cubes, de déplacement de stock et tutti quanti.

Par conséquent, ma cervelle est rendue pas mal au bout de ses capacités intellectuelles. Elle me fait la moue de l'intérieur de ma boîte crânienne. Heureusement, c'est aujourd'hui le dernier jour de novembre, bientôt, tout bientôt, les clients seront un peu plus fébriles, les enfants un s'exciteront davantage pour des riens, il y aura alors autour de moi un brin de magie supplémentaire me laissant croire que je suis un peu un lutin de Noël, alors je sais que ma fatigue s'amenuisera d'elle-même parce que je passerai la plupart de mes heures de travail à conseiller toutes sortes de livres pour un public diversifié. Et je terminerai ma course, le 24 décembre autour de ma Terre du milieu, bien heureuse d'y être enfin arrivée.

Libellés :

dimanche, novembre 26, 2017

Les improbables

Je dirais que c'est un homme entre deux âges. Traduction, je ne pourrais affirmer qu'il est au début de la soixantaine ou à la fin de la cinquantaine, en somme il est un peu plus vieux que moi, mais pas tant que cela. Il vient tous les jours au magasin depuis son ouverture. Et, tous les jours, il nous demande si ça fait longtemps que c'est ouvert. Ça fait maintenant un an, mais il ne s'en souvient pas, d'une journée à l'autre. Il n'achète rien, mais n'est pas très dérangeant, règle générale parce que qu'il ne pose pas sa question lorsqu'il y a beaucoup de clients, il se sauve généralement des foules.

Ceci étant dit, il a une culture musicale fantastique, il me sidère à chaque fois qu'il m'accroche pour me poser son éternelle question et qu'il enchaîne sur ses intérêts, surtout en musique classique. Ce qui pourrait en surprendre plus d'un qui se fierait l'apparence exétrieure du personnage; il se vêt de cuir de pied en cape et arbore des tatous ostentatoires. Ce qui fait qu'à première vue, je le classerais dans les adeptes de Iron Maiden davantage que de Mozart, mais je sais depuis quelques mois que je me laisse avoir aux jeux des préjugés. Bref, malgré le fait que visiblement, il oublie tous les jours qu'il passe la majeure partie de ses journée dans la même boutique sans jamais s'en souvenir, il a encore beaucoup à apprendre à ceux qui y travaille, en particulier sur les nuances d'une infinité d'enregistrements des mêmes pièces, à condition que lesdits enregistrements aient été faits il y a plus de 5 ans.

Il y a aussi cette jeune femme, Française de naissance, qui vient faire son tour après un 5 à 7 bien arrosé. Elle vient râler dans les dix minutes précédant la fermeture, toutes les semaines. Elle trouve abominable que nous vendions les livres si chers ici, c'est perpétuellement une abomination, du vol, une volonté non dissimulée de perpétrer l'ignorance généralisée. Elle débarque quand il lui reste dix dollars en poche et veut un roman. Une nouveauté de préférence À tous les coups, elle me dit que nous ne comprenons pas l'importance de la culture au Québec et qu'on est vraiment cons (ses mots) de ne pas nous rebeller à cause du prix des livres.

De ce que j'ai saisi, elle est ici depuis quelque part l'été dernier. Mais elle ne fait toujours pas la conversion entre l'euro et le dollar canadien. Pour elle, c'est du 1 pour 1. Ce qui est très loin de la réalité. Mais nous avons collectivement compris, qu'il était inutile d'argumenter avec elle à ce sujet, parce qu'elle arrive dans un état déjà altéré et qu'au bout de tous ces mois nous soupçonnons que celle-ci ne s'intéresse pas à nos opinions. D'ailleurs elle refuse catégoriquement de d'accepter le fait que Nancy Huston ne soit pas une auteur Québécoise.

Bref, dans les clientèles régulières, il y a toujours un paquet de gens dont on ne parle pas parce qu'ils sont simplement des habitués sympathiques et qui répondent à l'idée de ce qu'on a de la clientèle régulière. Et bien entendu, il y a, souvent, ces exceptions, pour confirmer la règle.

Libellés :

jeudi, novembre 23, 2017

Les danseurs du métro

Dans un monde où le transport en commun n'a de commun que la densité de la population qui s'y agglomère chaque jour, la plupart des usagers s'y croisent sans faire attention les uns aux autres, le nez plongé dans un livre ou un appareil électronique, les oreilles occupées par des écouteurs ou un téléphone.

Il y aura toujours, bien entendu, quelques hurluberlus de mon acabit qui se fondent dans la masse, l'air aussi préoccupé par leur propre personne que faire se peut, mais qui en réalité portent leurs sens vers ce qui s'agite autour, au cas où il s'y passerait quelque chose. Évidemment, il y a aussi ceux qui passent d'un wagon à l'autre en tendant la main pour ramasser quelques sous. À mon avis, la plus grande qualité de ceux-là est de sortir les gens d'une espèce de transe apathique, même si je n'aime pas beaucoup devoir dire non en souriant à leurs demandes à toutes les fois qu'elles se présentent à moi.

Dans ces masses mouvantes il existe une forme d'irritation largement partagée, celle qui se produit quand un membre du groupe décide de faire partager à l'ensemble ses découvertes musicales. La plupart du temps, ce sont des jeunes qui écoutent une musique clinquante sur un téléphone que le haut parleur, poussé à son extrême limite rend grinçante et profondément désagréable.

Mais quelquefois, les observateurs du genre humain peuvent, assister à une certaine forme de magie. Quand, par exemple, un vieil homme, assis tout seul sur un banc au bout d'une station pratiquement vide, installe un vieux radio à batterie, tout droit tiré d'un film des années 1980 devant lui et décide de faire jouer une pièce interprétée par Frank Sinatra, comme pour envelopper le reste des usagers. Bizarrement, les tête se lèvent, regardent un peu dans toutes les directions pour comprendre d'où provient le son. Les quidams se regardent alors, tous autant qu'ils soient, un petit sourire aux lèvres.

Et puis quand la pièce glisse vers la prochaine pour devenir La valse à quatre temps de Brel, un couple, du même côté de la rame que le vieux monsieur, s'élance sur la piste longue, comme des oiseaux prêts à prendre leur envol. Ils sont élégants dans leurs mouvements, visiblement aguerris dans la pratique de cette danse, le dos bien droit, les pas assurés qui glissent sur les dalles usées de la station comme s'ils évoluaient au milieu d'une salle de balle, romantiquement éclairée.

Quand la musique s'achève, juste avant que le prochain train n'entre en gare, les applaudissements sont nombreux et nourris. Les danseurs se sont arrêtés devant l'animateur musical pour lui faire une révérence et celui-ci leur offre un magnifique sourire édenté.

Pendant ce temps, le public involontaire de cette démonstration est bien conscient d'avoir eu droit à un nouveau parfum de communauté.

Libellés :

dimanche, novembre 19, 2017

Retourner chez moi

Hier soir, j'ai fait dodo chez Grand-Mamie. Sans Papa et Maman. Oh, ce n'est pas la première fois, mais c'est spécial d'aller faire dodo ailleurs que dans ma maison. D'abord, je fais dodo dans le lit de Grand-Mamie avec Grand-Mamie. Ensemble, on a joué à plein de choses et ce matin, j'ai eu droit à un spécial, j'ai écouté la Pat Patrouille. Pour vrai.

Papa et Maman sont venus nous rejoindre en fin de matinée pour venir me chercher, mais en plus Francis et Tatie aussi sont venus. Quand Tatie est arrivée, je lui ai tout de suite demandé où il était le koala. C'était une question importante parce que je l'ai vu sur le livre des écureuils qu'elle m'a offert à mon anniversaire. Derrière, il y a une image du livre de la souris qui rugit et d'un autre livre avec un koala. J'ai le livre de la souris et celui des écureuils. Il me faut donc celui du koala. Tatie a dit qu'elle l'apporterait une autre fois, parce qu'elle ne savait pas que je le voulais. En attendant, je l'ai amenée dans le salon pour qu'elle me lise la souris.

Des fois, les adultes ont de drôles d'idées, comme faire des dîners qui commencent à l'heure de ma sieste. Alors forcément, j'étais fatigué. J'hésitais entre rester réveillé et faire ma sieste dans le lit de Grand-Mamie. Finalement, je préférais attendre d'être dans mon lit, dans ma maison pour faire la sieste. Alors je chignais un peu, je baillais beaucoup et je voulais avoir ma suce au lieu de la laisser dans le lit comme d'habitude. Je ne tenais pas en place non plus. Manger deux bouchées de repas, faire le tour de la cuisine jouer un peu avec les aimants du frigidaire en chantant la laine des moutons. Retourner manger deux bouchées, repartir me promener demander mon lait pour faire la sieste, ne pas vouloir faire la sieste finalement.

Grimper sur les genoux de Grand-Mamie, y rester un instant. Faire le tour de la table pour grimper sur Tatie et lui dire : « Mathile ». Voir ses yeux surpris parce que j'ai appris à dire son nom au complet dans la dernière semaine. Retourner me promener. Découvrir un gros vomit de chat sous la table et expliquer à tout le monde que ce n'est pas mon vomit à moi. Finir par m'installer sur les genoux de Maman pour manger le dessert, me brûler la langue parce que je n'ai pas soufflé assez fort sur le chocolat qui était chaud. Finir par nicher mon petit visage dans le cou de Maman en lui disant : « tu es ma maman ». Petite affirmation bien rassurante. Parce que même si je ne m'en était pas beaucoup occupé ce matin, ni de Papa du reste, elle est ma maman et juste de le savoir et le dire ça me fait tout chaud dans mon cœur.

J'ai mis mon beau poncho zébré et je suis parti à la maison avec mes parents. C'est une belle aventure de faire dodo chez Grand-Mamie, mais je pense que ce qu'il y a de meilleur, c'est quand je retourne chez-moi, après, avec Maman et Papa.

Libellés :

jeudi, novembre 16, 2017

Le piano d'Émilie

D'aussi loin que remontaient mes souvenirs, la pièce avait toujours eu un air suranné baignant dans un désordre infini. Enfant, j'aimais y passer des heures à en explorer les moindres recoins, en quête de quelques trésors oubliés-là par d'anciens occupants de la maison. En réalité, ma quête devait souvent passer à côté des vraies richesses qui s'y étaient trouvées, parce que je ne savais pas les reconnaître mais surtout que je ne voyais absolument pas en quoi une vieille peinture craquelée aurait pu être intéressante, par exemple.

La pièce avait autrefois été la chambre de la sœur de Grand-Mère. Elle avait été soigneusement fermée quand celle-ci avait quitté parents et amis pour aller rejoindre le fiancé qu'elle devait épouser quelque part dans l'Ouest canadien. Cependant, elle n'y était jamais parvenue, victime d'un bête accident de la route qui avait singulièrement rétréci son existence. Je crois que Grand-Mère n'avait jamais trouvé le courage de vider la pièce, qui était devenue avec le temps un genre de débarras pour toutes les pièces de mobilier devenus désuètes à un moment où un autre de leur existence.

Mais pour une petite fille, c'était la caverne d’Ali Baba. Personnellement, j'aimais beaucoup ouvrir les tiroirs des commodes pour trouver des bouts de rubans colorés déteints par le temps, ou une boucle d'oreille unique, abandonnée-là sans doute parce que justement elle n'avait plus sa pareille. J'aimais beaucoup me glisser sous les draps qui recouvraient les meubles avec une ou deux poupées pour me faire un château extraordinaire ce qui me permettait de meubler sans peine les heures que je passais seule avec Grand-Mère, qui à ses propres dires, n'avait plus l'énergie de jouer avec des enfants après en avoir élevé assez pour presque peupler une paroisse.

Si tous les petits enfants avaient droit d'utiliser la pièce comme salle de jeux, il y avait un gros truc sous une bâche cadenassée qu'il était interdit de toucher. Il s'agissait d'un vieux piano droit, dont certaines touches abîmées avaient perdu leur ivoire. Je le sais parce qu'une fois de temps à autres Grand-Mère se laissait aller à la nostalgie et faisait ouvrir le piano. Alors elle s'asseyait des heures sur le banc aux pattes inégales et jouait sans cesse les mêmes airs pendant que des larmes coulaient sur ses joues comme des petites rivières.

C'était le piano d'Émilie. Un gros objet, plein de tendresse et de peine sur une histoire qu'on ne connaissait que par l'instrument. Grand-Mère n'aimait pas parler de sa petite sœur, ça la rendait trop triste qu'elle disait. Mes ses enfants, après sa mort nous en ont tout de même partagé quelques fragments, ceux qu'ils avaient, je présume.

À la mort de Grand-Mère, le piano d'Émilie était resté tout seul dans le fond de sa pièce sans personne pour le réclamer. Il avait fini par atterrir dans une quelconque œuvre de charité, son histoire oubliée.

J'ai donc eu un choc assez monumental quand j'ai trouvé l'objet solidement ancré au coin d'une rue de Montréal, faisant partie de la flotte des pianos publiques. Et je me suis dit que si aujourd'hui plus personne qui pose ses doigts dessus ne connaît son origine, au moins il continue à laisser exprimer des émotions nécessaires et je me plaît à croire qu'il nous partage un peu de l'âme d'Émilie.

Libellés :

dimanche, novembre 12, 2017

Réparer la maison

Hier, c'était ma fête. Toute la semaine, avant, j'ai eu hâte, hâte, hâte que ce soit ma fête parce qu'il y aurait des cadeaux et un gâteau avec des bougies pour moi tout seul. Moi, je voulais aller fêter mon anniversaire chez Grand-Mamie parce que tous les anniversaires sont fêtés chez elle, il me semble. Mais c'était chez-moi avec Papi et Guy-Guy, et les les cousins et leurs parents et Grand-Mamie et Tatie et Francis. Ouf! Pour l'occasion, j'avais mis mon cardigan bleu, j'étais très chic.

Je disais : « Hourra les cousins! » en levant les bras bien haut dans le ciel. J'aime ça quand ils me rendent visite parce qu'ils sont grands et font plein de jeux avec moi. Ils font des drôles de formes avec la pâte à modeler, mais moi je préfère la mettre dans les pots et l'ôter des pots. C'est bizarre parce que les cousins eux ne semblent pas trouver ma passion pour remplir et vider des pots très intéressante.

Enfin, j'ai bien joué avec tout les cousins surtout, fait des câlins à tout le monde ri beaucoup et mangé un peu. C'était bon, surtout le poulet, mais je n'étais pas très intéressé par les légumes, j'avais beaucoup plus envie de faire tout le tour de mon petit monde, leur raconter tout ce que j'avais à dire et leur montrer que je peux chanter : « Bonne de fête moi-ah! »

Après, ça été le temps des cadeaux. J'ai choisi de déballer un beau gros sac avec des jolies couleurs brillantes au début. Dedans il y avait une perceuse juste pour moi, pour que je puisse aider Papa à réparer la maison. J'étais tellement content que les autres cadeaux ne m'intéressaient plus du tout. Je les ai quand même déballés, c'était ma responsabilité. J'ai découvert un drôle de vélo à ma hauteur, mais il n'était pas monté, c'était moyen intéressant dans ces conditions, j'ai aussi eu des cannes à pêche et des poissons en bois. Ça, ça me faisait plaisir parce que maintenant, je peux aller pêcher, comme Papa, même si c'est dans le salon et que lui il va toujours pêcher dans le dehors.

Et puis, j'ai découvert une belle robe-de-chambre avec des dinosaures toute douce et elle a un capuchon. Je vais être bien dedans quand je vais sortir du bain. Ensuite, j'ai trouvé un beau bébé avec un porte bébé et plein d'accessoires de bébé magnifiques. Ça c'est pour quand ma petite sœur que j'ai nommée Coccinelle, sera-là. Alors je pourrai faire comme maman et promener mon bébé sur mon ventre. J'ai aussi eu des livres, mais il y avait bien trop de monde pour que je prenne le temps de les regarder, je vais les lire avec Papa et Maman plus tard de toute manière, on lit beaucoup ensemble. Et finalement, j'ai eu un lion. Il est très beau, il ressemble à celui sur le livre chez Grand-Mamie mais je dois le laisser sur le comptoir alors que j'aimerais beaucoup courir partout avec lui en rugissant. Il est fragile, Maman a dit. Si je tombe avec, il va être tout brisé et je ne pourrai pas le réparer, même pas avec ma belle perceuse verte.

Et j'ai soufflé mes bougies, mangé mon gâteau (ben surtout les décorations en chocolat dessus parce que le glaçage faisait des mains collantes et je n'aime pas du tout les mains collantes). Et jouer encore jusqu'à ce que tout le monde parte. Pendant que je commençais à tomber de sommeil, mais je ne l'aurais jamais avoué à personne.

Ça été une belle fête, avec plein de personnes que j'aime. Et ce matin, il y avait encore toutes ces belles choses avec lesquelles jouer.

Je crois que je vais commencer par aider Papa a réparer la maison. Après, on verra.

Libellés :

jeudi, novembre 09, 2017

Revers de conscience

Depuis des années que tu suis l'actualité, ici comme ailleurs et récemment, tu t'es mise à t'écoeurer toi-même tellement tu es rendue insensible à certaines formes de violence. Depuis longtemps déjà, tu te heurtes aux informations vite passées sur ces massacres de masse qui se passent ailleurs, dans des lointains qui n'intéressent pas les masses d'ici alors forcément elles sont plus ou moins relayées, on pourrait même dire plus souvent pas relayées qu'autrement.

Cette indifférence généralisée te pue au nez parce que tu sais que ce qui se passe là-bas finira bien un jour par avoir des retentissements chez-toi ne serait-ce que parce que les populations visées finiront bien un jour par se mettre en mouvement pour rechercher un endroit où vivre est plus clément, ou tout simplement possible, et que ces nouveaux migrants viendront un jour ou l'autre grossir les masses déjà conséquentes des humains en transit qui s'amoncellent aux portes des pays dit soit riches, soit accueillants, soit les deux, mais qui ne le sont pas toujours autant qu'on voudrait bien le faire croire.

Sauf que ta chape d'indifférence s'est singulièrement raccourcie parce que tu t'es surprise à tasser d'un revers de conscience une énième tuerie s'étant déroulée aux États-Unis. En fait, ta première réaction a été de te demander si cet événement allait interférer dans ta soirée électorale municipale. Et là, vraiment, cette petite pensée mesquine t'a fait mal à l'âme. Bon d'accord, l'exercice de démocratie est important, mais on parle quand même ici de dizaines de morts violentes d'un seul coup, et franchement, tu n'avais cure des raisons qui pourraient d'être exposées. Parce que tu ne vois pas le jour où les principaux intéressés remettront en question pour la peine, le port des armes à feu.

Tu t'es sentie petite et égoïste de te sentir à ce point indifférente aux tenants et aux aboutissants de la chose. Surtout que ça devient de plus en plus fréquent de ta part. Las Vegas, dernièrement, tu n'y a consacré qu'une bien mince pensée, au bout du compte, quelques jours et puis on change de sujet. C'est loin, c'est ailleurs, ce n'est pas chez toi. Alors bien sur, tu t'es demandé quel genre de sociopathe tu étais devenue si ces assassinats n'avaient plus ce qu'il fallait pour te tenir éveillée la nuit.

Le pire, c'est que tu sais pertinemment que quel que soit l'intérêt que tu portes à ces événements, cela ne changera rien à leur fréquence, à leur violence, à leur irréalisme. Tu n'es pas Dieu et tu ne peux pas régler toutes les causes sociales simplement en y portant ton attention.

N'empêche que la nonchalance avec laquelle tu oublies de verser une larmes pour les victimes et leurs entourages comme si rien de tout cela ne pouvait jamais atteindre les limites de ton petit confort, n'a rien pour te rassurer sur ta capacité à réellement vivre en société.

Libellés :

dimanche, novembre 05, 2017

Braderie de bisous

Le magasin était bondé, je naviguais entre les cubes aussi bien que faire se pouvait afin d'éviter toute collision impromptue avec des petits poucets qui sortaient des peluches de leurs présentoirs à grands cris d'exclamation ravis. Je venais tout juste d'enjamber un tapis de dinosaures et de dragons qui rugissaient furieusement quand une petite tête ornée d'une tuque rose s'était ruée sur mes jambes, certaine, sans doute, que ces appendices étaient ceux de sa mère. La maman, pour sa part, écoutait d'une oreille distraite une discussion entre son conjoint et les parents de ce dernier tout en gardant un œil vigilant sur sa fillette. En voyant la méprise, elle avait entamé un geste pour se manifester à son enfant, mais je l'avais précédée en dirigeant la petite, gentiment, dans la bonne direction tout en lui remettant la tortue qu'elle avait laissée choir dans la surprise de sa méprise.

Au moment ou la fillette rejoignait son cercle, sa grand-mère lui avait dit : «  Tu veux la tortue? Mamie va te l'acheter », pendant que son fils la suppliait de ne rien en faire. J'avais poursuivi mon chemin sans trop me préoccuper de la discussion, somme toute très banale. Sauf que, plusieurs minutes plus tard, j'avais surpris la grand-maman demander un bisou à la petite que la petite lui refusait alors la dame avait dit : « Si tu ne donne pas un bisou à mamie, elle ne t'achètera pas la tortue ».

Ça m'avait choquée. Parce que j'ai été une enfant qui n'aimait pas donner des becs et qui me cachait dans les gardes-robes et sous les lits pour les éviter. Comme on s'est moqué de moi à l'époque, qui a duré très longtemps, me semble-t-il, de ma phobie des becs! Je ne peux pas dire que je n'en avais cure, l'insistance généralisée me dérangeait beaucoup. J'aurais voulu qu'on me laisse tranquille avec cette histoire et que toutes les réunions mondaines ne soient pas des épreuves de cache-cache, que je ne gagnais pas toujours.

Il va donc sans dire que j'ai appris très jeune à dire non et à préserver mon affection pour les personnes à qui je voulais bien la distribuer. J'ai même encore quelques difficultés avec les gestes d'affection d'usage commun, je suis toujours un « I » lors des premières accolades, mais je me laisse apprivoiser beaucoup plus facilement que naguère. Ceci étant dit, cela ne m'a pas protégée davantage que les autres des vautours qui hantent nos société. Cependant, j'ai eu souvent l'audace de mettre mes limites avec un homme qui me faisait des avances qui n'étaient pas bienvenues et j'en suis fière.

Par ailleurs, la scène que j'avais observée au magasin m'avait aussi choquée parce que je suis convaincue que dans notre apprentissage collectif au vivre ensemble, il faut que les enfants sachent qu'ils peuvent distribuer leurs bisous et autres marques d'affection selon leur bon vouloir et leurs envies. Qu'enseignons-nous aux petits si leurs gestes sont bradés?

Au final dans cette histoire, je peux vous dire que la petite a tenu son bout et n'a pas été forcée de donner un bisou. Elle est partie sans tortue en peluche, au chaud dans sa poussette, le pouce bien enfoncé dans la bouche.

Libellés :

jeudi, novembre 02, 2017

Un brin de liberté

Sur le quai de la gare, il y avait ce couple, début vingtaine. Je les avais remarqués parce que le jeune homme n'arrêtait pas de parler dans une langue qui m'était totalement étrangère si ce n'était que je lui trouvais quelque chose de slave, sans pour autant pouvoir ni l'identifier ni la comprendre. À une heure où les passagers sont aussi peu nombreux que les trains, je ne pouvais m'empêcher d'entendre tout ce qui se disait et comme je n'avais aucune clé pour en saisir le sens, le long monologue me faisait un peu l'effet d'une berceuse.

Si ce discours n'avait aucun sens pour moi, je voyais bien pourtant, que les propos assénés étaient chargés de sens, parce que le ton était tout sauf monocorde. La jeune femme, pour sa part, tenait sa bouche fermée d'une bien étrange manière parce qu'en réalité, cela me donnait un peu l'impression de quelqu'un qui a une balle de ping-pong dans la bouche et ne doit pas ouvrir cette dernière au risque de faire tomber ladite balle. Comme si les lèvres étaient bien serrées, mais les dents ouvertes à l'intérieur. Drôle d'effet qui donnait un air maussade à la jeune personne.

Si elle n'intervenait pas, la jeune femme, pourtant, donnait toute son attention à son interlocuteur. Ils s'étaient assis face à moi dans le wagon presque vide qui nous avais cueillis à un certain moment. Alors même sans le vouloir, je ne pouvais faire autrement que de suivre le déroulement de la scène. Ils étaient du côté des quais, moi de l'autre. À toutes les fois où le train entrait dans un tunnel, le jeune homme s'animait de plus en plus, je le sentait fébrile et pendant un bon moment, j'avais l'impression que la jeune femme était froide, presque frigide.

Évidemment, je me trompais. Ils étaient sortis au bout de quelques stations et par un drôle de hasard, le train avait pris plus de temps qu'à l'ordinaire avant de reprendre sa route. J'avais alors pu voir la jeune fille tomber dans les bras du jeune homme, une fois sur le quai de leur destination, comme si elle venait d'être rescapée d'une noyade. Son corps devenant tout flasque, les jambes molles, c'était visible de mon observatoire.

Lui la regardait, l’œil fier et joyeux, socle immobile et fiable, le temps qu'elle reprenne le contrôle de se sens. Elle avait levé le regard sur lui, un regard mouillé, ému et victorieux. Elle avait alors craché un bout de chiffon et s'était exclamée, toujours dans cette langue que je ne peux interpréter avec une vivacité et une joie telles que le discours m'était soudainement devenu limpide : elle avait réussit.

J'avais été remuée de l'intérieur, parce que si j'ignorais d'où elle venait ni contre quoi elle se battait, mais elle me rappelait la Mathilde qui s'était accoudée sur le garde-fou de la Terrasse Dufferin afin de combattre le vertige jusqu'à en avoir le tournis. Un petit geste pour la plupart des gens, mais qui pour moi résonnait comme un air de liberté.

J'étais heureuse d'avoir été témoin de cet événement, ne serait-ce que pour me rappeler que chaque degré de liberté est une pierre d'assise dans la construction de soi.

Libellés :