lundi, avril 30, 2007

J'ai embrassé l'aube de l'été

Ça faisait plusieurs semaines que tu me taraudais. Plusieurs semaines durant lesquelles mon regard était attiré par ta présence muette. Je savais toujours très exactement où tu étais dans une salle bondée. À l'affût de tes moindres déplacements, je sentais une décharge électrique toutes les fois où tes trajectoires t'amenaient à croiser les miennes. Ça faisait plusieurs semaines que j'avais envie de m'abandonner à tes mains, à ton sourires, aux paroles et aux gestes que je te prêtais. Une soif de chair dévorante qui me faisait voir à nouveau les hommes comme les mouvances d'un désir plus vaste. Des éclats de toi dans d'autres êtres qui ne seraient, somme toute, que de pâles esquisses de ce qui pourrait exister si seulement j'osais. Je m'étais laissée prendre dans le filet d'une convention implicite, murée dans les non-dits des espérances scellées par le silence.

Ça faisait plusieurs semaines que je me débattais entre la convoitise de cette vie rêvée et la peur d'un échec annoncé. Besoin d'aller voir ailleurs pour me prouver que je ne t'appartenais pas, tout en sachant pertinemment que ce n'était là qu'un réflexe d'orgueil, aussi inutile que malvenu. Cette illusion que de ne pas t'offrir ce que je suis me protégerait d'une éventuelle blessure. Gagner au jeu de l'indépendance factice pour te voir détourner la tête et me dire ensuite que j'avais raison de ne pas avoir confiance. Douter même après que tes lèvres se soient posées sur les miennes dans cette nuit de juillet, battue par les pluies torrentielles d'un résidu d'ouragan. Sentir l'adrénaline me pousser vers d'autres cieux, m'emporter vers les certitudes de ce célibat trop longtemps entretenu, pour ne pas avoir à composer avec l'éventualité d'une cicatrice qui marquerait mon ventre, à vie.

Ça faisait plusieurs nuits que tu hantais mes songes. Une ombre de plus en plus réelle. Le poids de tes doigts sur les parcelles de peau qu'ils avaient fréquentées, en toute innocence. Les meurtrissures de tes dents sur mon cou offert. Les sillons creusés par tes ongles sur les rides de mes sentiments. Piétiner le désir pour l'aliéner. Pour l'anéantir même. Faire fi de l'essor qui me tirait à toi. Oblitérer les souvenirs des images nocturnes que mon subconscient faisait naviguer jusqu'aux tréfonds de ma conscience. Te crier que je ne te croyais pas quand je savais bien que tu disais vrai. Quand je percevais la douleur dans le doux de tes yeux atteints par mon manque de confiance. Quand j'observais ton sourire se défaire sous les assauts de mon inconstance.

Patiemment, tu m'espérais. En me répétant à perpétuité les mêmes promesses d'amour que tu m'avais laisser entendre cette toute premières fois où ta bouche avait happé la mienne. Tandis que je continuais à repousser les élans de ces sentiments trop grands pour ce que je m'accordais. Puis, un soir j'ai pris ta grande main dans la mienne et je l'ai tenue contre mon coeur toute une nuit. Tu as laisser l'aurore naître sur mon corps assoupi, arborant le sourire du chasseur ayant très longtemps traqué sa proie. Lorsque les reflets du soleil ont taquiné mes paupières, j'ai voulu me lever discrètement. Partir, selon mon habitude, sans laisser de trace de mon passage. Tu me connaissais suffisamment pour prévoir le mouvement. Alors tu m'as tirée vers toi très fort en me disant simplement : « non ».

Ce matin-là, en te regardant dormir, j'ai embrassé l'aube d'été.

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vendredi, avril 27, 2007

Le pas des demoiselles

Elles battent souvent les pavés en duo. Surtout lorsque ceux-ci sont dégagés des bancs de neiges qui entravent les pas durant les mois d'hiver. Elles sont à la fois dissemblables et identiques. Dissemblables dans l'allure, la tenue vestimentaire, le port de tête, les courbes et la couleur des yeux. Identiques parce qu'elles partagent une communauté de pensée, des intérêts, une complicité qui fait d'elles un étrange couple particulièrement bien assorti. Si vous passez près d'elles, lorsqu'elles errent dans les rues des villes qui les rassemblent, vous entendrez des bouts de discussions sautant du coq à l'âne, sans début ni fin dont elles sont les seules à pouvoir suivre le fil. Et le rire, toujours, qui jaillit; franc, spontané, contagieux même. Elles sont jolies, vivantes et complexes dans leur trop grande simplicité. Mais elles arborent cette beauté comme un foulard fané qui traînerait autour de leur cou, par hasard. Un détail futile de leur quotidien.

Elles ont la confiance ébranlée, de celles qui se sont fait rejeter. De celles qui se sont fait dire trop de fois, « tu es super mais... » ce mais comme un coup de poing en pleine gueule qui vous ramasse une estime en moins de temps qu'il ne le faut pour le dire. Elles se racontent leurs échecs amoureux pour se convaincre qu'elles ont raison ne ne pas se trouver si super que cela. À grande slaves de mauvaise foi, de plus en plus alambiquée. Elles se confient leurs grands secrets sans trop en avoir l'air, sur les carrés des trottoirs qu'elles traversent, comme si de rien n'était, certaine les gens qu'elles croisent ne leur portent aucune attention. Certaines qu'elles ont posé autour de leurs confidence un écran étanche contre les oreilles indiscrètes. Elles ont sans doute raison puisque l'air d'aller qui les mènent du point A au point B n'est suivi par personne d'autre.

Quand le printemps taquine de ses rayons les épidermes restés enfouis sous les couches vestimentaires nécessaire aux traversées hivernales, elles croisent toutes sortent de marmottes qui émergent de leur habitat naturel. Prenant la forme d'hommes, assez vieux, la plupart du temps. La bédaine bien en vue sous la bouteille de bière, à 10h00 le matin, ils les saluent comme si elles étaient vraiment belles, y allant de leurs commentaires aussi salaces que salissants. Si elles acceptaient toutes les invitations qu'on leur fait, elles seraient des détonateurs à caféine sur deux pieds. Néanmoins, elles savent prendre ces compliments, quelle qu'en soit la maladresse, pour ce qu'ils sont. Des petites perles de soleil dans des journées parfois éteintes sous la grisaille des temps durs. Elles savent que ces hommes ne leur plaisent pas, qu'ils osent leur parler simplement parce qu'elles ne font que passer sous leur regard torve et qu'elles n'y resteront pas.

Par contre, si vous désirez aborder l'une ou l'autre de ces demoiselles avec une envie réelle de las rencontrer, de savoir ce qu'elle est et de lui annoncer, en toute sincérité, que vous êtes intéressé par sa joie de vivre et sa personnalité, vous aurez beaucoup à faire. Tous les compliments seront reçus comme des marques de politesse, toutes les gentillesses comme une volonté de la faire sourire. Elles se diront, l'une à l'autre : « Il est charmant n'est-ce pas? » sans réaliser qu'elles le sont aussi. Elles feront damner la patience des uns et l'impatience des autres. Inaccessibles dans leurs tours d'ivoires.

Et si un jour vous osez leur avouer que vous avez eu le béguin pour l'une d'entres elles, bien après que les votre coeur se soit logé à une autre enseigne, celle-ci vous répondra, en rosissant un tout petit peu, qu'elle ne l'avait jamais su.

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mercredi, avril 25, 2007

Ces semaines en boucle

Toutes les semaines c'est la même histoire qui se répète. Sans un iota de différence. Ça fait des mois que ça dure, ce que je commence à trouver long. Pourtant, je ne sais pas. Pas quoi faire, pas quoi dire quels que soient les conseils qu'on me prodigue. Je reste prise dans le même foutu engrenage, tout en sachant que je suis la seule dépositaire de la clef qui me permettrait d'en sortir. Je connais le cycle, je le reconnais. Je suis capable de le nommer, cependant ça ne m'empêche pas de retomber dedans, comme aspirée par le fond de mes doutes. À me demander sans cesse si cette semaine tout n'aurait pas changé. À me convaincre que rien de ce que j'ai pu croire n'a existé. Et tous les vendredis de mes semaines déphasées, je vais voir. Voir si tu es toujours à la même place.

Alors ton sourire balaie mes doutes, mes craintes, mes angoisses. Comme un ouragan sur une plaine agitée. Et puis, je me sens forte. Fière. Plus rien n'est à mon épreuve. Je sais ce que je vaut et je me fou de tout. Plus besoin de savoir exactement quelle est la nature de l'intérêt que tu me porte. Il y a quelque chose de tangible qui m'enveloppe; une douillette dans mes nuits d'hiver. Il y a cette chaleur qui rayonne. Je sais ce que je ne parvient pas à nommer. Je sais que tu le sais. J'en perds toute notion de subtilité, t'envoyant sur des pistes qui me dévoileraient plus certainement que les gestes que je pourrais poser. Je m'abreuve à ta source, je me déploie en charme et en beauté comme une plante trop longtemps asséchée. Je suis là devant toi, je suis là et c'est évident que tu me vois. Peu m'importe toutes les femmes à qui tu fais du charme, peu m'importe celles qui se jettent sous tes pas. Je repars en souriant, convaincue que cette fois je ne retomberai pas dans ces questionnement inutiles qui me donnent des nausées à force de tourner à une vitesse alarmante.

Le samedi, le même scénario se répète. Je deviens, pour une soirée, le centre de l'univers que je désire habiter. Quelquefois, je me dis que je ne dois pas être si mordue de toi que cela finalement parce que je ne me sens pas envahie par les papillons qui se multiplient d'ordinaire lorsqu'on est devant quelqu'un qui nous charme. Je me dis alors que nous pourrions être simplement amis. Je me dis que de toute manière, tu ne me trouves sans doute pas si charmante que cela. Je me dis que je pourrais être raisonnable pour une fois et tout passer sous silence. Tout en réalisant que je me conte des histoires à dormir debout. Parce qu'aimer n'est-ce pas, c'est avant tout être bien avec la personne en question et c'est l'effet que tu me fais. Toujours. Même quand tu mets tes deux paluches dans ma bulle. Je n'ai pas envie de me sauver. J'ai simplement envie d'être là, plus longtemps. Mais les minutes rattrapent les heures et il me faut partir. Je retourne à la maison avec la tête pleine des indices de ton intérêt.

Je passe les jours suivant à marcher sur les sommets de mes rêves les plus fous. Je me fait des projets invraisemblables auxquels je crois. Je sens ta présence atour de moi, réconfortante. Je me sens prête à faire toutes les ascensions nécessaires pour me rendre jusqu'à toi, convaincue que tu m'attends quelque part sur ces routes qui se rejoignent. Je rayonne de l'intérieur et chacun me fait des compliments aussi inattendus que bienvenus. Je me sais aussi belle que tu me vois.

Le jeudi m'éveille de ce monde en ruines. Plus rien ne me paraît réel. Je sais que j'ai tout inventé, d'un bout à l'autre. J'ai le coeur éclaté, la tête en pleurs. Mes mains tremblent. Je n'arrive pas à me coiffer, à m'habiller correctement. Le vendredi c'est pire que tout. Il me semble que toutes les femmes du monde sont plus belles que moi, plus intéressantes que moi. Je suis persuadée que tu ne m'as jamais vue, jamais regardée, jamais porté la moindre attention. Que mon imagination a fait la folle, m'amenant vers les terreaux qu'elle a si bien su chérir durant toutes les années de célibat qui ont fait de moi une femme sceptique.

Mais le soir venu, je m'aventure tout de même jusqu'à toi. Alors ton sourire balaie mes doutes, mes craintes et mes angoisses. Alors j'ai envie d'oser poser ma paume sur ta joue pour te dire que j'en ai marre de me laisser happer par mes semaines en boucles et que je voudrais que tu me prennes dans tes bras.

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lundi, avril 23, 2007

Le gâteau d'anniversaire

C'était une soirée d'anniversaire. Comme d'habitude, je n'avais pas pris de dessert. Je suis la fille la plus difficile au monde en terme de dessert et il m'arrive rarement d'avoir encore faim lorsque vient le temps de le déguster. Alors je passe mon tour presque chaque fois. Ce soir-là, je zieutais le gâteau avec intérêt malgré le fait que je n'avais pas du tout envie d'en manger immédiatement. Alors j'ai demandé une portion à emporter. Pour en profiter un peu, chez-moi. Le plaisir que j'ai lu dans les yeux de ma mère était éloquent. Heureuse de voir que j'allais goûter, enfin une de ses créations, elle s'est empressée de me mettre presque un quart de déluge au fraise et à la crème dans un paquet. Une part vraiment trop généreuse pour moi, même si je mettais toute ma meilleure volonté dans la balance, je n'ai décidément pas la dent sucrée, alors je savais pertinemment que je n'arriverais jamais à ingurgiter une telle quantité de sucre avant qu'elle ne se gaspille. J'ai quitté la maison familiale sur une excuse vaseuse à propos du temps que je mettrais à arriver à destination, me faisant une impression de chaperon rouge, bien décidée à aller voir le loup.

La nuit était chaude et je devais faire vite pour que mon petit festin portatif ne se gâche pas durant le transport. Aucune tergiversation n'était possible, aucun retour en arrière envisageable. J'ai hésité avant de sonner à sa porte. Les dents du loup ont toujours eu un effet rébarbatif sur mon courage. Cette peur lancinante de se faire lacérer les tripes plus sûrement que la surface du corps. J'ai souris, gênée lorsqu'on m'a dit d'entrer et j'ai lancé le paquet sur le divan en disant : « La dernière fois tu étais déçu que je n'en ai pas pris pour toi ». Le visage du loup s'est éclairé, ses rides faisant sourire ses prunelles. Les papilles frémissantes de plaisir anticipé, mains tendues, désarmées. Il a tapoté le coussin à ses côtés, invitation muette à le rejoindre. J'ai failli reculer. Soudainement rétive à me laisser happer dans cette bulle à laquelle j'aspire pourtant. J'ai presque tourné les talons pour de bon. Alors j'ai fermé les yeux pour mieux respirer, j'ai vu le vertige me plonger dans le vide. Et je me suis affaissée sur le divan, laissant un bon mètre d'espace entre son corps et le mien. Il ne faudrait pas non plus me prendre pour plus hardie que je ne le suis.

Il a ouvert son paquet, les yeux gourmands. J'ai dit que je voulais prendre la première bouchée, histoire d'y avoir goûté. Il m'a rétorqué que c'était son désert et qu'il devait avoir l'honneur d'y plonger le premier. Je ne savais plus dans quoi il voulait plonger. J'avais les mains moites, la gorge humide, les yeux dans le vague, l'angoisse galopante. Il a chantonné en dégustant, comme un enfant qui aime ce qu'on met dans son assiette. Il m'a dit : « Ferme les yeux pour bien goûter toutes les saveurs ». J'ai fait non de la tête. Il a ri de moi. Il me voyais me débattre contre les mailles du filet dans lequel je m'étais moi-même jetée. Il a répété, plus tout pas son injonction, comme une prière à mon intention. Ça été plus fort que moi, j'ai fermé les yeux pour calmer le tournis. La bouchée, trop grosse qu'il m'avait tendue a débordé sur mes lèvres. Il a saisi mon poignet; état d'urgence. Je ne pouvais plus rouvrir les yeux; état de manque.

J'ai eu le goût de tout recracher, mon coeur le premier. Battant à toute force dans mes veines. Et ses doigts sur mon pouls étaient témoins de mon émoi. La fourchette en tombant a fait un petit bruit cristallin sur le parquet. Des bouts de phalanges on effleuré mon front mouillé de sueur. L'haleine du loup s'approchait de sa proie. La peur qui vrille les gestes à l'impuissance. Des lèvres sur mes tempes, mes yeux toujours clos. Un éclair de soulagement. Le bonheur qui rejoignait mes pas.

J'ai ouvert les yeux dans une pièce sans lueurs. Éclairée seulement par mon soleil intérieur. Un morceau de gâteau écrasé sur le sol. Et le souvenir d'un loup qui n'avait jamais existé, imprimé dans tous les pores de ma peau.

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vendredi, avril 20, 2007

Un teint de porcelaine

La soirée avait débuté sur des chapeaux de roues. Nous n'étions pas encore à destination que Lew était un feu roulant d'activités à lui tout seul. Tout était propice aux jeux de mots les plus absurdes, aux folies extravagantes. Content de voir que son public répondait si bien, il s'enorgueillissait de nos rires pour se lancer dans une autre cavalcade d'insipidités. Nous étions dans un Talent show avec toutes les inégalités que cela implique. Ce qui permettait à notre bouffon de laisser aller ses répliques et de récolter nos éclats de joie. À 23h00, la personne que nous allions voir ayant déjà fait son numéro, nous avons profité de l'entracte pour nous éclipser. Encore sur le coup de l'effervescence chaleureuse de Lew, nous avons décidé de nous arrêter à l'endroit habituel pour y laisser aller la folie qui nous habitait tous les quatre.

Nous avons facilement trouvé une table, pas trop loin de celui que je regarde depuis quelques mois déjà. À deux mètres de nous, trois gars, que je n'avais jamais vus, étaient assis au bar. Ils jaugeaient la foule. Évaluant absolument pas subtilement toutes les filles qui étaient dans la place. J'en ai fait les frais. J'avais, encore une fois, omis de mettre un soutien-gorge. Ils ont dû passer un bon 10 minutes sur mon cas. À me regarder comme si j'étais un morceau de steak dans un étal de boucher. Je commençais à avoir de la fumée qui me sortait par les oreilles à les entendre et les voir me juger quand Marie-Hélène a décidé que c'en était trop pour elle. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle nous a déménagé à l'autre bout de la salle, près des fenêtres afin de s'éloigner de l'envie de frapper les importuns.

Lew était toujours en feu. Juli lui donnait la réplique. Marie et moi ne savions rien faire d'autre que rire aux larmes. Nous devions avoir un drôle d'air parce que la plupart des clients nous regardaient avec intérêt afin de deviner ce qui nous amusait à ce point. L'homme qui me fait vibrer inclus. Mais il était occupé ailleurs, nous avons cette tendance tous les deux à nous regarder sans vraiment avancer, au grand dam de Juli. Jamais vraiment ensemble, jamais loin l'un de l'autre non plus. Une petite touche d'indépendance qui ne leurre personne, sauf nous. Et moi je doute, et je redoute. Malgré tout. Et moi je me demande à toutes les fois si c'est moi où une autre qui est le centre de son attention. Comme c'est un grand charmeur fort populaire, toutes les fois où je le croise, je vois s'avancer vers lui des femmes que je trouve plus belles que moi. Alors, je me désespère un petit peu. Et je me dis que je me fait des idées. Alors, je remarque à peine qu'il me lance des objets pour attirer mon attention. Et je me dis que ça ne compte pas.

Vers 01h00, Juli est retournée à la maison. Fatiguée par un reste de grippe qui lui mine l'énergie. Lew, Marie et moi sommes restés à la même table, à rire encore comme des fous. À se raconter des histoires impossibles où les crevettes poussent sur des oranges. Et c'est durant un de ces éclats de rire complètement dégénéré qui suit la chute d'une de ces absurdités qu'il s'est approché de la table, me regardant droit dans les yeux et arborant une drôle de posture. Il avait la main dans les jeans, mimant un pénis sorti de la fermeture éclair. Quand il fut certain d'avoir toute mon attention il me lança : « Vous me faites penser à un urinoir mademoiselle, vous avez un teint de porcelaine ». J'ai explosé de rire. Lew et Marie aussi. Je l'ai traité de cave, il m'a répondu qu'il pouvait aussi être un grenier, tout en remettant son pantalon correctement en place. Et il est retourné à sa place. J'ai déjà entendu des compliments étranges dans ma vie, mais je dois dire que celui-ci les bat tous à plates coutures. Et je sais pertinemment que si c'était un autre que lui qui me l'avait adressé, je l'aurait vertement renvoyer à ses moutons.

Nous sommes partis une vingtaine de minutes plus tard. Je suis passée le saluer avant de quitter. Il me regardait penaud, plus du tout certain d'avoir été drôle. Il me dit « Pas trop choquée d'avoir hérité d'un cave de service? » J'ai souris en lui répondant : « Tu sais, je suis une ricaneuse de service. J'ajouterais qu'actuellement, je suis le poisson qui nage dans l'océan de tes niaiseries ».

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jeudi, avril 19, 2007

Facteurs nocturnes

Quand les ombres de la nuit meuvent doucement leurs ailes pour s'étendre sur la parcelle de monde que j'habite, quand les réverbères allument leurs feux pour diriger les silhouettes des passants, quand sonne l'heure où la fatigue m'emporte, je vois trop d'images déferler sous mes paupières clauses pour sombrer immédiatement dans le sommeil. Des images des rêves éveillés que je caresse durant la journée additionnées à celles que mon inconscient travaille et m'impose, dans cet état de transe qui précède le sommeil en soi. Alors je me retrouve, dépouillée, vulnérable, mise à nu devant l'étendue de mes émotions et de mes sentiments. Je ne peux plus contourner le réel. Plus faire semblant que rien n'est important. Plus me cacher les aspérités de mes vérités intérieures.

À coup de romans palpitants, j'essaie de chasser les visions illusoires que j'entretiens depuis trop longtemps. Arrêter la course des idées folles qui me font vibrer jusqu'au fond de l'âme. Mais dès que je glisse dans les bras de Morphée, ce passé récent me rattrape à toute vitesse. Des lors il m'est impossible de tenir à distance mes aspirations, mes craintes et mes espoirs. Ils m'envahissent jusqu'au bout des ongles. Me laissant hagarde, le matin venu. Dépouillée des murailles invisibles que je dresse autour de moi dans ma vie journalière, je me sais atteinte complètement. Je voudrais tellement pouvoir contrôler cet aspect de mon quotidien, mais je sais que rien n'est moins possible. Laisser aller est une action que j'ai beaucoup de peine à poser.

J'ai découvert récemment que je rêvais. Comme tout le monde, sans doute. Cependant je ne me rappelle de mes rêves que depuis peu. En fait je viens de recommencer à m'en souvenir. Plus de chute dans les abysses trop profondes que j'ai fréquentées durant toutes les années qui m'ont menées à la dépression. Une brèche ouverte entre mon conscient et mon inconscient, comme pour me rappeler que tout cela est, en fait, une entité. Assembler les parts de moi que j'avais laisser choir sur les sentiers de mes heures. Décloisonner mes blessures, les laisser respirer pour qu'elles finissent par cicatriser. Laisser couler la sève de mes espérances troublées. Admettre que mon coeur bat. Qu'il se heurte parfois à plus fort que lui. Admettre ma faillibilité. Admettre, surtout, l'éventail des possibles.

Rêver aux murmures des mots restés dans le silence des attentes. Sourire en dormant. M'éveiller au coeur de la nuit, le sang rougissant mes joues. Sentir sur les courbes de mon ventre les caresses des gestes qui ne sont pas encore posés. Me laisser retomber, alanguie dans les draps douillets de ces facteurs nocturnes qui me recollent à moi-même, malgré toute la froide logique que je tente désespérément de m'imposer. Malgré tous les dénis que je m'assène pour garder un cap que j'ai trop longtemps suivi.

Rire en silence. Heureuse d'être en vie. Heureuse d'avoir toujours su jouer avec l'imagination salvatrice. Et savoir que ce bonheur d'être qui me parcoure les veines m'appartient en propre comme au figuré. Savoir, sans l'ombre d'un doute, que j'ai envie de mordre jusqu'au sang dans cet avenir qui me tend les bras et que ce sera aussi beau que toi.

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lundi, avril 16, 2007

Un petit goût de fer

J'ai un drôle de rapport à la colère. Elle me fait peur. Les cris enragés de quelqu'un qui se met dans tous ses états, pour haranguer un quelconque personnage de son environnement, me gèlent. Ça me prend aux tripes et me cloue le bec. Incapable de rien dire. Je me sens rétrécir à l'intérieur de moi. Paradoxalement, je l'ai souvent utilisée à mes fins. Où plutôt, j'ai cru l'utiliser. Quelquefois, je dois le dire, je réussissais à la contrôler, à la canaliser pour faire quelque chose. Cette colère était généralement sourde et froide et ne me concernait pas directement. Quand elle me servait à défendre les intérêts d'un ensemble de gens. Lorsque je décriais une injustice et que je n'étais que peu ou pas concernée par l'objet de mon ire. Mais la plupart du temps, je n'utilise pas la colère à bon escient. En réalité, c'est moi qui suis son vecteur.

La colère des autres me fait peur. Celle qui est dirigée contre moi, en particulier. Lorsqu'elle s'acoquine à la mesquinerie, souvent latente dans ces explosions, je sens monter en moi l'irrationnelle panique. La perte totale de contrôle. Généralement, je réponds sur le même ton que la personne qui me vilipende, ce qui n'améliore pas la situation. Trop souvent, je me laisse emporter par l'adrénaline qui boue dans mes veines, trouvant les défauts dans la cuirasse de mon interlocuteur simplement pour faire mal. Le plus mal possible. Et j'y réussi, malheureusement, souvent. Peu m'importe, sur le coup, que mes paroles dépasse ma pensée, peu m'importe que mes gestes soient violents. Tout ce qui compte, c'est de gagner. Mais gagner quoi? Une joute à finir sur un sujet souvent absurde? Un point pour mon orgueil? Un mal de gorge? En fait, je tente le plus souvent de faire plier l'autre. Quand j'ai atteint mon but, il est rare que je sois satisfaite. Parce que la culpabilité entre en scène. Et je réalise que je ne suis, au fond, qu'un petit monstre manipulateur. Et, au bout du compte, tout le monde est malheureux.

Crier jusqu'à plus soif, comme si la hauteur de ma voix viendrait confirmer les signes de mon inutile victoire. Je sais que la colère est un vilain défaut. Je tente donc ne ne plus la laisser me submerger, avec les ratées qui s'imposent. Ma dernière grosse colère remonte à Noël. Perte de lucidité, dérapage violent sur les rives des mots qui ne font que blesser. Hurlements à projeter un innocent dans le Néant. Les tremblements inconstants de mes cordes vocales. Je n'en suis pas fière. Je ne peux pas revenir en arrière ni effacer ce que j'ai dit. Mais je peux tenter de comprendre pourquoi je me laisse happer par ces tornades émotionnelles. Apprivoiser le fait que j'ai pensé, pendant des années, que la colère était la force. Sans doute parce que mes parents étaient tous les deux sujets à ces emportements. Apprivoiser le fait que j'ai un jour choisi la colère plutôt que la peine, mais qu'en tentant de me dissimuler la douleur, j'ai laissé la panique prendre le pas sur mes colères et que j'étais encore plus démunie devant la vie que si je n'avais fait que pleurer. Apprivoiser le fait que je déteste qu'on me crie après et qu'il y a de bonnes chances pour que mes interlocuteurs n'aiment pas cela non plus.

Dans les dernières semaines, j'ai senti plus d'une fois la l'onde colérique remonter mes nervures émotives. Je me suis vue perdre pied avant d'avoir dit une parole. L'envie de mordre plus forte que la raison. Ce désir de déchiqueter l'adversaire en minuscule morceaux à grands coups de gueule. J'ai essayé de prendre mon souffle plutôt que de laisser aller le raz-de-marée. Je me suis mordu la langue très fort. J'ai ravalé l'impulsion. Je me suis contentée de toiser la personne qui me faisait mal ou encore pire, faisait du mal à quelqu'un que j'aime. Je ne suis pas intervenue dans ce qui ne me concernait pas. J'ai regarder d'autres personnes se débattre avec cette colère que je ne connais que trop bien. Pour enfin assimiler que si je ne la laisse pas chambouler toute ma vie, elle n'est pas si apeurante que cela.

Je crois que j'ai encore beaucoup à faire pour ne plus me laisser dérailler dans ces émotions négatives. Je ne pense pas avoir totalement vaincu mes vieux réflexes confortables. Aujourd'hui, j'ai encore un goût de fer sur le bord de mes lèvres, mais au moins, je n'ai plus de sang sur les mains.

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mercredi, avril 11, 2007

Les vortex de mon quotidien

Il est vraiment temps que je déménage. Il me faut absolument faire un grand ménage dans mes affaires, afin de les retrouver. Depuis quelques temps, il me semble que j'ai tout perdu. Je passe une quantité effarantes de minutes à chercher des objets qui devraient m'être accessibles. Et je les retrouve généralement à des endroits inattendus. Aussi aie-je établi une théorie : l'appartement dans lequel j'habite actuellement doit être constitué de vortex. Mes lunettes en sont victimes en premier lieu. Je les pose sagement sur ma table de chevet, avant de me coucher et je les retrouve immanquablement ailleurs, au matin. Rien à faire. Elles seront soit dans la chambre de Julie, dans la salle de bain, sur le comptoir de la cuisine et même, une fois, dans le frigidaire. Mon porte-feuille est aussi une source de soucis constants, avalé par un vortex qui le recrache, le plus souvent, dans les replis du divan. Le pire, c'est que ça n'arrive pas vraiment aux autres, sauf peut-être à Marie-Hélène, mais seulement avec ses clés.

Aussi est-ce devenu une sorte de jeu dans la maison. J'entends les colocs me demander si je ne chercherais pas ci ou ça avant des les voir apparaître dans le cadre de ma porte avec l'objet en question qu'ils auront trouvé à un endroit improbable. De cette manière, un jour, Lew est arrivé avec la culotte de mon pyjama rose (disparue depuis le mois d'octobre) qu'il avait dénichée, sagement pliée dans un des tiroirs de la commode de Marie. Étrange. Une paire de bas a atterri dans le sac-à-dos du frère de Lew sans rime ni raison. Ma taie d'oreiller favorite, celle que je remets immédiatement après l'avoir lavée, a été retrouvée dans la lingerie, entre deux serviettes de bain. Ma liste de numéros de téléphones importants, s'est glissée dans le portable de Lew. Mon sac à lunch a une fâcheuse tendance à se cacher dans la salle de lavage et mes pantoufles semblent s'être prises d'affection pour Julie puisqu'elles passent le trois-quart de leur temps à réapparaître sous son lit.

Si je cherche une paire de souliers, il est inutile que je regarde dans le garde-robe où ils devraient être. Mes chances de les retrouver sont bien meilleures sous un meuble des pièces communes que dans ma chambre. Mes sacs-à-main me font aussi le coup de la disparition aléatoire. Les sacs de balayeuses retourneront immanquablement dans le coffre de la voiture de Lew et Marie, malgré le fait que nous les en ayons déjà extirpés trois fois. Les fruits que nous achetons, Julie et moi, ont pris la mauvaise habitude de changer de frigidaire (à quatre, nous avons fait le choix d'en avoir deux). La robe que j'avais sortie pour Noël, et étendue sur mon lit avant que j'aille me doucher ,s'est volatilisée et m'a fait la surprise de retourner se pendre sur son cintre. C'est à rendre complètement dingue. Toutes les fois où je décide de passer le balais, celui-ci, ainsi que le porte-poussières, sera immanquablement ailleurs qu'à sa place. Mais les autres les retrouveront toujours là où ils auraient dû se trouver.

Depuis quelques semaines, la quantité de mes sous-vêtements s'est mise à diminuer de manière drastique. Soutiens-gorge et petites culottes se dématérialisent comme une peau de chagrin. J'ai beau retourner tous les tiroirs de mes commodes, faire la passe à mon garde-robe, défaire tous les coussins du divan, semer la pagaille dans les chambres de mes colocs, ils n'y sont pas. Je soupçonne la machine à laver d'être grandement responsable de cet état de faits. Et je me demande pourquoi c'est juste à mes affaires que ça arrive. J'ai une immense envie d'aller m'asseoir dans la salle de lavage pour avoir une discussion bien sentie avec les appareils électriques dans le but de récupérer mes biens. Pourtant, mon intuition me dit que la lutte est perdue d'avance. Si je suis la logique des vortex de mon quotidien, je vais finir par apprendre que Fleur (le lapin de la maison) s'est servit de mes sous-vêtements pour faire son nid, sans en parler à personne.

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dimanche, avril 08, 2007

Le baptême du feu

La librairie est bondée, plus possible de trouver un espace respirable entre deux client. C'est un samedi, dans une longue fin de semaine, la population entière du Plateau, et la moitié de celle des autres zones urbaines, se retrouve dans le magasin. On sent un parfum de Noël flotter autour de nous. Pas tellement que ce temps s'approchent, c'est dans l'effervescence ambiante qu'ont reconnaît l'odeur. Cette impatience qui taraude toute la clientèle, l'urgence de trouver maintenant le petit rien qu'on offrira demain. La colère qui gronde quand les libraires ne trouvent pas immédiatement le livre désiré. Le mépris qui se lit dans les yeux des insatisfaits quand certains titres ne sont plus disponibles pour cause de vente complète du stock. On se fait presque dire qu'on aurait dû savoir et prévoir que Monsieur X avait absolument besoin de tel titre maintenant et que Madame Y nous ferait le coup de la crise apoplectique parce qu'il ne nous reste plus l'objet de sa convoitise.

Au comptoir, les libraires se relaient les agressifs pour ne pas imploser. Mais quand le téléphone sonne et qu'au bout d'un certain temps, je vois Julie blêmir, je me demande bien ce qui est en train de se passer. Je vois bien que son interlocuteur invisible est mesquin et probablement violent. C'est inscrit dans tous les pores de son visage. Et je fini par comprendre qu'il s'agit de notre contact à la coopérative. Toute de colère drapée, nous accusant d'avoir manipuler les autres membres de la coopérative pour avoir un mois de loyer gratuit, dans le seul but de la faire chier elle, pour lui faire perdre toute crédibilité. Sidérée je suis. Comment voulez-vous que nous manipulions des gens que nous n'avons jamais vus? Impossible. À moins, bien sûr que nous ayons disposé paquets magiquement constitués de notre dose de charme pour amener des personnes qui ne connaissent rien de nous à prendre une décision qui nous arrangerait financièrement.

La théorie du complot vient d'être mise à jour. Et puis quoi aussi, on est des espionnes soviétiques, issues d'un lourd passé de Guerre froide, déguisées en filles qui ne peuvent pas avoir l'âge d'avoir participé à l'espionnage? N'importe quoi. N'importe quoi et pourtant, c'est une théorie qui est revenue sporadiquement cette année dans la perception que certaines gens ont eue de Julie et moi. Je crois que de loin, nous avons toutes les deux l'air de personnes conciliantes, aimables et probablement malléables et que de plus près, il est évident qu'on ne se laisse pas marcher sur les pieds. Nous avons été accusées de complot par un employé temporaire dans le temps des fêtes cet hiver, pour des raisons qui nous sont encore obscures. Toujours est-il qu'un moment donné, ça suffit ce type d'accusation gratuite.

Bref, tout ce qu'on veut, c'est ce logement. Cette place en coopérative. On avait dit qu'on était prêtes à assumer le loyer à partir de mai? Eh bien nous le ferons. C'était un plus d'en être dispensées, pas un plan machiavélique de manipulation ostentatoire et malsaine de l'ensemble des membres d'une assemblée constituante. Ce qui nous ferait plaisir c'est que le foutu bail soit signé pour que cette donnée cesse d'être stressante. On a envie d'être dans nos plans d'aménagement, pas prises dans des conflits politiques ridicules, avec en toile de fond, le contrôle.

Vous me direz qu'il était évident qu'un moment donné ce problème se soulèverait de lui-même. Que la vie en coopérative est sujette à ces jeux de pouvoir. D'accord, mais joual vert, on est pas encore officiellement membre de cette coop!

C'est ce qu'on appelle, je crois, un baptême du feu.

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vendredi, avril 06, 2007

Sur les rides des illusions

« J'en ai assez de son amour infini, de ses questions qui reviennent sans cesse, comme si à force de temps, je finirais par changer d'avis. C'est lourd. Trop lourd. »

Sagement assise à côté de sa mère dans un autobus bondé, l'enfant avait capté cette réflexion. Et avait pensé qu'elle ne pourrait jamais dire une chose pareille. Après tout, elle avait soif d'amour. D'un grand amour qui vous massacre le coeur. Un tantinet princesse, elle croyait fermement que tout amour dans sa vie serait le bienvenu. Qu'elle ne rejetterait jamais une telle offrande. Quand on a dix ans et que tout ce qu'on connaît de l'amour c'est ce que que nos parents nous on prodigué toute notre vie, on est certaine d'être assez sage pour comprendre qu'on ne repousse pas un sentiment aussi réconfortant que la main d'une maman.

Quelques quinze ans plus tard, elle savait à quel point l'enfant qu'elle fut se trompait. Elle savait que tout amour n'est pas bon à consommer. Lasse de la maudite culpabilité qui lui rongeait les arêtes du coeur. Lasse de répéter sur tous les tons « je ne t'aime pas ». Écoeurée jusqu'à la vomissure de voir ces yeux la regarder comme si elle était la huitième merveille du monde. Plus capable de voir ses soirées s'échoir sur les récifs des reproches qu'il lui adressait. Elle était devenue un fantasme. Figure emblématique d'une obsession qui tournait en rond. Enragée de constater qu'il ne l'écoutait pas. Qu'il l'avait jamais écoutée. Qu'il lui inventait une personnalité, des intentions, des aspirations qu'elle ne reconnaissait pas. Qu'il se convaincait à force d'arguments bidons qu'en réalité, ils avait une multitude de points communs et que si seulement elle pouvait passer par dessus son apparence physique à lui, elle serait à même de découvrir la richesse de ce qu'ils pourraient partager.

Elle avait appris à la rude école de l'expérience que le rejet laisse des marques indélébiles sur l'estime de soi. Elle savait mieux que personne qu'il y a un million de façons de tuer quelqu'un. Elle ne voulait pas devenir une meurtrière. C'est ainsi que malgré la lourdeur, malgré la pesanteur, malgré ses ailes écorchées jusqu'à l'os, elle rongeait son frein, endurait l'horreur quasi quotidienne de ce harcellement moral qui la minait. Elle refoulait les larmes d'impuissance qui lui montaient au visage, gardait le sourire pour la galerie. Jusqu'à se retrouver chiffonnée sur le sol froid de l'hiver qui tapissait son coeur, épuisée jusqu'à l'âme. Jusqu'à ce que le minuscule fétu d'essence vital qui brillait encore faiblement dans ses prunelles, menace de s'éteindre à son tour. Avec la peur vrillée au ventre. Une peur qui lui faisait faire de larges détours pour ne plus le voir. Une peur qui faisait trembler tous ses membres toutes les fois où il s'imposait sans hasard. Une peur qui la dégoûtait d'elle-même.

Alors elle avait puisé dans tout ce qui lui restait de désespoir pour crier « Basta »! Elle avait hurlé jusqu'à déchiqueter ses cordes vocales. Elle lui avait dit « Tu ne m'aimes pas! Je ne t'aime pas. Tu me donnes la nausée, tu me fais peur. Je te déteste jusqu'au plus profond de mes tripes et si tu ne sors pas de ma vie immédiatement, je vais porter plainte contre toi pour harcellement. Je vais dire que tu es complètement fou et déséquilibré. Je vais cracher sur toi assez longtemps pour que tu comprennes tout le mal que tu me fais. Je vais te piétiner sauvagement, pour te défigurer. Je ne pense pas que tu puisses comprendre qu'on n'aime pas les gens en essayant de les emprisonner comme tu le fais. Mais je sais que je ne suis plus capable de voir ta face, ton nom ou tes commentaires dans ma vie. À partir de maintenant, si tu viens à un endroit où tu sais pouvoir me trouver, je vais demander aux autres gars de te sortir de là. Je vais considérer que c'est une tentative de viol sur ma personne. Tu voulais que je t'aime? Eh bien tu t'es fourré le doigt dans l'oeil jusqu'au coude. Désormais je te déteste. Et je vais te détester jusqu'à la fin de ma vie ». Il l'avait regardée sans comprendre. Il lui avait demandé s'ils pouvaient aller prendre un café pour en parler calmement. Elle s'était contentée de tourner les talons et de mettre toutes ses menaces à exécution.

Depuis, elle a réalisé qu'il y a des gens dans la vie avec lesquels il vaut mieux éviter d'être gentil.

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mardi, avril 03, 2007

C'est de la faute au barman

C'était le premier mercredi du mois de mars et l'hiver n'en finissait pas de nous faire tomber des chutes de neige sur la tête. Comme si tout espoir de printemps était vain. Je ne sais plus qui de Julie ou moi avait à fermer la librairie, quoiqu'il en soit, une de nous devait rester plus tard. Mais je sais que pour une raison obscure, un petit monstre d'excitation exalté me poussait dans le ventre et que je n'avais pas du tout envie de rentrer immédiatement à la maison. Alors j'ai soudoyé Julie en lui offrant de payer la bière pour la soirée, bière qu'elle ne me devrait pas. Elle s'est finalement laissé convaincre. Arrivée sur place, il y avait foule dans la salle, seuls deux tabourets au bar étaient libres. Nous y avons pris place. Profitant de ce moment rien qu'à nous, nous avons commencé à parler de ce que nous voulions et ne voulions pas de notre futur appartement. Parce que nous déménageons cette années, ensemble encore. Nous en étions à la grandeur de la salle de bain quand le barman s'est penché au dessus de son comptoir pour nous demander : « Une coop, ça ne vous intéresserait pas? »

On s'est regardées, radieuses, puis on s'est retournées vers notre interlocuteur et avons répondu, d'une seule voix : « You bet que ça nous intéresse une coop! » Étrangement, le mec n'avait pas l'air d'avoir compris que nous étions déjà vendues à l'idée. Il s'est donc mis en devoir de nous convaincre, nous vantant tous les mérites de ce type d'appartement. En fait, le seul défaut que nous pouvions voir à cet appartement, à vue de nez, était qu'il était passablement excentré. On est revenues à la maison cette nuit-là en flottant sur les rêves un peu fous que le barman avait fait germer dans nos petites têtes.

La semaine suivante, nous sommes retournées au même endroit. Histoire de voir si la proposition tenait toujours. Ça tenait. Ça tenait tellement qu'il nous avait apporté un numéro de téléphone, le nom de la personne à contacter et avoué, fier de lui, qu'il avait déjà parlé de nous à l'assemblée des membres et que pour l'instant, notre candidature leur semblait intéressante. Sur nos tabourets, on se trémoussait d'impatience. Le coeur gros et les émotions en montagnes russes. Nous avons rejoint la dame, discuté avec elle un peu, attendu patiemment que le temps passe pour s'assurer que personne dans la coopérative ne voulait le logement quand j'ai reçu le coup de téléphone des nouvelles qui vous pètent une balloune. Le logement serait en fin de compte libre pour le mois de mai et d'autres candidats seraient prêts à aménager à ce moment sans problème.

Nuit d'insomnie pour moi. Julie était chez ses parents à Acton Vale (évidemment) et bien entendu, son cellulaire était mort, donc elle était impossible à rejoindre. Il fallait que je réponde vite. J'ai fini par rejoindre Julie qui s'est mise à stresser avec moi. Et puis on a décidé de se lancer, sans filet, en se disant que ce qu'on dépenserait en trop, pour deux mois de double paiement de loyer, nous coûterait somme toute moins cher qu'un appartement plus petit, en dehors de la coopérative, pendant toute une année. La semaine suivante, on visitait le logement. Le rêve. Beau, bien entretenu, dans une rue magnifique et tranquille. Facilement accessible en métro. À vingt minutes de vélo du travail. Merveilleusement bien découpé pour nos besoins. C'était mille fois mieux que dans nos fabulations les plus extravagantes.

Hier matin, nous rencontions les membres de la coopérative. Nous nous sommes levées deux heures d'avance, tenaillées par l'excitation. Angoissées aussi. Nous sommes arrivées les premières au lieu de rendez-vous. Une fois que tout le monde eut été installé, Julie et moi nous sommes rapidement rendues compte, que les membres faisaient tout leur possible pour nous vendre la coop. Nous étions sidérées. On nous vendait notre appartement de rêve plutôt que d'avoir à nous vendre pour l'obtenir. Il pleuvait dehors, l'air était doux. Nous avons décidé de marcher jusqu'à la librairie parce que nous avions tellement d'énergie à dépenser. Une heure et demie passée comme cinq minutes. Nous savions que nous aurions la réponse dans la soirée et que nos chances étaient plus que bonnes.

À neuf heures et demie, durant ma pause, j'ai parlé avec la dame qui est notre contact depuis le début. Confirmant que nous avions la place. Et les membres étaient tellement emballés par nos personnalités respectives qu'ils ont décidé que nous n'avions pas à payer le mois de mai si nous emménagions en juin. Il semblerait que le barman mentionné plus haut, ait beaucoup travaillé pour nous faire économiser cette somme d'argent.

Depuis ce téléphone, j'ai un air d'amoureuse épanouie qui me flotte sur le visage. Et tout ça, c'est de la faute au barman.

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