jeudi, novembre 27, 2008

Conquérir le monde

J’avançais avec toute la mauvaise foi dont je suis capable vers le magasin où je devais rejoindre ma mère pour aller me chercher le satané kit de Noël annuel. J’haïs magasiner. C’est plus fort que moi. Ma paresse inhérente, sans doute. Me changer quarante fois dans la même journée, est une activité à éviter le plus possible. Même adolescente, lorsque je passais mes samedis après-midi avec les copines à écumer le centre-ville, je n’essayais pas grand-chose. Je passais le plus clair de mon temps à attendre qu’elles fassent leurs essayages en dépensant, au passage, leurs maigres économies. Vraiment, pas mon genre. Alors donc, c’est une véritable corvée que d’avoir à fouiner entre les tissus, les grandeurs et les teintes pour trouver quelque chose. Et je suis généralement d’une humeur exécrable lorsque l’activité dure plus de vingt minutes. Les pauvres vendeuses en font les frais. Qui plus est ce jour-là, je devais acheter des chaussures en plus de vêtements; je me voyais mal arborer des souliers de courses avec la robe de Noël.

Bref, c’est envahie de tout ce que j’ai de mauvais caractère que je m’engouffrais dans la boutique pour échapper à bise de novembre qui soufflait sur mes joues. Résistant à toute force au désir de mordre dès qu’une vendeuse m’a demandé si j’avais besoin d’aide, je pris sur moi d’observer ce qui m’entourait. Faire un choix succinct avant d’entreprendre la corvée de l’essayage est ESSENTIEL au bon déroulement de l’activité. J’avais envie d’une petite robe noire. Mais rien dans les étalages ne répondait à la fois à cette envie et à la structure de mon corps. Pas parce que je suis ronde. Non, c’est que tous les modèles sont faits pour des femmes ayant une taille. Ce que je ne possède pas, même mince. Aidée de maman, j’ai donc opté plutôt pour jupes et chemisiers. Grand bien m’en fit. Une séance seulement dans la cabine et j’avais trouvé.

Bon, alors un problème de réglé. Je m’attelais donc docilement (m’enfin, si faire se peut étant donné mon aversion) au suivant : les chaussures. J’ai le net désavantage de chausser du 7. Comme la plupart des filles de Montréal. Alors, je me retrouve le plus souvent dans le pétrin puisque ma pointure, dans les jolis modèles est souvent discrètement absente des arrières boutiques. Grommelle et re-grommelle. Évidemment, cette journée n’échappait pas à la règle et pour les quelques modèles que je trouvais beaux ayant encore ma pointure, ils m’étaient inconfortables. Ou encore ils ne tenaient pas sur mes tendons d’Achille trop étroits. Grommelle et encore grommelle. La pauvre commis commençait sérieusement à se demander si je n’allais pas me jeter brutalement sur elle pour frapper (oui, si pire que cela).

C’est alors que je vis cette petite chaussure de ma pointure en démonstrateur. J’avisais, demandais la seconde et les enfilais. Coup de poing qui me clouait au plancher. Sourire ravi aux lèvre, j’ai annoncé : « je crois que nous venons de trouver les gagnantes. » Ma mère a poussé un à peine perceptible soupir soulagé. J’enchaînais : « avec elles je me sens capable de conquérir le monde! »

Rien que ça! Et je suis partie, emportant mes achats, fière de moi comme je ne l’avais pas été depuis longtemps.

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lundi, novembre 24, 2008

Mémoires de décembre

Je suis un peu en avance avec ce texte, mais à chaque année, je renonce à l'écrire le jour dit parce que d'autres sur la toile racontent mieux que moi ce qui s'est passé. C'est pourquoi, je devance le temps cette année, de peur de me censurer. Encore

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Tous les matins, ou presque, Stéphanie le croisait sur le chemin qui menait à la polyvalente. Ils partageaient quelques cours, mais pas d’amis et surtout, jamais un mot ni un regard. Elle connaissait son nom depuis plusieurs années déjà, à cause de l’école et si ce n’était du fait que sa demeure croisait son chemin quotidiennement elle n’en aurait jamais su plus sur Jean-François. Un garçon bien ordinaire. Un peu timide, pas vraiment beau, pas laid non plus. Il ne possédait pas le charme de ces jeunes hommes qui faisaient la loi à l’école. Il n’était qu’un dans la masse. Elle aussi d’ailleurs. Mais leurs groupes anonymes ne se côtoyaient pas. Ce matin là pourtant, ils s’étaient échangé un regard sur la route. C’était un lundi matin, pas tout à fait comme les autres. Le premier cours à l’horaire de ces adolescents fébriles en était un d’histoire. Un cours attendu, puisque qu’au début de chaque mois, ils discutaient d’actualités. Trois élèves présentant tour à tour, les actualités internationales, nationales et régionales, dans l’ordre. Arrimant ainsi le passé au présent. Et c’était leur tour à tous les deux, ordre alphabétique oblige.

Elle était anxieuse. Elle devait briser la glace, raconter et commenter ce qui s’était passé autour du monde durant le mois écoulé. L’Afrique du Sud, la France, les États-Unis étaient à l’ordre du jour. Dix minutes pour présenter tant de choses, c’est court. Stéphanie s’en sortit sans trop de heurts. Survécu même à la période de questions des autres élèves. Elle écouta comme dans un rêve, l’exposé suivant, celui sur les nouvelles nationales, qui d’ordinaire l’intéressaient le plus, encore crispée par son propre exposé. Puis, ce fut au tour de Jean-François. Tous savaient au moins un thème qui serait abordé au cours de l’exposé. Polytechnique est ses mortes. Cinq jours seulement après le drame, il était évident que le sujet serait à l’ordre du jour.

Rapidement, les élèves se sont rendu compte que leur collègue approuvait le geste posé par Marc Lépine. Un silence glacial s’installa dans la classe. Les adolescents étaient tétanisés tandis que le professeur, blanc comme un linge interrompait la présentation en demandant un « pourquoi, empreint d’horreur et de doute ». Dans le fond de la classe, quelques filles se mirent à pleurer. Stéphanie, elle sentait son cœur manquer quelques battements. C’était l’hiver, dans l’hiver. Jean-François, à l’avant, semblait inconscient de l’effet qu’il produisait sur ses compagnons de classe et répondait avec une hargne que les autres n’auraient jamais soupçonnés aux questions du professeur. De ce discours, Stéphanie de retenu que la blessure d’un garçon qui n’était pas encore tout à fait un homme, tentant de se dépêtrer du sentiment de transparence qu’il ressentait lorsqu’une demoiselle le croisait. Et qui s’était mué en hargne profonde. Elle se disait qu’elle aurait dû lui parler. Avant.

C’est à ce moment qu’il se mit à cracher son venin sur les filles de la classe. Et Stéphanie était du nombre des victimes de cette colère plus grande que nature. Frissonnante, elle espérait que la cloche sonne au plus vite et surtout ne pas avoir à faire le chemin vers la maison avec la muette compagnie de Jean-François quelque par autour d’elle. Cela ne se produisit pas ce jour-là, ni les jours suivants. En Janvier, il devint évident que Jean-François avait quitté la polyvalente.

Mais son souvenir, lui n’a jamais quitté ceux qui l’avaient entendu.

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mardi, novembre 18, 2008

Une histoire de loups-garous

J’ai toujours été fascinée par l’incidence de la Lune sur les personnages des livres que je dévorais. Sans y croire véritablement. Bien entendu, je sais depuis longtemps que cet astre a une influence certaine sur la planète qui me sert de logis ne serait-ce que l’effet tangible qu’on peut mesurer sur les marées. Mais étant une fille de la ville, je ne voyais cette attraction que lors des vacances familiales. Comme si j’entrais dans un monde différent pendant un court laps de temps durant lequel la nature reprenait le droit de me faire observer réellement les interactions entre ma petite personne et le reste de l’Univers. Pour moi donc, la lune n’était qu’une planète que je pouvais observer de temps à autres dans le ciel des citées où j’ai habité, et une dame louangée dans les mythologies dont j’étais friande et dans des œuvres poétiques dont je me repaissais.

Un certain jeudi soir cependant, j’ai dû me rendre à l’évidence que toute mythologie prenait racine dans une certaine forme de réalité.

L’automne était bien entamé. Pourtant la soirée était clémente pour novembre. Assez en tout cas pour que les habitants de cette nuit précise ne se sentent pas tenus de porter encore des vestes chaudes et autres items qui les cachent à la face du monde. Le bar était plein et une étrange effervescence palpable enveloppait les convives. Les fenêtres ouvertes laissaient filtrer les brises nocturnes sur les êtres de plus en plus échevelés qui peuplaient l’endroit. Contrairement à nos habitudes, les tables s’étaient délimitées par genre. Les femmes avaient toutes pris dans le même secteur tandis que les hommes en occupaient un autre. L’émoi de plus en plus perceptible de tous ces corps qui échauffaient l’espace disponible me donnait le vertige pendant que les discussions que nous tentions de tenir n’allaient nulle part. Nous sentions que quelque chose se préparait. À ma table, les filles trituraient leurs cheveux ou les pans de leur robe en donnant l’impression d’avoir perdu leurs moyens.

Pour une raison que j’ignorerai probablement toujours, tous les hommes présents ont ôté leur chandail simultanément. Tributaires, sans doute, d’un éclair de lune qui traversait les croisées. Devant moi se dessinaient des loups-garous hurlant leur masculinité à la Lune. Nous savions toutes que nous nous étions à un battement de cœur de voir surgir des vampires de cette nuit trop douce pour cette époque de l’année. Des vampires qui fondraient sur nous sans égard aux vies que nous menions jusqu’à cette minute précise.

Mais l’instant s’est évanoui aussi subitement qu’il était apparu. Les hommes se sont rhabillés. Et peu d’entre nous, au matin ne se souvenaient que nous avions vu naître des loups-garous.

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jeudi, novembre 13, 2008

Pôle Nord

J’étais encore toute petite, au sens propre du terme, lorsque mon école a déménagé assez loin de la maison pour que je sois tenue de m’y rendre en voiture ou en autobus. Mais assez vielle pour ne pas avoir envie d’arriver dans la voiture familiale tous les jours. Un besoin d’indépendance très tôt développé faisait en sorte que je préférais, de loin, me débrouiller toute seule. Par conséquent, je fréquente les autobus de ville depuis fort longtemps. À cette époque, je n’avais pas atteint ma pleine grandeur et il me tardait d’être assez grande (en hauteur) pour qu’enfin mes pieds touchent le plancher lorsque je prendrais place dans un de ces bancs. J’apprendrais à mes dépends que cette grande aspiration ne verrait jamais le jour : encore aujourd’hui, mes pieds balancent dans le vide.

Mais cela n’est valable que lorsque je peux m’asseoir ; à l’heure de pointe je suis généralement coincée entre deux sacs-à-dos et autres géants qui prennent toute la place dans l’allée et tous les points que je puisse atteindre de ma main sur les poteaux qui me permettraient d’atteindre un certain équilibre. Pourquoi diantre, les grandes personnes, en hauteur toujours, ne tiennent-elles pas compte de la hauteur des petites personnes lorsqu’ils s’engouffrent dans l’autobus?

N’empêche j’aime beaucoup prendre le transport en commun, malgré tous les inconvénients qui y sont reliés. C’est un endroit qui nourri grandement mon inspiration. Zone par excellence d’observation du genre humain, je me repais des petits travers de mes concitoyens. Surtout de ceux que j’y croise régulièrement. Ils deviennent des personnages en éclosion des pages que je laisse traîner ici. J’apprécie particulièrement les trajets que je fais le soir, après 21 heures. Lors de ces voyages, la clientèle est, disons, intéressante. De plus, l’espace disponible me permet une large observation des voyageurs. Je peux même surprendre des bouts de conversation que je m’empresserai de noter une fois arriver à destination.

Hier soir, un petit bout d’homme est rentré dans l’autobus un arrêt après moi. Il avait les bras surchargés d’objets indéfinissables et encombrants. Plein de trucs en plastiques aux couleurs criardes. L’homme était tout petit, bedonnant de ce que je pouvais voir puisqu’il me tournait le dos. Étrangement, les passagers déjà présents qui lui faisaient face lui adressaient tous la parole. Comme s’il était un réel habitué de ce trajet et qu’en fait j’étais dans SON autobus. Il a fini par prendre place et me faire face. Ses petits pieds potelés touchaient encore moins le sol que les miens et se balançaient étrangement au bout de ses jambes. Et puis, j’ai vu qu’il avait une grosse barbe blanche et qu’il abordait fièrement une pancarte lumineuse indiquant « Pôle Nord » qui pointait sur lui.

Moi qui ai toujours cru que le Père Noël était un grand homme, hier soir j’ai compris qu’il était plus petit que moi.

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mardi, novembre 11, 2008

Influence impalpable

C’était un homme que je n’avais jamais trouvé séduisant de ma vie. Je l’aimais beaucoup, n’empêche que je ne l’avais jamais considéré comme un être que je pourrais potentiellement courtiser. D’abord, j’ai des principes, je vois les hommes en couple comme des intouchables, du moins lorsque je le sais à l’avance. S’ils taisent cette information, alors c’est plutôt difficile de les classer dans la bonne catégorie. Lui, il était en couple depuis longtemps. Et papa. Je suis tributaire de mon passé et le fait que je n’ai pas eu de papa provoque chez moi une certaine sensibilité à ceux qui le sont. Quelquefois, il me parlait et là, ma perspective de lui se bouleversait complètement. Allez savoir pourquoi quand il me racontait que sa fillette grimpait tous les soirs sur ses genoux en disant : « Papa, pipi », ça me mettait les émotions toutes à l’envers.

Un jour que j’étais tranquillement assise à écouter ses anecdotes paternelles et à lui trouver un charme que je ne lui connaissais pas, un autre mec est entré dans la salle. J’ai eu soudain l’impression de revoir surgir en moi, la femme requin. Ou plutôt la femme qui sait qu’elle peut séduire n’importe qui. Comme si le fait que je sois en train de craquer devant les yeux d’un autre ajoutait à mon capital de séduction. L’intrus s’est mis à rougir violemment au moment où j’ai posé mon regard dans le sien. Il a bafouillé quelque chose de confus à propos de paperasse à terminer. Je lui ai souris en me levant pour lui céder la place. Il a rougi de plus belle et je suis sortie heureuse. Heureuse d’avoir attrapé ce moment qui faisait tellement de bien à un célibat depuis trop longtemps cristallisé.

Et puis la vie s’est mise à débouler autour de moi. De hasards en rencontres, je me suis remise à me percevoir comme quelqu’un qui plaît et non plus comme une femme trop ronde qui n’a pas ses chances ni l’envie de transformer son corps pour s’arrimer aux dictats de la beauté actuelle. Brusquement, l’existence s’est mise à me faire des fleurs, à tous les plans. Des nouvelles amitiés, de nouveaux défis d’emploi. Tout pour moi. Des souvenirs sucrés qui me remontaient en mémoire, confirmés par des attentions que je n’attendais plus. Des preuves tangibles de la place que j’ai occupée dans des espaces temps depuis longtemps révolus qui me laissent croire que je suis, somme toute, une femme comme il s’en fait peu. Et surtout que je ne suis pas le genre de personne dont les échos se taisent facilement.

Une petite goutte de bonheur dans un présent qui s’éclairait tranquillement. Comme si le fait de m’être laisser prendre par le charme d’un papa, me remettait sur la route de mes jours. Sur mes sentiers qui mènent ailleurs. Ici, le plus souvent. Comme si, j’avais repris contact avec la flamme qui m’a toujours fait écrire en décidant que je peux encore me laisser émouvoir par des hommes que je ne désire pas toucher autrement que par amitié me permettait, par la bande, de troubler les autres hommes qui bordent mon parcours.

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jeudi, novembre 06, 2008

Novembre en cocon

Sous ma fenêtre, il y a un arbre. Et le brouillard. Novembre bien installé sur ce quartier dans lequel je vis. Dans toute la ville certainement, aussi. Étrange sensation. Il fait une température de septembre, pourtant ce matin a un côté glauque, terne et sombre qui répond tout à fait à l’idée que je me fais de novembre. Je me suis aventurée dans l’opacité du nuage tombée sur la cité. On n’y voit rien. L’avancée est prudente, les bruits étouffés. Chaque coin de rue est une aventure à lui tout seul. Plus tôt, les enfants se tenaient par la main pour se rendre à l’école primaire de l’autre côté de la rue. Leurs pas étaient parsemés de rire contenant une certaine appréhension. On est loin du nuage imaginaire doux et cotonneux sur lequel on pourrait se vautrer correctement. Le nuage échoué sur Terre est un cocon qui isole les citadins.

Pour peu je me serais crue dans le Londres de Stevenson ou de Shelley. Il me semblait entendre les calèches rouler entre les ombres embrumées. Il ne faisait pas froid pourtant j’avais un frisson persistant dans la moelle des os. Comme si les nuages étendaient leurs tentacules jusqu’à l’intérieur de moi. Pas très rassurant. Surtout lorsqu’on a l’imagination débordante. J’avais envie de posséder un énorme éventail pour chasser ce ciel qui nous est tombé dessus. Envie de me battre contre l’inertie qui m’habite depuis près de dix ans. Comme si en chassant le smog ambiant, j’allais pouvoir chasser du même souffle cette sclérose lancinante qui a fait de moi ce que je ne suis pas vraiment. Désir d’aller aussi jusqu’au bout de mes possibles de changer la perspective que j’ai de moi. Ne plus me voir née pour un petit pain, mais comme une femme qui mérite de prendre une bouchée dans la vie et de sa savourer lentement.

Dans les dernières semaines, j’ai eu droit à certains commentaires qui m’ont remis sur des rails depuis longtemps oubliés. Petits cadeaux échappés des phrases éparses de ceux qui me suivent depuis longtemps et qui m’ont vue, impuissants, plonger à toute force dans les stagnations de ma dépression durant lesquelles mes doigts ankylosés ne trouvaient plus les mots qui me libèrent et qui me permettent de respirer. Des actes de foi auxquels ne je donnais plus de crédit. Des souvenirs perclus, perdus à travers les trames du temps qui me remontent l’échine comme un élan qui me permet de me reposer sur des acquis, qui sont les miens. « À quand, Mathilde, ce recueil, ces recueils, auxquels tu aspires si fort? » Drôle de savoir qu’il m’avait écrit ces mots exacts dans mon album de finissants, durant l’été 1991 et que c’est à peu près la première question qu’il m’a reposé lorsque la vie a permis les hasards d’une nouvelle rencontre. Drôle de noter cette similitude dont il est certainement inconscient.

Sous ma fenêtre, le soleil a étiolé le brouillard qui a levé sa chape comme une dame relevant élégamment ses jupes avant d’entreprendre l’ascension d’une estrade, avec toute la grâce que cela suppose. Mes épaules sont désormais légères, mon souffle s’est apaisé. J’ai envie de me jeter dans la mêlée de ma propre vie et d’en sortir aussi éclatante que faire se peut.

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samedi, novembre 01, 2008

Lire les femmes

Il s’est assis à ma table, l’air découragé. Avant même qu’il ait fini sa première gorgée de bière, j’avais le plaisir émoustillé, tendu vers les possibles de la discussion. Il a clairement une multitude de femmes en tête. Le regard l’affirme et le découragement le confirme. Il me dit :

-Je ne comprendrai jamais les filles. Je pense que je n’ai vraiment pas le bon décodeur.

Il fait la moue. Moi, je souris et ça l’exaspère. Je les connais les signes, après tout je suis l’une d’entre elles. Ni la plus jolie ni la plus charmante, pas la plus laide non plus. Je suis une femme célibataire comme tant d’autres autour de moi. Et je peux lire tous les signaux qui s’étalent devant mes yeux. Alors je dis :

-Tu veux que je te donne les clés pour que tu comprennes tout ce que les femmes ici, dans ce bar, disent avec leur corps?

Il me regarde, ahuri :

-Tu penses que t’es capable?

Je tends la main vers une table près de la fenêtre où un homme et une femme sont en train de discuter :

- Elle… Elle n’est pas très à l’aise. Je pourrais imaginer que c’est un gars auquel elle sait qu’elle plait, mais la réciproque n’est pas vraie. Il se tend vers elle tandis qu’elle cherche à créer une distance. Tu vois, la manière dont elle s’est placée? Le bras de la chaise comme une frontière entre leur deux corps.

- Ah tu crois?

Je détourne son regard :

- Au bar, la fille en bleu, ses yeux s’allument quand son voisin de gauche lui parle… Écoute son rire. Là, tu entends? Ce rire de gorge un son grave et chaud? Elle est sous le charme, complètement. Le plus amusant c’est que lui n’a pas l’air sûr de ce que ça peu bien vouloir dire. C’est pourtant clair, pour moi. L’ouverture et béante. L’appel évident.

-Oui… T’es certaine? C’est ce que ça veut dire?

-Mais oui. Tiens, cette fille-là, tout au fond du bar? Celle avec la camisole rose? Elle s’approche du mec qui joue au billard, celui avec la chemise noire? Ils ont probablement une certaine aventure ensemble. Elle n’est pas certaine de ce qu’elle va recevoir ce soir, alors elle manifeste sa présence, son intérêt, subtilement…

-…

-Et là, près du mur, la fille qui écrit. Elle dresse une barrière entre elle et les autres. Pas disponible. Aussi jolie soit-elle. Elle n’est pas là pour faire une conquête, elle est là pour ne pas être seule. Mais elle veut rester seule en même temps. C’est comme ses voisines, à la table d’à côté. Discussion de filles. Pas de place pour un gars qui s’aventurerait à leur parler. Je parierais que celui qui s’y essaierait se ferait revirer de bord rapidement.

-Hum, ça ce tient, mais t’inventes tout. C’est juste ton imagination

-Tu crois?

Le silence s’installe. Il me regarde plus du tout convaincu de me comprendre. Je suis désormais une drôle de petite bonne femme qui parle de séduction, plus du tout l’amie à qui il avait donné rendez-vous.

Il se lance :

-Et toi?

-Moi? Moi ben, je ronfle, mais je fais les meilleurs petits déjeuners en ville.

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