J'ai été ado à une
époque où il ne faisait pas bon être toqué de science en général,
ou de math en particulier. Les adeptes de ces sports cérébraux
était qualifiés de nerds sans aucune forme de procès et leur
niveau de popularité général parmi nos pairs était encore plus
bas que le mien. Ma tare à moi était de dire à tous vents que
j'aimais l'école, ce qui n'avait pas tellement meilleure presse, je
dois bien l'avouer. Ce qui me sauvais, c'était que je n'étais pas
très performante dans mes études, malgré mon plaisir de me trouver
dans une salle de classe.
La seule personne, à ma
connaissance, à qui le plaisir des maths était pardonné, était
une punkette de trois pieds deux pouces qui était sauvée par ses
goûts musicaux et son allure générale; après tout, l'essentiel
était de ne pas avoir l'air nerd. Encore aujourd'hui, je lui
sais gré de cet amour que je ne comprenais pas puisque j'ai réussi
deux niveaux consécutifs parce que nous étions dans la même classe
et que sans elle, je n'aurai jamais compris quoique ce soit.
M'enfin, en secondaire 4,
je crois, ma classe comportait une forte délégation de ces nerds.
Des gars, pour la plupart, que je méprisais, comme tout le monde. Je
n'ai aucune idée pourquoi, quand j'y repense aujourd'hui, mais bon,
allez donc comprendre le mépris adolescent, même à rebours.
D'ailleurs, je crois bien que je faisais partie du groupe de ceux
qu'ils méprisaient en retour, parce que je posais plein de question
tout le temps, étant donné que je comprenais rarement un truc
(surtout scientifique) du premier coup.
À travers cette meute,
il y avait ce mec qui a partagé mon groupe de base pendant trois
ans. Trois ans sur cinq, ça fait beaucoup. Il n'a jamais été mon
ami, il n'a pas même été une personne à qui j'accordais le statut
d'être humain. Le pauvre avait l'air physiquement fâché avec
l'adolescence. Il était dégingandé, ses traits faciaux étaient
largement disproportionnés, quasi asymétriques; son nez était trop
gros, ses lèvres trop minces, ses yeux minuscules, cachés derrière
des lunettes immenses lui donnaient une allure perpétuellement
caricatural. Et il était d'une timidité maladive, ses tentatives
d'exposés oraux en faisant foi.
Et pour ajouter l'insulte
à l'injure, il était doté d'un nom ultra commun, du genre Martin
Tremblay (ce n'est pas son nom, je vais me garder une petite gêne
ici). Toujours est-il que ça en faisait un personnage très
fantomatique, dans mon univers adolescent.
Et puis, il y a quelques
temps, j'ai commencé à voir, souvent, à la télé ce mec qui avait
fondé je ne sais plus trop combien de PME en informatique, qui fait
partie de ces hommes singulièrement préservés par l'avancement des
années. Un de ces hommes qui a l'air précisément bien dans sa peau
et dans son environnement. Qui ne fanfaronne pas, qui est plus
qu'autre chose un fabricant de l'ombre mais que de temps à autre on
appelle comme expert, et ça m'a pris quelque chose comme trois ans
pour faire le lien entre lui, et lui.
On dit souvent que la
vengeance est un plat qui se mange froid, je crois que dans son cas,
c'est exactement cela, si tant est que la vengeance tient en la
réalisation de soi.
Libellés : Digressions, Sur la frontière du réel