dimanche, janvier 29, 2017

L'ordinaire d'une journée

La journée avait pourtant assez mal débuté. Rien de très grave, une absence maladie qui s'était déclarée sur le tard, me laissant un brin dans l'embarras opérationnel. Un peu plus de course qu'à l'ordinaire, surtout si on ajoute le fait que je suis généralement en congé le dimanche. Mais bon, j'ai un jour dit à mon boss qu'il pouvait jouer aux quilles dans mes horaires comme il le voulait à condition que je le sache deux semaines d'avance. Alors je n'avais rien dit en voyant mon horaire.

Et puis, j'aime le service à la clientèle. J'aime donner des formations sur sur le pouce, partager des connaissances ou des intérêts. Alors, je ne suis jamais malheureuse quand les obligations me mènent dans ce secteur. Et sérieusement, quelle que soit la succursale où j'ai travaillé, le dimanche matin, ce n'est que rarement un moment occupé. Je savais donc que j'allais survivre à la situation sans trop de heurts.

Après cette matinée échevelée, j'avais décidé de m'acheter les quatre premiers tomes d'une série que j'ai envie de lire depuis longtemps, mais dont j'avais retardé l'achat parce que je voulais être certaine que le dernier tome de ladite série me soit accessible avant de la débuter. Je savais que ce n'était pas une très bonne idée, parce que je savais pertinemment que j'avais un texte à écrire et que la série serait une tentation quasi irrépressible. La procrastination de l'écriture trouvant toujours un moyen de s'insinuer dans la vie des écrivaines dilettantes de mon accabit.

En sortant du travail, avec l'envie de mordre dans mes livres à pleines dents, je me suis aperçue que j'avais une série de messages que le béton de l'édifice n'avait pas laissé passer. J'avais donc répondu à l'un d'entre eux et m'étais mise en route, à pieds, pour le domicile de cette amie en profitant des derniers rayons de soleil de cette belle journée de janvier.

Je m'étais attardée pour récupéré une petite création de céramique, ornée par mes soins quelques semaines plus tôt, mais aussi pour profiter de la compagnie de mon amie. Mais surtout pour lui demander de me faire assez confiance pour m'acheter un voyage dans le Sud parce que mon crédit est toujours à l'année zéro de ses possibilités. Elle avait souris, ouvert son ordinateur, procédé à la transaction, sans question aucune, sachant à l'avance que je la paierais rubis sur l'ongle.

Alors voilà, je pars le 6 avril, toute seule pour Cuba. C'est la deuxième fois. Lors de ma première expérience, j'avais peur. Aujourd'hui j'ai juste hâte. Je sais que je ne m'ennuierai pas. Je sais que j'aurai assez de livres pour me rassasier. Je sais que je vais me reposer et profiter de la mer à satiété. Mais surtout je sais que si j'ai fait beaucoup d'erreurs professionnelles et financières dans des choix passés, je n'en ai fait aucune en établissant cette amitié.

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mercredi, janvier 25, 2017

On cause

C'est un pays étrange. Un pays où la lumière est filtrée par d'épais nuages. Il n'y fait pourtant pas vraiment sombre, ça ressemble davantage à un matin d'hiver très brumeux quand la lumière est crue malgré tout. On sent qu'on est sur le point de voir quelque chose, pourtant, rien n'apparaît. Les êtres et les choses qui l'habitent sont comme autant d'ombres aux contours indéfinis. Une contrée désertique, aux sables fuyants.

Les issues sont insaisissables. Elles semblent inexistantes et pourtant toutes proches. Il n'y a aucun endroit qui soit confortable, le sol se meut sous tes pieds. Et tu cries de tout ton cœur, tu cries que tu es-là, toute seule et en danger mais personne te te répond. Personne ne t'entend parce que les sons sont étouffés par la brume, l'opacité, la distance, tu ne sais pas. Tes mains tremblent de froid, ton sommeil est menacé par tout. Tu ne veux déranger personne et tu sens que tu déranges tout le monde. Les nuits deviennent tes ennemies, elles ne te portent pas conseil parce qu'elles te rappellent à quel point tu es la sommes de tes erreurs. Toutes tes erreurs de langage, de posture,de jugement et toutes les choses un peu mesquines que tu aurais pu exprimer se remémorent à tes souvenirs.

Le silence est menaçant parce qu'il laisse tout l'espace à tes pensées. Elles ne sont pas jolies. Tu n'es pas jolie. Pas assez pour être aimée. Tu te mesure à l'aune de tes échecs, et bien entendu, ils sont plus nombreux que tes réussites. Tu ne vaut pas la peine qu'on s'intéresse à toi, tu es trop moche, pas assez intelligente, trop endettée, pas assez drôle. Tout devient confus.

Tes proches t'ont beaucoup dit, au cours des derniers mois que tu n'avais plus d'écoute, plus de compassion. C'est tout ce que tu retiens de l'ensemble de ton existence. Les accomplissements précédents n'ont aucune espèce d'importance, tu ne les reconnais plus. Tu sais, au fond de toi qu'à toutes les fois où on t'a dit quelque chose de gentil, c'était par pitié et que tu ne le méritais pas. Tu es un petit pou, un petit monstre d'égoïsme qui ne sait que se regarder le nombril. T'as le vertige pour la première fois de ta vie, un vrai maudit vertige. Dans les escaliers qui mènent de ton appartement à la rue, tu te retrouves en petite boule, incapable de les descendre parce que tu vois le sol dans l'ajouré du fer forgé. C'est une voisine ahurie qui te tire de là. Une voisine que tu détestes parce qu'elle te réveille presque toutes les nuits avec sa musique que tu n'apprécies pas davantage.

Et tu pleures sans larmes. Tous les jours. Tu pleures sur ta solitude, tes échecs, tes maudits échecs. Tout devient une responsabilité énorme, au delà de tes capacités. T'es totalement coincée dans ce pays horrible. Tout en sentant, quelque part, pas si loin qu'il y a d'autres contrées, moins pénibles. Sauf que tu sais très bien que tu ne les mérites pas. Tu t'étioles au rythme de tes inspirations. Tu te dis que dans quelques semaines, à la limite quelques mois, tu seras une itinérante de plus parmi toutes celles qui hantent les rues de Montréal parce que tu ne mérites pas plus que cela. Même pas la mort prodiguée par tes soins, ce serait une beaucoup trop grosse responsabilité, en plus, ça reporterait tes dettes sur les épaules de quelqu'un d'autre, et ça, tu ne peux pas l'accepter.

Et puis, un jour, t'as été prise par la peau du cou par un ami qui t'a amené au CLSC. Il a attendu que tu sois vu par n'importe qui, mais que tu sois vue, avant de laisser aller ta main moite. Et c'est là que tu as appris ce que c'est que la dépression. Que le pays dans lequel tu vis, tu n'es pas toute seule à le fréquenter et qu'il a un nom. T'es folle, mais ce n'est pas insurmontable, ça peut se soigner comme un rhume de cerveau, si tu te donnes la peine de bien vouloir essayer.

Très lentement, la brume se lève sur le pays des zombies, mais pour le reste de ta vie, son paysage restera tatouée dans toutes les fibres de ton corps, tu sera toujours à distances de marche de ses marais gluants, si seulement tu oublies que tu n'es pas infaillible.

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dimanche, janvier 22, 2017

Espaces olfactifs

Jeune adulte, j'ai partagé un appartement avec un paquet de gens différents. J'étais la signataire du bail et les chambres se vidaient et se remplissaient au gré des saisons des programmes stages coopératifs. Durant un été, j'y ai habité avec des gars qui étaient adeptes des jeux de rôles. Je faisais constamment sursauter l'un d'entre eux, parce qu'il ne m'entendait jamais arriver nulle part. Il me disait que j'étais dotée du mouvement silencieux. Moi, je souriais en entendant ce commentaire que je ne comprenais que de loin.

Mais ce trait de caractère, je l'ai gardé. Je ne suis pas très bruyante dans la vie. Ma mère dit que je suis une souris parce que j'arrive à quitter son domicile sans vraiment la réveiller, elle qui a un sommeil léger. Pour vrai, je ne tente même pas de ne pas faire de bruit, je n'en fais pas, c'est tout. Une question d'habitude, je présume. Parce qu'à force d'habiter en colocation, on se rend compte que toutes sortes de bruits mélangés mènent un tintamarre pas toujours agréable. J'écoute toujours la radio, enfin presque, mais je l'écoute à partir de mon baladeur. Ainsi, pas de chance de déranger qui que ce soit. Lorsque j'écoute la télévision, il me semble toujours que le bruit de ma télé est trop fort, mais si je sors de ma chambre et que je referme la porte derrière moi, je n'entends jamais un son émaner de l'appareil.

J'ai mille trucs pour éviter que mes clefs s'entrechoquent au magasin, je ne me sens pas à mon aise lorsque je me promène et que le cliquetis métallique m'annonce douze pas avant mon arrivée. J'ai toujours détesté les souliers à semelles rigides parce que je ne supporte pas d'entendre les claquements des talons sur les pavés. Pas quand je suis celle qui les produits en tout cas. Déjà que je ne marche pas très vite, si j'ai de telles chaussures à mes pieds alors je deviens franchement lente parce que tente à toute force de ne pas les faire résonner. Ça devient un combat constant.

Quand je partage des lieux avec des gens, je me ramasse toujours, et empile mes biens dans un coin pas trop dérangeant. Je ne sais pas pourquoi je fais cela, peut-être parce que je n'aime pas me faire envahir par l'espace d'autrui. C'est une possibilité que j'envisage, après tout, je sais depuis longtemps que j'ai une bulle très étanche.

Sauf que cette perception intime que mon espace pourrait déranger celui de quelqu'un d'autre, tout le monde ne la partage pas. Il y a cet homme, que je croise souvent, qui semble très fâché avec les désodorisants. Très, très fâché. Généralement, je sais qu'il est présent parce que je le sens dans le vide d'un corridor, après qu'il y soit passé. Quelque fois, je l’aperçois avant d'arriver dans sa zone, alors je retiens mon souffle et j'essaie d'avoir l'air bien normale quand je le salue. Si cet homme était un employé, un collègue, un ami même, je lui aurais dit depuis longtemps que nous avons un problème important. Mais il n'est rien de tout cela, seulement quelqu'un qui fréquente le même immeuble que moi.

Des fois, des fois seulement, je deviens tellement irritée contre l'odeur forte de transpiration qu'il dégage que j'ai presque l'élan de lui dire qu'il pue, au lieu de « bonjour ». Mais je me retiens toujours à temps, parce que j'ai bien trop peur de le déranger ou de le blesser, ce qui serait encore pire...

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jeudi, janvier 19, 2017

Pour un peu de hasard

Sur le balcon délavé, une boîte en carton éventée par la bise hivernale et les tourbillons neigeux laissaient voir le contenu d'une histoire qui s'était terminée abruptement. Un peu de quotidien, un peu de prévisionnel, tout de ce que l'on sème derrière soi afin de se bâtir un espace dans la vie de l'autre. Un contenu désormais futile parce que les objets en question ne retrouveraient plus jamais leur utilité dans le la vie de leur propriétaire, marqués qu'ils l'étaient désormais par leur passage sous les intempérie, mais surtout dans cette envie de créer qui ne se concrétiserait plus.

À quelques rues de là, une femme versait des larmes amères, après être passée plusieurs fois devant la maison, en espérant vainement que la boîte qui lui était pourtant destinée, eut disparu comme par magie. Comme si le fait de ne pas la ramasser pourrait faire en sorte que tout des derniers jours soit effacé et que les objets puissent retrouver les interstices qu'ils avaient trop brièvement occupés. Il n'en serait rien, la femme le savait très bien, mais elle savait aussi qu'elle n'aurait peut-être jamais le courage de grimper seule les marches de ce logis pour aller récupérer les traces de la rupture.

Dans une chambre qui ne lui ressemblait plus, une jeune homme regardait la neige s'amonceler sur les rebords des fenêtres sans vraiment s'en apercevoir. Son cocon était solide, à des kilomètres du lieu réel où il se trouvait. Ses rêves ambitieux à sa toute personnelle échelle, commençaient à se tisser dans la trame de la réalité : un premier pas vers l'avenir qu'elle se dessinait depuis tout petit. Plus rien d'autre que la lettre d'acceptation qu'il tenait dans sa main moite n'avait d'importance, ni les cris de ses sœurs absolument inconscientes du moment de grâce qui l'habitait, ni la vibration incessante de son téléphone, ni les bruits en aigus des alertes de son ordinateur ne parvenaient à le sortir de sa tête. Pour la toute première fois de sa vie, se disait-il, il voyait son avenir.

À la table d'un café bondé, deux femmes ajoutaient patiemment les couches de peinture aux céramiques qu'elles tentaient de créer. C'était un premier rendez-vous passablement étrange parce qu'elles ne parlaient pas la même langue et arrivaient difficilement à communiquer dans un langage tiers qui était inconfortable pour l'une comme pour l'autre. Et pourtant, elles étaient bien dans le silence qui les enveloppait la plupart du temps, se jetant des regards inquisiteurs, histoire d'être bien certaines de comprendre ce qu'elles vivaient.

Après un premier rendez-vous, un homme arpentait lentement les derniers mètres qui le séparait de son domicile, pas tout à fait certain que l'énergie qui l'animait pourrait se taire une fois arrivé. Le cœur en bataille, les émotions au garde-à-vous. Il s'y était pourtant rendu à reculons, bien armé de mauvaise foi. Sachant d'expérience que ces rencontres prévues par d'autres ne servaient généralement pas à grand chose. Il s'était cru solidement emmuré dans son armure qui ne cédait plus aux femmes qui pourraient l'atteindre. Mais à cette minute précise, il se voyait tel un cheval fou qui hurle comme un loup d'avoir été touché.

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dimanche, janvier 15, 2017

Quand le ridicule ne tue pas

Dans mon petit magasin, que les clients n'avaient pas encore vraiment découvert, nous avons tout de même vécu quelques journées, avant Noël, lors desquelles il y avait un peu trop de clients pour le nombre d'employés disponibles. Ça ne durait jamais très longtemps, néanmoins, il nous fallait sillonner les rangées en s'assurant que tout ceux qui avaient besoin d'aide avaient reçu les réponses qu'ils recherchaient.

C'est dans ces circonstances que je me suis rendue dans la section des jeux de société qui était bondée. Ça me donnait l'impression qu'il y avait un mur devant le mur. Un mur mouvant et bruyant certes, mais un mur tout de même. J'avais donc lancé un « Est-ce que quelqu'un a besoin d'aide ? » à une quelconque planète potentiellement en orbite de cet univers et comme personne ne me répondait, j'allais tourner le dos quand une voix d'homme m'a répondu : « Ben moi madame, j'aurais besoin d'aide. »

Je m'étais donc rapprochée de lui et avait fait mon travail. C'est-à-dire, tenter de cerner ses besoins, goûts, le pris qu'il voulait ou devait y mettre, bref, le genre de chose que je fais à tous les jours. Comme beaucoup de clients de dernière minute, il était un tantinet désemparé. S'il était là, c'est qu'il n'y avait eu, au préalable, aucune illumination évidente. Il devait acheter un jeu, autour de 25$ pour un party de famille, pas la sienne immédiate, c'est ce que je supposais parce qu'il semblait totalement largué quand aux goûts de tous et chacun. Vu de cet angle, la discussion était, évidemment un peu plus longue que lorsqu'un client arrive avec un titre très précis. Puisque dès lors, que nous l'ayons ou non, les pistes elles, sont nombreuses.

Bref, nous en étions dans les balbutiements de l'exploration de ses besoins et quelque chose me titillait l'oreille ; sa voix. Je savais que je la connaissais. Assez en tout cas, pour perdre le fil de ce que j'étais censée faire, soit l'aider à trouver ce dont il avait besoin. Au bout, de quelques minutes, j'avais fini par lui demander, à brûle pourpoint : «  Désolée, ma question n'aura aucun rapport, mais vous êtes journaliste, n'est-ce pas ? » Il m'avait regardé, sidéré. Un peu mal à l'aise de ma propre audace, j'avais ajouté en vitesse : « ben j'ai un problème de l'ordre de la santé mentale avec la première chaîne de Radio-Canada, c'est comme si j'avais une perfusion sanguine avec elle, je l'écoute tout le temps, sauf que je serais tout à fait incapable de dire votre nom ».

Il me l'avait dit. Je l'avais alors immédiatement associé à une ou deux émissions de ma connaissance, contente de le replacer véritablement. Mais lui, me regardait comme si j'étais une extraterrestre. Vraiment. J'étais gênée et tout à fait mal à l'aise devant son regard perçant. J'avais donc tenté de revenir au sujet de départ, sans grand succès puisqu'il ne semblait plus du tout y être. Pendant ce temps, évidemment, il y avait un paquet d'autres personnes qui me faisaient signe. Je lui avait donc résumé, les suggestions qui me semblaient les meilleures en m'excusant avant de passer au prochain client.

Il avait fini par faire un choix, mais avait attendu que je sois de nouveau disponible avant de quitter le magasin pour venir me dire : « Vous savez madame, nos collègues de la télé se font reconnaître parfois, dans des endroits publics, mais c'était la toute première fois qu'on m'identifiait à cause de ma voix. Vous avez fait ma journée. Merci ». Et il s'était éclipsé.

À tout prendre, ma petite dénonciation ne m'avait rien coûté et lui avait fait plaisir. Même si au passage je m'étais sentie singulièrement ridicule. Et comme ça ne me m'a pas tuée, je sais que je vais recommencer.

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jeudi, janvier 12, 2017

Les yeux du silence

J'ai souvenir d'un petit garçon à la chevelure claire et aux grands yeux noirs. Je sais bien que je l'ai connu dans ses premiers balbutiements dans l'existence puisqu'il est mon cousin et que nous avons quelques douze ans de différence d'âge. J'ai sans doute catiné le bébé qu'il a été, mais je me rappelle surtout qu'il était un enfant timide, très timide. Il se cachait volontiers dans les jupes de sa mère, les jambes de son père ou derrière son grand frère. Et je présume que lorsque ledit grand frère a trois ans de plus que soi, il est vraiment plus grand qu'on ne l'est.

Il me semble qu'il ne parlait pas. Pas qu'il ne savait pas parler, mais il observait la meute impressionnante de cette famille sans entrer en dialogue directe avec elle. Si ce n'est sa cellule familiale immédiate et un de mes frères. Je ne sais pas si c'est parce que ce dernier était bon avec les Legos, si c'est parce qu'il jouait de la guitare ou encore parce qu'il avait un talent certain pour animer les foules (y compris les plus jeunes membres de cette famille élargie), ou peut-être à cause de l'ensemble de cette œuvre. Toujours est-il que j'ai tôt eu l'impression que mon frère avait été pas mal le seul à être capable de créer un pont avec ce petit garçon timide.

Je n'aime pas être en reste. Je n'avais pas les talents de mon frère, mais j'aime les gens et j'étais curieuse de faire la connaissance de ce cousin rétif. Alors, j'allais les regarder jouer et je lui posais des questions. Au début, il me répondait par monosyllabes, puis, avec le temps, il développait, un peu. Il me saluait même, si j'étais dans le secteur quand il arrivait.

Tout a changé le jour ou il a attrapé l'adolescence de plein fouet. Comme si cet état de fait le mettait un peu plus dans le même groupe que ceux qui le précédaient de peu. Et il avait développé un amour de la musique en général et de la guitare en particulier qui lui permettait, je suppose, de se sentir un peu plus dans son espace. À la surprise générale, il s'était mis à jaser de tout et de rien avec un à propos humoristique et candide. Et si beaucoup d'entre nous ne le connaissaient pas ou peu, lui nous connaissait Je crois qu'il a passé les 12 premières années de sa vie à nous observer. Il n'avait peut-être pas une grande langue, mais certainement de grandes oreilles (au sens figuré, s'entend).

Il n'a jamais perdu son habitude d'observation. Ses pérégrinations musicales l'ont amené partout et ailleurs. Il est rare qu'il fasse étalage de son ses réussites dans le domaine, sauf pour admettre qu'il gagne sa vie avec la musique. Par contre, il nous régale désormais de petites historiettes toutes plus anecdotiques les unes que les autres, sur son métier. C'est toujours fait avec la même candeur et le même intérêt pour ceux qui l'entourent. Jamais de mesquineries inutiles, comme si cela ne faisait absolument pas partie du milieu dans lequel il fraie.

Des fois, juste pour le plaisir, je lui pose une question sur une guitare. Je ne comprends généralement pas grand chose à la réponse, mais je le laisse s'envoler dans sa passion et je retrouve un peu le petit garçon qui ne parlait de rien d'autre que de ce qui l'intéressait passionnément. Généralement, il s'arrête en cours de route, saisit soudain par mon incompréhension, et il me demande comment je vais.

Beaucoup gens vivent avec des œillères, lui a choisi de vivre avec des antennes.

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dimanche, janvier 08, 2017

Coups de chimères

Ça avait duré plusieurs mois. Plusieurs moi à sentir monter une certaine forme d'attirance à laquelle je ne croyais pas du tout au départ. D'abord, il était plus jeune que moi, ensuite il était en couple et je n'ai jamais été particulièrement friande des amours d'autrui. Mais à toutes les fois où je mettais les pieds dans le commerce où il travaillait, et bien entendu, je me trouvais toutes sortes de raisons pour y aller, il venait me saluer, placer des choses dans la rangée où je me trouvais, l'air de rien.

Je rougissais alors comme une débutante, tâchant tant bien que mal de le cacher, sans y arriver tout à fait, je crois. Au départ, nous nous étions contentés d'échanger des banalités sur tout et sur rien, puis on s'était aperçus que nos points de vue sur à peu près tout divergeaient. Alors on se piquait constamment. Un de ses jeux favoris était de me piquer mon sac pour regarder quels livres s'y trouvaient et il n'avait de cesse de me tancer parce que je lisais, la plupart du temps des romances à l'eau de roses, de la littérature fantastique, policière ou jeunesse.

Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi ça le mettait hors de lui. Sauf que c'était le cas. Il n'avait pas pu fréquenter l'université, j'ignore encore, à ce jour, pourquoi. Alors il faisait de la boulimie des auteurs classiques, de livres de philosophie et autres essais en tout genre. Il pouvait en parler pendant des heures. Il m'expliquait l'importance de leurs œuvres, comme si, parce que je ne les lisais pas, ou plus, j'en étais subitement devenue totalement ignorante. Ce qui bien entendu était faux. Mais dans l'étrange jeu de séduction qui nous animait, je sentais bien que mon côté intellectuel qui ne l'est pas vraiment, lui titillait l'intérêt.

Si je lui disais avoir aimé un film quelconque, il me démontrait en quelques remarques incisives que ce dernier répondait à des codes précis et que j'étais tout à fait le genre de proie à tomber exactement dans les panneaux qui m'étaient tendus. La plupart du temps, son raisonnement était bon quoique bourré de sophismes et de mauvaise foi patente. Ça ne me dérangeait pas. Ce qui m'intéressait, c'était le fourmillement caractéristique qui me faisait palpiter à toutes les fois où nous étions mis en présence.

Un soir, il m'avait invitée chez-lui en fermant sa boutique. Ce serait, je le savais, la dernière fois que je le verrais. Je m'apprêtais à déménager, je n'aurais plus de raison de passer par son commerce. Il le savait aussi. J'avais donc franchi le pas d'un interdit que je me garde d'ordinaire de frôler.

Il n'y a pas si longtemps, je suis repassée par ce quartier que j'avais habité. J'avais fait un petit détour pour voir si la boutique et l'homme étaient encore-là. Ils y étaient tous les deux. Identiques, quoiqu'un peu vieillis, à mes souvenirs. J'avais su, à la minute où il avait levé le regard sur moi que l'attirance était intacte, exactement au même point où nous l'avions laissée quelques dix ans plus tôt.

J'étais rentrée chez-moi en me racontant mille chimères qui n'allaient pas se réaliser, je le savais. Mais la visite impromptue avait servi son objectif : m'ouvrir une porte sur la frontière du réel et je compte bien continuer à m'y engouffrer.

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mercredi, janvier 04, 2017

Ressentir la portée

Tu te dis parfois que les boulets se tissent à coups de pourquoi. Ces petites questions en apparence innocentes, mais qui sèment le doute dans ton esprit. Et tu te trouves mille excuses pour ne pas aller au bout de toi-même, au cas où. Alors tu t'étioles tranquillement mais sûrement. Sans trop t'en apercevoir, traînée vers l'arrière par le poids que tu avais déposé dans le boulet précédemment élaboré. Il est de ton fait, et tu le sais.

Tu te dis que souvent, il est si facile de ne pas te regarder en face que le déni t'es presque devenu une seconde peau. Presque, pas encore tout à fait, mais pas très loin non plus. C'est tout juste si tu sais saisir le compliment quand ta famille te raconte à quel point ce que tu écris fait du bien à une ou deux personnes de son entourage. Tu rougis, un peu et tasse l'information bien solidement quelque part dans le fond d'une botte pour être certaine de bien marcher dessus et de la malmener correctement.

Bizarrement, même si tu refuses de croire en ces compliments, tu persistes à écrire, à mettre des mots sur un écran, au cas où ils trouveraient des récepteurs, au cas où ils te feraient du bien. Ce faisant tu permets aux braises de ta personnalité profonde de ne pas s'éteindre complètement. Parce que malgré tout, tu es à même de reconnaître que certains textes sont bien fichus. Alors tu continues à te botter les neurones deux fois par semaine, beau temps mauvais temps, inspiration ou pas.

Et tu réalises, un jour d'hiver, qu'à certains moments, dans un passé pas si lointain, tu étais rendue tellement loin dans le déni que tu n'avais même pas compris l'appel qui t'était lancé. Tu n'avais pas compris de ce dont on te parlait quand on t'avais demandé avec tout l'amour d'une mère : « Des fois, je me demande où elle est ma Mathilde, le sais-tu toi » ? Tu avais répondu juste assez à côté de la question pour te donner l'impression que tu y répondais, sans pourtant rien en faire.

Ça avait été facile, en réalité. Parce que la discussion de départ portait sur ton célibat endurci. Tu avais alors pu dire la très exacte vérité : après tout ce temps, tu ne sais plus ce que c'est que d'être en couple, tu ne sais plus si tu as envie de t'y frotter. Et au bout du compte, ça ne te manque pas vraiment. Comme si être la Mathilde dont on te parlait se limitait à cela.

Il aura fallut un certain rire. Le tien. Un rire qui n'avait pas résonné à tes propres oreilles depuis des années pour que tu comprennes l'importance de ce que tu avais laisser filer dans une interstice du plancher. Un peu de ton âme perdue quelque part dans l'Univers.

Tu te dis que la plupart du temps, les gens croient que c'est à perdre quelque chose qu'on en mesure toute l'importance, mais tu sais désormais que c'est à le retrouver qu'on en ressens toute la portée.

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dimanche, janvier 01, 2017

Dans l'antre du loup

Durant les seize dernières années, avec quelques interruptions, j'ai passé la veillée du Jour de l'An avec la même personne. Belle tradition que nous aimons toutes les deux. Sauf que cette année, nous avons décidé de changer nos traditions, sans heurt aucun. Je me préparais donc, depuis quelques semaines à passer cette soirée seule, heureuse de mon sort, pas du tout amère quand l'invitation est apparue sur mon fil de nouvelles. Je n'ai mis qu'une minute à prendre ma décision, ravie de ce changement de programme.

Je me suis donc rendue au nord-ouest de mes chemins habituels, dans un quartier que j'ai connu enfant et dont les apparences extérieures n'avaient que peu changées, malgré le fait que l'antre que j'allais visiter je ne l'avais jamais vue auparavant. Je ne savais pas trop comment j'allais m'y sentir, après tout, lorsqu'on est l'invitée d'un loup, il est possible que l'on n'en sorte pas tout à fait indemne. Je n'avais pas peur, simplement, je savais que ce serait beaucoup une fête familiale, et que les chances seraient bonnes que je sois la seule personne sans enfants dans le lot et que parfois, ça peut créer un certain malaise.

Il n'en fut rien. J'ai d'abord été accueillie, sur le pas de la porte par un nain de jardin d'une autre époque. Il me rappelait les scènes avec des nègres en plâtres qui animaient les pelouses de certaines maisons dans mon enfance. Ça m'a fait sourire sous cap et je n'ai même pas eu besoin de courage pour frapper à la porte, je savais que j'y étais bienvenue. Aussitôt entrée, j'ai été accueillie par un gros chien jeune et fou. Un chien qui voulait jouer, me faire la fête parce que j'étais une nouvelle amie potentielle et qui n'avait aucune espèce de notion du fait qu'il était plus fort et robuste que moi. Évidemment que j'ai figé. En moins d'une seconde, l'amoureuse du loup avait tout compris et fait disparaître la bête dans le sous-sol, histoire de me laisser le temps de me faire à l'idée.

Tous les personnages en présence étaient chaleureux et conviviaux. J'en connaissais certains à divers degrés de proximité, d'autres pas du tout, mais dans l'ensemble, c'était simplement confortable. Les discussions partaient dans toutes les directions, se mêlant et se démêlant à qui mieux-mieux. Et puis, nous nous sommes retrouvés en petite dizaine pour écouter les émissions de fin d'année. Rien de bien extraordinaire, cependant, partager ce moment avec des gens qui partagent généralement les même valeurs et référents et qui rient aux mêmes moments que soi, c'est assez magique.

Je me suis retrouvée sur le quai de la gare d'un métro vers 1h30 du matin. J'aurais cru que j'y serais presque seule, mais bien au contraire nous étions très nombreux. Il y avait bien évidemment quelques gens trop saouls qui menaient un train d'enfer, mais il me semblait que la plupart des passagers étaient, comme moi, des gens qui venaient de passer une bien belle soirée et qui désiraient seulement retrouver leur domicile, en toute sécurité.

Ce fut une soirée mémorable, pleine de tendresse de rires et de discussions animées. Une soirée pour me sortir de mes habitudes.

L'an prochain, peut-être que je recommencerai.

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