mercredi, décembre 30, 2015

Missive annuelle, prise deux

2015, je te quitte. Sans regret. Tu me fus une belle année. Qui a commencé par une froidure sans bon sens qui m'a gercé les jambes jusqu'à m'en faire gémir de douleur. Un février implacable durant lequel j'ai arpenté, à pied, les rues de mon quartier pour me rendre au métro le plus accessible jusqu'à ce je sois transie de froid, sans pouvoir y échapper. Et je n'avais pas de destination sud prévue en avril pour voir le bout du tunnel.

Ce qui ne m'a pas empêchée d'aller me dépayser au printemps, lors d'un dimanche à l'opéra, dans le West Island, qu'honnêtement, je ne connaissais pas et que je ne peux prétendre connaître aujourd'hui. Heureusement que cette sortie en était une de groupe, sans quoi j'aurais trouvé l'expérience ardue. Sauf qu'en groupe tissé serré, même si nous ne nous voyons pas souvent, quand les valeurs sont placées à la même place, tout se vit, somme toute assez aisément. Et rien ne vaut un souper, après coup, pour déconstruire et reconstruire le tout, saupoudré d'éclats de rire.

2015, dans tes bras j'aurais connu un printemps mouvementé. Assez pour que je pète ma coche solidement sur les lieux de mon travail parce que quelqu'un qui m'est proche, mais avec qui je n'aime pas avoir de contact, s'est immiscé dans mon quotidien sans m'en demander la permission. Je me suis alors sentie bouleversée, si ce n'est menacée. Je me suis retrouvée, impuissante devant mes colères et mes crises d'angoisse à crier par la tête de mes collègues qui ne le méritaient pas. Et sur un coup de tête, je me suis payé un voyage à Cuba, toute seule, pour l'automne. Bel échappatoire à ma vie. Même si ce voyage me foutait la trouille sur un moyen temps, étant donné que je n'avais jamais osé voyager seule, avant ce jour. Je l'ai pourtant fait, j'y ai même survécu avec assez de plaisir pour espérer le refaire, un jour.

2015, tu m'auras confirmé que je suis une pas pire amie de fille, pour les hommes de mon entourage. Les quelques verres que j'ai partagé avec les mecs que je connais en font foi. Même si ce n'est arrivé qu'une seule foi dans l'année écoulée. Il y a quelque chose entre eux et moi, dans ces rapports exempts de tentative de séduction, de part et d'autre, qui me font le plus grand bien. Je crois que je leur en fait autant.

J'aurai réussi à écrire au moins deux textes par semaine en devant me rendre à l'évidence que le spectre de la page vide est un obstacle quasi infranchissable, souvent. Chercher le sujet, ou l'angle m'aura fait blanchir quelque cheveux, j'en suis convaincue. Sauf qu'à force de persévérance et d'observation constante, j'ai fini par trouver le moyen d'y arriver. Et j'en suis fière.

Finalement, j'ai eu l'honneur de porter dans mes bras, un neveu. Qui n'est nullement mon œuvre et qui ne m'appartient en aucune façon. Mais ce fut, pour moi, un merveilleux cadeau de fin d'année. Un tout petit garçon édenté que j'ai la permission d'aimer tout simplement, parce que ses parents sont assez généreux pour me laisser cet espace qui m'est immense.

Au bout du compte, 2015, tu fus une année riche et nourrissante.

J'espère que 2016 sera à ta hauteur.

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samedi, décembre 26, 2015

Un peu martienne, un peu familiale

Lorsque j'ai recommencé à écrire, il y a un peu plus d'un an, j'ai décidé de lancer mon texte de retour sur facebook. Pour avoir un certain public, parce qu'écrire pour moi toute seule, je peux le faire dans ma tête sans encombre, sauf que pondre un premier texte en cinq ans, sur la page blanche de l'ordinateur, c'était autre chose, je devais me trouver un public, puisque celui que j'avais un jour eu, s'était évanoui après tous ces mois de silence. Je n'ai pas réfléchi au public à qui je partagerais mes écrits. J'avais besoin de dire et d'être lue. Alors j'ai lancé mon texte, et ceux qui ont suivi, dans l'univers, sans aucune forme de filtre. En imposant mes introductions sur mes textes, sans demander la permission à qui que ce soit dans le processus.

Je suis née dans une famille élargie de laquelle je me sentais pas toujours un membre adéquat. Entre les personnalités d'affaires, les avocats et les médecins, il me semblait que je jurais irrémédiablement. Et ce n'est pas ma seule singularité. J'ai ce chic, ou ce mauvais penchant, de parler de toutes sortes de trucs qui sont moyennement en vogue dans les partys de famille, politique et sentiments en tête de liste. Les sentiments surtout. Pas que ma famille en soit exempte. Non, c'est surtout que je j'ai un drôle de rapport avec cela. Je peux en parler, les intellectualiser, les intérioriser à outrance, mais pas les partager physiquement, et ma famille le sait pertinemment. Ça fait de moi une drôle de bête, je présume.

Je fais partie de la toute première vague des petits enfants. Je suis la troisième en âge dans cette cellule élargie. On était quatre fille qui précédaient une meute de garçons. La plus vielle et la plus jeune de notre quatuor imposé formaient un duo et celles du milieu un autre. Ou l'inverse, selon le point de vue sous lequel on regarde la situation. Et les garçons, étaient pour nous des quantités négligeables.

Évidemment, nous avons grandis et mûris. Depuis plusieurs années, les clans de notre génération sont beaucoup moins hermétique qu'à l'époque de mes souvenirs d'enfance. Certains d'entre nous, sont des fidèles des réunions de familles, d'autres se sont institués en fantômes. Je me suis souvent demandé pourquoi je ne faisais pas la fille de l'air moi aussi, parce que je ne me suis pas toujours sentie ni acceptée, ni familièrement acceptable. Mais comme je suis une petite bête profondément sociable, je me suis toujours colleter ces fêtes familiales, même quand la seule personne avec laquelle je me sentais une quelconque affinité était ma jeune cousine de presque vingt ans ma cadette qui me battait à plate couture aux jeux de mémoire. Sommes toutes ils m'étaient des étrangers familiers et me sentais ovni familière.

Et puis, je me suis remise à écrire, imposant mes textes à cette famille à force de statuts. Dans la dernière année, plusieurs d'entre eux m'ont laissé savoir qu'ils me lisaient. Je suppose qu'au début c'était par curiosité et que c'est devenu par plaisir, avec le temps.

C'est probablement le plus beau cadeau de Noël, ou de vie, qu'ils pouvaient me faire. Puisqu'ils on pris le temps de s'attarder sur mes sentiers pour faire ma connaissance, celle de la femme que je suis vraiment.

Alors je leur dit un Joyeux Noël bien senti, plein d'amour aussi.

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mercredi, décembre 23, 2015

Les retardataires de décembre

Cher client adepte du magasinage de dernière minute,

À cette période précise de l'année, il ne faudrait pas te surprendre que les boutiques soient bondées et que tu doives attendre une petite minute avant qu'un membre du personnel puisse répondre à tes questions. Si d'aventure, tu en as plusieurs, il es possible que la personne qui te réponde ne prenne pas autant de temps avec toi que tu l'aimerais parce que justement, il y a beaucoup de gens comme toi qui choisissent de venir faire leurs achats entre le 21 et le 23 décembre. On n'y échappe pas, année après année.

S'il-te-plaît, évite de faire ton magasinage par téléphone. Surtout si tu veux qu'on te lise quatre descriptifs de film et qu'ensuite on te dise lequel serait le plus approprié pour ta petite nièce que nous ne connaissons pas. Idem pour les livres d'ailleurs. Nous n'avons, malheureusement pas le temps de prendre vingt minutes à t'aider pour que tu finisses par faire ton achat chez un compétiteur qui œuvre uniquement en ligne, sans conseil client, et qui vend tellement moins cher que chez-nous.

Tu devrais avoir appris avec le temps que les lego et les playmobil partent vite. Et si, tu l'as justement remarqué, il ne sert pas à grand chose de nous crier par la tête que nous n'avons donc plus de choix en décembre, à tous les ans. Eh oui, c'est plate, mais les plus beaux morceaux sont souvent épuisés avant la fin du mois de novembre, et ces petites bêtes-là ne repoussent pas comme une mauvaise herbe au soleil, juste parce que tu en aurais besoin. Il y a des choses, comme ces jouets, qui sont populaires en tout temps, tu pourras te rattraper au prochain anniversaire.

Les affaires en vogue ne sont jamais disponibles le 23 décembre. Tsé la bébelle que tout le monde s'arrache depuis le début du mois de novembre, c'est clair qu'il n'y en a plus. Zéro, nada, Et non, nous n'appellerons pas tous les concurrents pour toi afin de savoir dans quelle chaîne ou enseigne isolée, il y a encore des copies de L'osti d'jeu ou des produits dérivés de la Guerre des tuques 3D.

Si tu pouvais éviter de demander aux femmes si elle sont des caisses ou si elles sont ouvertes, elles apprécieraient beaucoup. Je sais bien qu'il y a plusieurs endroits où les caisses sont au cœur du magasin, mais chez nous, elles sont toutes à la sortie. C'est certain que la ligne est parfois très longue, mais justement, en les regroupant, les files d'attente passent en un clin d’œil et je peux te garantir que la personne ayant patienté le plus longtemps en ligne cette année, dans ma succursale, a attendu moins de dix minutes.

Mais n'hésite pas à nous poser des questions incongrues comme :« Savez-vous ou je peux trouver le livre sur l'Italie écrit par Corse et Sardaigne ». Sérieusement, ça fait nos journées et attise des fous rires aussi mémorables que contagieux.

Sur ce, je te souhaite un très joyeux Noël, on se revoit l'année prochaine!

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dimanche, décembre 20, 2015

Les corridors du dimanche matin

C'était un dimanche matin. J'avais marché dans la ville en regardant le soleil teinter de rose le ciel et les vitres des édifices que je croisais. Il faisait juste assez froid pour que mon souffle me précède visiblement et que je presse le pas, sans trop m'en apercevoir. C'était aube magnifique dans une ville quasi endormie ce qui me donnait l'impression d'être à peu près la seule âme vivante du secteur. Les quelques promeneurs de chiens ne me saluaient pas et le chats m'ignoraient souverainement.

Le choc de mon entrée dans l'édifice du métro avait été brutal. Sous la lumière blafarde des néons, le corridor s'étendait sur une centaine de mètres. Ni plus étroit ni plus large qu'à son habitude, mais à cette heure du jour, ou de la fin de la nuit, il me semblait plus vaste que d'ordinaire. La plupart du temps, quand j'y passe, je croise la masse compacte des gens qui vont à sens inverse. L'espace clos réverbérant les discussions jusqu'à en faire bruire les murs.

Ce matin-là, le corridor était désert, enfin presque. Il était habité par cinq itinérants, stratégiquement éloignés les uns des autres. En les voyant, j'ai eu l'impression d'entrer dans un tableau de jeu vidéo et que chacun d'en eux était un obstacle à éviter, ce qui n'était pas tout à fait possible, étant donné l'étroitesse des lieux. Je m'étais sentie prendre mon souffle avant de m'avancer.

Au bout de trois enjambées, environ, une main s'était tendue, presque timidement. J'avais fait non de la tête. Quelque pas plus loin, c'était un gobelet qu'on me présentait, plus près de mes propre mains. J'avais baissé les yeux. Le troisième m'avait demander le lui payer le déjeuner, le quatrième me demandait un ou deux dollars et le cinquième m'avait suivie jusqu'à la guérite en me demandant cinq dollars de manière plus qu'insistante. Avec ce type de discours que les itinérants ont parfois pour tenter de culpabiliser les gens qui ne leur donne rien.

Évidemment que je culpabilisais. À quelques jours de Noël, toute cette solitude m'attristait. Avoir peur d'eux, de leur différence et de leur malheur, me peinait encore davantage. Cependant je savais que je ne pouvais pas mettre la main à ma bourse une seule fois, il aurait fallut que je le fasse pour tous et, franchement, je ne voyais pas comment j'aurais pu arbitrairement décider qui méritait davantage que qui. Surtout que ce sont tous des visages que je croise pratiquement quotidiennement.

C'était un beau matin qui sentait un peu l'hiver et qui me donnait l'impression d'être la seule âme vivante à des kilomètres à la ronde. Le hic, c'était que j'étais aussi la seule à qui tout le monde demandait l'obole.

Dans ces circonstances, la meute des jours de semaine, me manquait... Un peu.

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mercredi, décembre 16, 2015

Le jour de la marmotte

Annuellement, ma vie professionnelle atteint un pic de stress de tout acabit. Entre les quantités astronomiques de trucs à mettre en marcher, les clients qui sont de plus en plus irrités. Pas tous, bien entendu, mais on en trouve toujours quelques uns, particulièrement verbeux qui s'y prennent pas mal à la dernière minute et qui sont mécontents qu'on ne puisse pas leur obtenir ce qu'ils désirent exactement, faute de temps et de délais de livraison.

À chaque année, les lego et les playmobil sont une source de chialage intempestif parce que nous n'avons plus le titre à la mode, les plus ironiques sont ceux qui nous disent que c'est de même à chaque année et qui n'ont pas encore eu l'idée de venir les chercher un peu plus tôt dans la saison. Et il y a toujours le livre de cuisine et le jeu de société dont la popularité laisse pantois. Pour lesquels nous nous retrouvons immanquablement en rupture de stock. Cette année, c'est L'Osti d'jeu. Par chance, nous avons échappé au livre de cuisine, mais le jeu, lui, on en maque, évidemment.

Il va sans dire que lorsque je retourne à la maison, j'ai besoin de paix et de tranquillité. Sauf que mes voisins d'en haut, que je n'entend jamais l'année durant, semblent avoir développé une envie impérieuse de faire le plus de bruit possible en cette période de l'année. On a le choix entre les partys qui s'étirent jusqu'à pas d'heures ou les chicanes de couples qui sont au moins aussi dérangeantes.

Leur salon est immédiatement au dessus de ma chambre. Durant les deux dernières fin de semaines, ils ont fait de petites fêtes. Assez petites, selon leurs critères, pour ne pas se donner la peine d'aviser le voisinage. Selon mon point de vue, par contre, il s'agit de grosses fêtes qui m'obligent à me coucher avec des bouchons dans les oreilles. Je déteste mettre mes bouchons lorsque mon cadran doit sonner le lendemain matin, parce que j'ai toujours peur de ne pas entendre ledit cadran. Et je suis une personne bizarre, je travaille toujours la fin de semaine. Tôt, en plus. En fait, je déteste être obligée de dormir avec des bouchons, ce n'est pas confortable pour les oreilles.

Dans ce genre de circonstances, quand j'arrive à dormir, mon sommeil est tout sauf reposant. Je rêve sans cesse du magasin, je me réveille en sursaut, aux heures, convaincue d'avoir manqué mon alarme et d'être irrémédiablement en retard.

La fin de semaine dernière, ils ont comme ajouté l'insulte à l'injure parce que non seulement leurs invités étaient bruyants, pour dire le moins; ils jouaient à L'osti d'jeu, les maususses! Ce qui fait que non seulement ils étaient intensément vocaux, en plus, ils tapaient du pied, juste au dessus de ma tête, à toutes les fois où une réponses les enchantaient. J'avais le sentiment d'être couchée en dessous d'un nid d'éléphants qui se trémoussaient aux quinze minutes. Pas sympathique.

Avec tout cela, je commence sérieusement à nourrir l'idée de prévoir le coup, l'an prochain, et de leur envoyer un courrier recommandé leur demandant de réduire le nombre de leur fêtes à une en décembre, étant donné que j'ai quand même besoin de dormir sur mes deux oreilles afin d'être fraîche et dispose pour mon travail.

Mais comme aucun des deux ne daigne répondre à mes salutations polies lorsque je les croise, je n'ai pas l'impression que mes efforts porteraient leurs fruits...

*soupir*

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dimanche, décembre 13, 2015

Émerger ironiquement

Ça faisait quelques semaines à peine qu'il avait émergé. Si tant est qu'on ait pu dire émerger en ce qui le concernait. Presque un an auparavant, la mère de ses enfants l'avait quitté. Il en avait été complètement ahuri. Les premiers jours, il n'y croyait même pas. Il nous disait que Meredith avait simplement besoin d'une petite pause et qu'elle finirait bien par reprendre ses esprits. Mais la décision était finale et sans appel.

Au début, il avait presque eu peur des moments où il serait seul avec les enfants. Il se sentait gauche et maladroit, inadéquat. Avec le temps, cependant, il s'était découvert un réseau de soutien insoupçonné, pour l'aider à apprendre à faire ce qui ne lui venait pas naturellement avec les petits; le genre de réflexes qu'il n'avait pas développé tant que la nécessité ne l'avait pas mis au pied du mur. Très lentement, il avait vu germé, si ce n'était des talents, au moins un certain air d'aller dans sa nouvelle vie. Se référant souvent à sa mère, à lui, dans les moments de crise pour panser les maux d'enfants. Ce n'est pas la même chose quand on est seul dans une équipe pour gérer ces situations délicates que lorsqu'on est deux. Il pouvait aussi compter sur des amis pour des conseils, des discussions sans jugement.

Depuis quelques temps, il nous parlait de cette stagiaire qu'il croisait souvent. Nous ne l'avions jamais vue, ce qui ne m'empêchait pas de commencer à me faire une idée sur le personnage. Elle le faisait rire, il la trouvait décomplexée et dégagée. Elle avait une dizaine d'années de moins que nous, peut-être un peu plus. Quelque chose dans la manière qu'il avait d'en parler me dérangeait. Pas que j'aie voulu qu'il ne passe pas à autre chose, mais il y avait un truc sur lequel je n'arrivait pas à mettre des mots qui me tarabustait le fond de l'esprit.

Un soir où nous jouions tous les deux les vieux ados, c'est-à-dire que nous prenions un verre, un vendredi soir, en faisant et défaisant le monde à l'envie, il m'avait raconté que cette jeune dame avait vécu une rupture amoureuse sur fond d'avortement douloureux et j'avais compris ce qui me dérangeait tant. J'avais alors demandé à mon ami : «  tu sais que si tu fais un pas vers elle, la première chose qu'elle exigera d'une relation de couple sera d'avoir des enfants, n'est-ce pas? » Il m'avait regardée comme si je descendait directement d'un astéroïde. J'avais poursuivi : « C'est vrai tu sais. Elle voit en toi un père, celui que tu es avec tes enfants, celui que tu pourrais être pour les siens. »

Je ne crois pas qu'il m'ait crue, sur le moment. Mais il s'est avéré que j'avais raison. Platement.

Étrangement, il a eu l'impression de la trahir en ne la choisissant pas.

Moi je suis convaincue que c'est sa santé mentale qu'il avait privilégiée et, en ce sens, il répondait très exactement à l'image de ce merveilleux papa qu'elle se faisait de lui.

Une petite morsure de l'ironie, dont il se serait bien passé, je crois

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jeudi, décembre 10, 2015

L'autre visage de la grève

Depuis le début de l'automne, il me semble que je croise souvent les deux mêmes fillettes sagement assises sur leur banc, qui ne disent jamais rien, sinon en chuchotant. Elles ont attiré mon attention parce que leur comportement à ce point silencieux détonne passablement sur les autres personnes de leurs âges que je croise dans les transports en commun.

Je les vois souvent dessiner ou lire. Lever la tête à tous les arrêts, regardant avidement les passagers comme si elles attendaient une personne en particulier. Qui ne se présente jamais, en tout cas, pas lorsque je suis dans le même autobus qu'elles.

Ce qui me tarabustait le plus, c'est qu'elles ne sont pas toujours dans un autobus qui fait le même trajet. Certes, ceux-ci font tous le chemin entre le Carrefour Laval et le métro Montmorency, mais comme elles sont toujours-là avant moi et ne descendent jamais après-moi, j'ai de quoi me demander pourquoi deux fillettes qui doivent avoir entre 7 et 10 ans semblent avoir entrepris de faire le tour de la ville de Laval.

En montant dans l'autobus, un matin, un autobus qui quittait son terminus, je me suis fait la réflexion que j'étais conduite bien souvent par un chauffeur en particulier. Sur plusieurs trajets différents. Avec mon horaire du temps des fêtes, je n'ai plus autant de stabilité qu'à la normale et je me retrouve à prendre toutes sortes de directions, qui ne sont pas celles auxquelles j'ai l'habitude. On dirait que ces horaires fluctuant font en sorte que je tombe beaucoup plus régulièrement qu'à l'accoutumée, sur cet homme.

J'étais la toute première passagère et c'est ce qui m'a permis de découvrir la vérité sur les fillettes que j'ai mentionné plus haut. Elles étaient déjà installées sur leur banc (toujours le même). C'était une journée de grève dans les écoles publiques. Les pièces du casse-tête se sont déposées toutes seules. Mon chauffeur est forcément leur père.

J'ai eu un mini moment de retour en arrière, à l'époque ou pour une raison ou pour une autre, j'accompagnais mon père au travail et que je me sentais bien grande d'aller vivre la journée dans une tour à bureaux du centre-ville. Très peu souvent, en somme, et passé le premier moment d'euphorie, les journées étaient longues et plates parce que je n'avais pas grand chose à faire. Pourtant, mes degrés de liberté étaient nettement plus grands que ceux des petites passagères que j'avais remarqué.

Deux petites filles bien sages qui ne peuvent parler à personne parce que tous les clients sont pour elles des étrangers. Qui ne peuvent chahuter parce qu'elles dérangeraient non seulement le chauffeur, mais leur papa. Avec les grèves qui se multiplient, elles doivent savoir par cœur tous les détours des trajets effectués quotidiennement par les autobus qui les ont menées un peu partout. Je parierais qu'elles en sont quittes pour une très bonne note en géographie locale, en espérant qu'elles seront interrogées à ce sujet.

Surtout, je me suis dit qu'elles n'espéraient certainement pas quelqu'un en particulier, mais simplement un visage connu, histoire de pouvoir parler, un peu, à quelqu'un lors de ces trop longues journées.

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dimanche, décembre 06, 2015

L'âge de raison

Le premier fait divers qui m'a vraiment marquée racontait l'histoire d'une petite fille qui avait réussi à s'enfuir quelques jours après avoir été séquestrée par un inconnu. On m'avait appris, très jeune, à ne pas suivre des inconnus, sous quelque prétexte que ce soit parce que tous les inconnus ne m'auraient pas nécessairement voulu du bien. Je ne me rappelle pas exactement l'âge que j'avais à l'époque, je crois que je n'étais pas beaucoup plus vieille que la fillette dont les journaux rapportaient l'histoire. Pour la première fois, je réalisais qu'il ne s'agissait pas de fables pour faire peur aux enfants, que ça pouvait arriver pour vrai.

Je venais, je crois, d'atteindre l'âge de raison. Pas le théorique, celui qui fait en sorte que l'on arrime la réalité à ce que l'on nous enseigne.

Quelques années plus tard, j'ai fait la connaissance d'une drôle de fille. Ce n'était pas mon amie, c'était une personne qui venait du même endroit qu'une autre fille que j'aimais bien. La drôle de fille s'habillait comme une Barbie. À quatorze ans. Elle se maquillait trop, portait des talons hauts et avait beaucoup plus d'argent que mes amies et moi. Elle avait le regard vide et je savais qu'elle prenait de la drogue. Pas juste du pot, des choses plus dures qui me faisaient peur. J'ai compris, bien plus tard qu'elle se prostituait. J'ai compris qu'on lui faisait violence. Il m'apparaît illusoire de penser qu'une fille de cet âge-là ait sciemment décidé de vendre son corps pour de l'argent. Elle a été la première personne que je connaissais qui s'est un jour retrouvée dans la chronique des enfants disparus. J'ai su qu'elle avait été envoyée en Ontario par son « protecteur » lorsqu'elle s'était mise à faire des vagues. Je crois qu'elle est morte d'une overdose avant d'avoir eu vingt ans.

Et puis il y a eu le 6 décembre 1989. C'était un lundi soir. J'étais en plein cœur de mon adolescence et je ne comprenais pas ce geste. Je ne comprenais pas qu'on puisse tuer des femmes au nom de la place qu'un homme n'arrivait pas à se faire en société. Ce que je comprenais par contre c'était qu'il y aurait toujours des hommes pour reprocher aux femmes l'espace qu'elles prennent s'ils jugent que cette place auraient dû leur revenir.

La suite des choses m'aura enseigné aussi que la violence, a mille visages. Que ce n'est pas souvent à bout portant qu'on la mesure, ce qui ne l'empêche pas d'exister. J'ai vu les coups sur le corps (jamais sur le visage) de la sœur d'un de mes amis. Je l'ai aidée à quitter son appartement en catimini. J'ai enduré des visites impromptues de l'ex, sur les lieux de mon travail, pour que je lui dise où elle était rendue. Il ne l'a jamais su.

Cette année, seulement au Québec, plusieurs femmes sont portées disparues, d'autres sont mortes sous la poigne d'un conjoint qui aimait mal.

Ça fait encore beaucoup de violence faite aux femmes.

Beaucoup trop, à mon avis pour le passer sous silence.

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mercredi, décembre 02, 2015

Un avenir confortable

Il y a quelques jours, j'ai fait la connaissance du fils de ma sœur. Tout petit bout d'homme qui, à ce moment, était certes magnifique, mais qui, étrangement, me rappelait Yoda, au grand déplaisir des parents. Pourtant, dans ma tête c'était un compliment. Étrange, sans doute, mais il s'agit d'un personnage aussi charmant que sage et dont le faciès mobile exprime beaucoup plus que ce que ses textes ne nous disent. Soit exactement ce qu'un poupon de huit jours peut partager avec le monde extérieur.

Il sentait bon le bébé, il était sage. Confiant d'être dans les bras de cette tante qui ne lui disait. J'étais fascinée. La dernière fois que j'avais tenu un bébé aussi jeune dans mes bras, c'était sa mère. Sous la supervision attentive de la nôtre, dans un divan duquel je ne pouvais absolument pas tomber et qui aurait accueilli la chute de ma sœur si jamais je l'avais échappée. Ce que je n'avais pas fait.

De son côté, Maman rayonnait. J'avais l'impression qu'elle était redevenue la mère de mon enfance. Celle autour duquel notre monde tournait. Le centre inéluctable de l'Univers. Elle ne s'arrogeait pas le rôle de la mère de l'enfant, ce n'était pas son genre. Elle se contentait d'être la grand-maman de l'un et la maman des autres. Ses poussins longuement tricotés. Ceux qu'elle avait espérés, attendus et accueillis en ce monde. Ceux qui l'avaient émue, désespérée, encouragée, touchée par les personnalités qu'elle ne pouvait pas avoir imaginer lorsqu'ils grandissaient en son sein.

D'entendre ma sœur dire : « mon fils », me faisait un drôle d'effet. J'avais suivi sa grossesse avec enthousiasme. Elle m'avait laissé toucher les mouvements impromptus sur sa bédaine comme Maman m'avait laissé sentir les trois autres, autrefois. C'était une belle histoire, une belle nouvelle, une belle vie. Sauf que ça demeurait, en quelque sorte, théorique.

Ce soir-là, la réalité me rattrapait. Celle dans laquelle j'étais une éternelle célibataire, celle dans laquelle mon petit côté porc-épic repoussait beaucoup de gens, celle qui a poursuivi toute sa vie une soif d'absolu qui n'existait probablement pas ailleurs que dans mon imaginaire et qui faisait en sorte que je travaillais mon deuil de maternité depuis bientôt cinq ans. Malgré tout, je n'étais ni jalouse ni envieuse, simplement perdue. Perdue dans le rôle que j'avais à jouer dans cette famille désormais élargie.

J'aurais dû être celle qui présentait un premier petit enfant à nos parents. Un manquement de plus à la liste déjà longue de ceux que je m'arrogeais.

Je savais que le temps m'apprendrait bien assez vite l'espace que je pourrais occuper dans ce nouvel environnement.

Et j'étais assez optimiste pour croire que celui-ci serait éminemment confortable.

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