dimanche, février 26, 2017

Le prix d'un plaisir

Depuis mon transfert, les emprunts n'étaient plus permis, du moins, dans notre succursale. Parce que que seuls les employés ayant terminés leur probation peuvent emprunter et que dans la situation qui nous occupe, il était beaucoup plus simple de suspendre ce droit jusqu'à la fin des probations de tout un chacun. Et puis, la gestion des emprunts n'est pas si simple que ce que l'on pourrait croire.

D'abord, bon nombre d'entre eux, reviennent dans un état qui nous obligent à demander l'achat de l'objet. Ce qui provoque des situations malaisantes parce que cette dépense n’apparaît pas spontanément dans le budget d'un employé. Ça m'est d'ailleurs arrivé plus souvent qu'à mon tour, à l'époque où je sortais à peine du pays des zombie, que j'avais un poste de 15 heures semaine et que je n'avais aucunement les moyens de me payer un livre à 40$ même avec un rabais. Il va sans dire que j'avais perdu l'habitude d'emprunter des livres. Cependant, depuis quelques mois, plusieurs livres me faisaient de l’œil et que malgré le fait que mon salaire ne soit plus le même qu'à mes débuts, un moment donné on ne peut pas tout acheter.

J'ai donc rempli le formulaire d'emprunt pour deux volumes, avant de quitter le travail hier. Évidemment, quand j'ai mis le nez dehors avec mon précieux butin, il pleuvait. Non, il délugeait. J'avais pris la peine de mettre lesdits livres dans des sacs de plastiques, deux pour être précise, histoire de me donner une chance. Mais quand même. Je m'étais donc pressée pour atteindre le métro j'avais attendu l'autobus à Papineau, ce que je ne fais jamais, afin d'assurer l'arrivée à bon port à ces objets qui n'aiment pas la pluie.

Mon attente avait été vaine : l'autobus n'est pas passé. Loi de Murphy ? Peut-être toujours est-il qu'après 10 minutes d'attente suivant l'heure de passage prévue dudit bus, je m'.tais mise en marche. Heureusement, je change très peu souvent de sac de transport et celui-ci dissimulait un parapluie, oublié là depuis la dernière ondée de novembre. Ça faisait longtemps que je savais qu'il fallait que je le change car son imperméabilité laissait décidément à désirer, mais ça et rien du tout, j'avais choisi le parapluie.

Je ne sais pas trop comment j'ai fait pour parcourir l'itinéraire du métro à chez moi, entre les voitures qui m'éclaboussaient, les rafales qui retournaient sporadiquement mon infidèle parapluie et les trombes d'eau qui me coulaient sans arrêts sur le dos. Toujours est-il que j'ai fini par arriver, saine et sauve à domicile. La première chose que j'ai faite après avoir enlever mes vêtements mouillés, et d'enfiler un pyjama sec, a été de vérifier l'état des livres. Je me donnais l'impression d'être une archiviste devant une œuvre particulièrement précieuse et défraîchie par le temps, j'avais posé des serviettes sur la table avant d'éventé doucement et méticuleusement les sacs de plastique.

J'ai été aussi soulagée que ravie de constater qu'ils n'avaient pas pris une goutte. Je pouvais donc me préparer une boisson chaude avant de m'enfoncer dans le divan armée d'une douillette et pouvoir enfin les lire.

Il y a des combats comme ceux-ci qu'on ne s'imaginait pas avoir à mener, mais ils donnent une saveur particulière au plaisir.

Libellés :

jeudi, février 23, 2017

Jours de plages

J'ai grandi à une époque lors de laquelle, il me semblait que chaque famille québécoise comportait au moins un ou une Michel-e. Dans le cercle d'amis de mes parents, ils étaient nombreux. On pouvait crier « Michel » à peu près n'importe où et être certains qu'un adulte de confiance, qu'on connaissait depuis la naissance, se tourne la tête pour nous venir en aide. C'est dire à quel point confiance, rimait pour moi avec ce prénom.

C'était tout à fait pratique quand nous partions en vacances, plusieurs familles à la fois, au bord de la mer. Pour moi, c'était la magie de Noël au cœur de l'été. Pas tant à cause des cadeaux que de l'effervescence joyeuse qui accompagnait ces escapades. Souvent, des jeunes filles nous accompagnaient en tant que gardiennes. Ainsi, les parents pouvaient faire la fête et n'avoir pas à se lever avec les poules, en même temps que leur progéniture exubérante qui n'avait de cesse de courir après le soleil dès que celui-ci se pointait le bout du nez. Dans le lot, il y avait des Michel que je connaissais plus que moins et d'autres que je connaissais moins que plus. Peu importait au fond, on pouvait crier « Michel » comme d'autres enfants appelaient à l'aide.

Évidemment, à cette glorieuse époque, les adultes ne m'importaient pas beaucoup. Je ne savais que peu de choses de leurs personnalités respectives. Ce que j'en comprenais ne se rapportait qu'à leurs rapports avec moi. Ce qui comptait, c'était de participer activement aux jeux sur la plage, ou ailleurs, de faire partie du groupe des enfants turbulents. Nous étions nombreux. Nos pauvres parents ont dû attraper bon nombre de cheveux blancs durant ces semaines estivales.

Un jour, je devais avoir une dizaine d'années, nous étions en vacances sur la Côte-Est américaine, et l'activité que tous attendaient était d'aller visiter une maison hantée. Pour une raison que j'ignore encore aujourd'hui (mais je soupçonne fortement que j'étais impossible à sortir de l'eau), j'avais manqué l'activité. Je me rappelle avoir été dans tous mes états à cause de cela et finalement, un Michel m'y avait amenée avec sa plus jeune fille. Erreur et terreur. J'avais eu tellement peur. Je m'étais retrouvée complètement figée avant de franchir une plaque de verre, après avoir senti des machins gluants autour de mes jambes, incapable d'avancer, avec un acteur qui essayait de me faire comprendre en anglais (que je ne parlais ni ne comprenais) que rien n'était vrai. Le Michel en question, au début, s'était moqué, accentuant le jeu, mais avait fini par nous bercer de sa voix grave pour nous rassurer et nous permettre de sortir relativement indemnes de ce périple.

J'ai aussi des souvenirs de plages francophones. Des plages balayées par le vent des Îles. Comprendre Îles-de-la-Madeleine. À courir après les vagues, de celles qui vous renversent. Nous étions généralement six à se jeter dans leurs bras, trois hommes et trois adolescentes. Nos pères. Je sais que, nous les filles, le faisions par pur plaisir de l'eau, parce que le bonheur dans ce début d'adolescence s'apparentait beaucoup à passer du temps dans les vagues ou sur le sable. Mais beaucoup plus dans les vagues. Pour nos pères, je présume qu'il y avait une part de volonté de protection. Mais nous n'y voyions que du feu toutes absorbées que nous étions à nous frotter à un danger, somme toute, contrôlé.

Aujourd'hui, un Michel s'est endormi pour la dernière fois. Paisiblement, selon ce que j'en sais. Avec lui, un grand pan de mon enfance est parti. Ma tristesse n'a aucune commune mesure avec celle de ses très proches, mais ce soir, je sais que plus jamais sa voix de baryton ne me réconfortera contre des peurs réelles ou imaginaires ni contre vents et marées.

Libellés :

dimanche, février 19, 2017

Les trous du pavé

J'en avais entendu parler depuis longtemps. Elle revenait dans les conversations de manière aléatoire, simplement parce qu'elle était. Une vieille dame, autonome, décidée, drôle. Du moins, c'était l'idée que je m'en faisais.

C'était la matriarche d'une smala d'hommes. Elle avait fabriqué des hommes qui à leur tour avaient fabriqué d'autres hommes, et ainsi de suite jusqu'à des arrières petits fils qui portaient tous le gène de la taquinerie intempestive. Elle le savait et s'en amusait plus que quiconque. Mais elle savait aussi que c'était avant tout des hommes de cœur, capables de surmonter toutes sorte de défis avec humilité, dignité et pugnacité.

Je ne l'ai rencontrée que deux fois. Lors des anniversaires d'un de ses petits fils, qui est aussi mon beau-frère. La première fois, c'était une grosse fête, qui soulignait un chiffre rond. Évidemment qu'elle était l'invitée la plus âgée, mais elle semblait si heureuse de faire partie de la fête, si heureuse de pouvoir partager une petite fenêtre dans la vie de ce jeune homme qu'elle aimait de tout son grand cœur. J'avais passé quelques minutes à discuter avec elle et son fils, elle m'avait chanté les louanges de toute sa descendance, m'expliquant à force d'exemples à quel point elle était chanceuse de les avoir dans sa vie. Je me rappelle de lui avoir répondu en riant qu'elle y était certainement pour un peu dans ces personnalités qu'elle trouvait si charmantes, puisqu'elle en était la matrice originelle. Elle m'avait regardée surprise, comme si cette idée ne lui avait jamais traversée la tête.

Depuis cette rencontre, je demandais régulièrement de ses nouvelles à mon beau-frère ou à son père qu'il m'arrivait de croiser de temps à autres. Je les savais ravis de me fournir l'information. Depuis quelques mois, les nouvelles étaient moins bonnes. Il y avait plusieurs indices patents que l'âge poursuivait son œuvre, l'installation d'une certaine fragilité accompagnée de cette forme de déséquilibre propre au grand âge.

Je l'avais revue l'été dernier. Elle était toujours agile intellectuellement, mais n'aimait pas se sentir assez diminuée physiquement pour ne plus pouvoir être l'hôtesse des événement auxquels elle participait. Elle rechignait à ne plus pouvoir faire les interminables allez-retours entre la cuisine et la salle à manger, les bras chargé de plats. C'était une journée en plein air, sauf que je comprenais que pour elle, ne plus pouvoir servir les autres, était un leitmotiv lancinant, un manque réel, malgré le fait que son fils lui rappelait gentiment qu'elle n'avait jamais vraiment aimé recevoir.

Elle m'avait bien amusée ce jour-là puis qu'elle avait demandé à prendre son arrière-petit-fils, mais avait déclaré, je dirais dix secondes après qu'on l'eut déposé dans ses bras, que l'enfant n'aimait pas cela. Je le lui avais repris, bien contente de pouvoir faire une nouvelle tournée de câlins à ce petit bonhomme que j'aime de tout mon cœur.

Il y a quelques jours, elle s'est éteinte. Laissant ses hommes dans le deuil. Je ne les connais pas tous, mais je sais qu'elle manquera quotidiennement à ceux que je connais.

Comme un grand trou crevé sur le pavé et que l'on ne peu pas contourner.

Libellés :

jeudi, février 16, 2017

L'heure des hyènes

À l'heure où les autobus inter-municipaux déposent leurs premiers clients au terminus, celle-là même où la nuit cède doucement le pas au premier jour de la fin de semaine, les cinq hommes s'installent stratégiquement dans le terminus désaffecté, juste en haut des marches qui permettent de rentrer dans la station de métro adjacente. S'ils ne sont pas tous grands, ils en imposent à tous ceux qui croisent leur route. À commencer par l'épais nuage de fumée qui les entourent, malgré le fait qu'il soit illégal de fumer dans un édifice public.

Ils portent des vêtement coûteux, témoins intangibles d'une réussite financière certaine. Ces derniers n'étant éclipsé que par le bling tonitruant des bijoux massifs qui leur donne un étrange air de gâteau à trois étages décoré par un enfant maladroit. Dans le sillage de leur présence, il est facile de constater que les seringues usagées et autres artefacts nécessaires à une injection se sont multipliés aux alentours de leur nouveau point de rencontre.

Ils se poussent du coude, se donnent de l'importance, en mènent large dans cet endroit confiné. Les quidams de mon espèce qui doivent les contourner hebdomadairement le font, la tête basse, la peur étampée dans tous les pores de la peau. Pourtant, je sais bien qu'ils ne me parleront pas, en réalité, ils ne me voient sans doute même pas. Je ne suis pas leur proie. N'empêche qu'ils dégagent collectivement ce parfum de charogne des prédateurs qui ne sont jamais aussi satisfaits qu'après avoir mis la main sur de la viande fraîche.

À tous les coups, je me sens coupable, parce que je sais ce qu'ils sont et que je suis passablement impuissante devant leur manège étant donné que je ne suis témoin de rien d'autre que de leurs rires d'hyènes aussi malsains que de mauvais augure. D'accord, je pourrais essayer de trouver un agent pour lui signifier que des individus louches traînent dans le secteur ou encore qu'ils fument dans un bâtiment, sauf que ces lascars sont loin d'être des imbéciles et je les soupçonne fortement de profiter des changements de quarts desdits agents pour faire les coqs.

Et si de nombreuses fois, au cours des dernières années, je me suis sentie oppressée par les trop nombreuses mains tendues à ce même endroit, si souvent je me suis sentie démunie devant la détresse de tous ces marginaux qui hantent ce corridor très particuliers, si je déteste toujours autant me faire enguirlander par ceux qui se frustrent du fait que je ne donnerai pas d'argent, mais plutôt un sourire, je dois avouer qu'à l'heure des hyènes le samedi matin, les premiers me manquent beaucoup.

Parce que si j'ai toujours eu de la compassions pour les itinérants, je n'ai aucune sympathie pour ceux qui se nourrissent de la misère humaine.

Libellés :

dimanche, février 12, 2017

Mauvaise sortie

Je jasais innocemment avec la dernière employée avant d'armer le système d'alarme, comme à toutes les fois où je ferme le magasin. Elle attendait près de la porte que je finisse de taper mon code sur le clavier et j'allais la suivre à l'extérieur quand ledit clavier a émis un bruit étrange. J'avais donner le signe du départ à l'employée en lui disant qu'on se retrouverait dans le métro.

Eh bien non. J'avais retapé mon code et le clavier me disait qu'une quelconque zone était ouverte. Sauf que les zones sont une entité nébuleuse. Il me fallait donc refaire le tour de toute la succursale, vérifier chaque porte, chaque fenêtre. Courir quatre étages dans toutes les directions avec son manteau d'hiver sur le dos, ça donne chaud. Et le clavier continuait à me narguer, la zone était toujours ouverte, malgré mes efforts. Bien entendu, c'était la fin de semaine au cours de laquelle mon boss était difficile à joindre. Alors, il ne m'avait pas répondu. Près une vingtaine de minutes à m'éreinter, j'avais fini par appeler son supérieur immédiat qui avait refait avec moi le tour de toute la succursale (lui au téléphone, moi sur les lieux).

Rien, toujours le même message. Mon patron avait fini par me rappeler pendant cette autre course autour de la galaxie pour me dire où trouver le numéro de téléphone de la centrale d'alarme. J'avais donc téléphoné pour essayer de me sortir du magasin. Bien entendu, il fallait que je tombe sur un support technique débutant, qui ne comprenait pas plus que moi quoi faire pour que je puisse quitter. Il essayait de me donner les indications pour que je puisse esquiver la zone lors de l'armement, mais rien de ce qu'il me disait ne fonctionnait. Bref, en mixant deux ou trois de ses explications, j'avais fini par trouver le moyen d'armer le magasin et de m'en aller, 45 minutes après avoir initialement tenté une sortie.

Dire que j'étais irritée est un euphémisme. Il serait plus juste de dire que j'étais hors de moi. Bien entendu, le métro venait juste de quitter la gare quand j'y avais mis les pieds et j'avais raté de quelques secondes le transfert à Berri. J'avais fini par arriver à la maison, épuisée, encore frustrée de ma fin de soirée. Je ne rêvais que d'un bon verre de vin et d'un bon livre. Je m'étais donc enfoncée avec délices dans mon divan afin de commencer ma relaxation de fin de soirée. Je n'avais pas sitôt pris une gorgée que les voisins du dessus sont rentrer de je-ne-sais-où en troupeau d'éléphants. Aussi bruyants vocalement que du piétinement.

J'avais soupiré bien fort, ce qu'ils n'avaient évidemment pas entendu, sorti mes écouteurs et parti mon baladeur, histoire d'avoir au moins de la musique réconfortante pour calmer mes nerfs à vif.

Et ça avait fonctionné.

Libellés :

mercredi, février 08, 2017

Quand je n'aime pas l'hiver

Lorsque j'étais sortie de la maison, théoriquement quelques cinq minutes avant le passage de l'autobus sur la rue Ontario, je le voyais déjà à l'arrêt précédent et la file, généralement parsemée à cet endroit me semblait aussi volumineuse que celles qu'on voit d'ordinaire à des arrêts beaucoup plus fréquentés ; évidemment, beaucoup de quidam, comme moi, avaient décidé de ne pas affronter les trottoirs montréalais pour une saine marche de santé et que les transports en commun prenaient visiblement du retard à cause de la chaussée et de l'achalandage.

J'avais donc pressé le pas pour ne pas rater ce rare autobus afin de me rendre au travail. Bien entendu, celui-ci était aussi humide que bondé. Plein de gens peu habitués à utiliser ce trajet, qui poussaient du coude dans toutes les directions pour s'assurer de ne pas manquer l'arrêt auquel ils devaient descendre, bousculant tout le monde sans s'excuser, comme si les circonstance dressait la table pour un manque criant de savoir vivre.

Arrivée au coin de Berri, j'ai voulu entreprendre une traversée pour me rendre au métro. J'étais, comme qui dirait, mal prise. Parce qu'il n'y avait pas une flaque de slush aux abords du trottoir, mais une véritable piscine. Je ne voyais pas du tout quel chemin je pourrais prendre pour me rendre de l'autre côté. Immanquablement, les voitures autour, ne se gênaient pas pour plonger dans ladite piscine et colorer allègrement toute ma personne de jolies taches d'un brun déconcertant. J'avais fini par me dire que de faire le tour du monde (c'est-à-dire, traverser Berri, un peu plus haut, revenir sur mes pas, traverser Ontario et retraverser Berri) était à peu près ma seule option pour arriver à destination les pieds au sec.

Après ce détour, je m'étais rendue, clopin-clopant, à cause du mélange de glace et d'eau jusqu'à la station de métro tout en sachant pertinemment, que mon calvaire n'était pas terminé. Parce que depuis le début de l'hiver, je me demande si la ville de Montréal, sait que Jean-Talon est une artère commerciale. À toutes les fois où nous avons eu droit à une quelconque avanie météorologique, j'ai eu l'impression que ma petite rue résidentielle est mieux dégagée que Jean-Talon.

Ce matin ne faisait pas exception. Si j'avais pensé que le coin Ontario/Berri était une piscine, je n'avais pas encore croisé Jean-Talon/Drolet. La rue Drolet était elle-même une piscine. Au grand complet. J'avais dû remonter quelques dix maisons avant de voir l’asphalte, sous l'eau glacée. Comme, je le fais souvent, je m'étais arrêtée prendre un café avant de franchir la porte du magasin, parce que je me disais que je le méritais bien après tant de péripéties.

Mal m'en fit.

Je n'avais pas aussi tôt posé mon pied gauche sur ce qui était censé être mon lieu de passage, mon gobelet bien rempli à la main, que la chaussée s'est dérobée sous mes pas. Et qu'à peu près un tiers dudit café m'avait éclaboussé la figure et largement contribué à la décoration brunâtre de mon nouveau manteau gris.

Il y a des matins comme cela, au cours desquels l'hiver n'est franchement pas ma saison préférée.

Libellés :

dimanche, février 05, 2017

Le tigre

Il y a un tigre à l'intérieur de moi. C'est vrai. Quand je respire, ça roule comme lorsque Yata, mon chat, ronronne. Mais en plus fort et tout le temps, même quand je fais dodo. Maman m'a emmené dans un grand endroit où il y avait plein, plein, plein de gens. J'étais fatigué, mais je ne pouvais pas dormir parce que je voulais tout voir. Mais je n'aimais pas beaucoup quand des étrangers venaient me parler et me mettaient un gros truc devant le visage et me disaient de respirer. Ça goûtait bizarre, un peu mauvais. Alors je pleurais beaucoup et maman flattait doucement mon dos. Après, le tigre dans mon corps respirait moins fort et j'avais un peu faim.

Quand on est rentrés à la maison, j'étais fatigué et bien content d'être dans mon lit à moi. Et puis on est allé chez Grand-mamie. Oh que j'étais content ! Un peu gêné quand même parce que tout le monde était-là. Mes deux oncles, Tatie et ma grand-mamie. Quand ils me parlent tous en même temps, je me cache dans le cou de mon papa. Même si j'ai très hâte de mettre mes deux pieds par terre et leur montrer à tous que désormais, je marche tout seul. Sans voiturette. C'est bien pratique pour aller voir Grand-mamie dans sa cuisine, même si je sais que je serai rattrapé par les bras de quelqu'un qui me tirera de-là.

Et puis, j'ai trouvé la petite boîte noire qui allume la musique. Ma tatie m'a pris dans ses bras en chantant quelque chose qui disait : « j'aime ma grand-mère » et elle riait en même temps. On a dansé un peu ensemble, mais j'ai vite gigoté pour redescendre. Maintenant que je marche sur mes deux pieds comme tout le monde, je préfère me déplacer tout seul, sauf si c'est Grand-mamie qui me prend.

Quand on est passés à table, j'ai bien mangé. Mais pas les légumes. Je n'aimais pas leur texture. Ça ressemblait trop à ce que j'avais mangé à l'endroit où il y avait plein de gens. Pas le goût, juste le mou pas l'fun. Après, tout le monde a chanté. Moi, j'aime ça quand les gens chantent. Alors je disais : « encore, encore » avec mes petites mains. Sauf que les grands n'avaient pas l'air de comprendre que je leur parlais. Des fois, ils sont comme cela, les grands. Alors je leur ai montré que même si j'ai un gros tirge en dedans de moi, j'ai quand même appris plein de nouvelles choses depuis la dernière fois qu'on s'est vus. J'ai fait le les beaux yeux, le lapin, le poisson, le lion, ça ce sont mes vieux trucs, mais j'ai aussi fait la girafe, le dinosaure, le chien, le chat et le cheval. Ils étaient très impressionnés et moi j'étais ravi de leur montrer mon nouveau savoir.

Quand on est partis, j'avais un nouveau livre avec un gros lion et une souris dessus. Je disais : « rouarrrrrrggg ! » En le regardant. J'étais content parce que j'aime beaucoup les lions. Et je pensais que peut-être qu'un gros lion ça ferait assez peur au tigre pour qu'il arrête de ronronner dans mon ventre et que je ne sois plus obligé de mettre le masque sur mon visage que je n'aime pas du tout.

Ouais, un lion pour dompter le tigre, je crois que c'est une bonne idée.

Libellés :

mercredi, février 01, 2017

Panser mes racines

Je venais à peine de peser sur « publier » quand les alertes de mon téléphone se sont mises tintinnabuler, toutes en même temps. J'avais regardé distraitement l'écran sur le coup, juste avant qu'il ne s'éteigne, pour le rallumer immédiatement, incertaine de ce que je venais d'y lire. Mais les mots étaient bien-là noirs sur blanc : « Attentat terroriste à Québec, au moins 6 morts dans une mosquée ». Je m'étais alors exclamée : « ben voyons ! »

Bien entendu, j'avais ouvert la télé illico pour syntoniser une chaîne de nouvelles en continu et me rendre compte que ce n'était que trop vrai. J'étais atterrée. L'horreur qui frappait sous nos pas, une tuerie sans nom. Encore, tout près. Racisme, islamophobie, un nouveau djihad dans mon pays ? J'avais été l'appareil rapidement, peu convaincue de l'exactitude des informations à ce moment parce que tout était encore trop vif, trop chaud, trop récent.

J'étais allée me coucher, la tête pleine de trop de choses. Et mes souvenirs me ramenaient à l'époque de mon militantisme universitaire, lorsque je parcourais les routes du Québec avec plein de gens mais surtout une fidèle compagne au nom et au visage indéniablement arabes, mais que je ne percevais pas autrement que comme mon amie. Une très bonne amie. Avec laquelle rire était un battement de cœur aussi régulier que normal.

Quelques années après ces événements, elle s'était mariée, par amour, et s'était établie en France. Et puis le11 septembre 2001 avait frappé. Une foudre immense. À cette époque, nous correspondions encore un peu. Elle avait écrit une lettre à plusieurs correspondants, très belle, très intense sur tout le mal-être et le malaise que les regards portés sur sa personne, parce qu'elle était ce qu'elle était avec son bagage héréditaire et religieux. Nous avions été plusieurs à lui répondre qu'elle aurait été moins ostracisée ici, dans notre province si accueillante et bienveillante. Et nous nous étions crus.

Évidemment, on se mentait. À tout le moins, je me mentais. Je savais bien que l'intolérance n'était pas loin. Pas nécessairement la mienne, quoique... j'avais et j'ai toujours des opinions aussi tranchées que tranchantes sur certains sujets. Mon féminisme, ma manière très teintée par ma culture de percevoir l'espace que les femmes devraient occuper et surtout de la manière dont elle devraient l'occuper, en est un exemple.

J'ai fait des choix, et mes parents avant moi aussi, qui font de moi une athée. Je ne comprends pas la croyance dans un dieu, quel qu'il soit. Cependant, je la respecte, depuis toujours. Tant et aussi longtemps que cela ne mène pas à l'extrémisme. Et l'islam est loin d'être le seul terreau de ce dernier.

Alors, bien entendu, je saigne. Je saigne des blessures infligées à cette chose que je comprends pas par quelqu'un qui partage les mêmes racines que moi. Et je cherche, de toutes les forces de mon âme, laquelle de celles-là, je dois prioritairement panser.

Libellés :