dimanche, juin 28, 2015

Le bal

Il y a des gens qui nous sont toxiques, à divers degrés. Des gens qu'on voit, ou pas, qui ont ce don tout particulier de nous mettre les idées à l'envers et le cœur en diagonale. Des gens à qui on choisi de ne plus parler qui s'immiscent dans le quotidien, sans qu'on leur en ai donné la permission. À toutes les fois, ça fait le même effet : pendant quelques temps on se sent en déséquilibre. Et la pression monte, irrémédiablement.

Faute de mieux, on s'occupe pour ne pas trop penser à cette chose dérangeante. On s'en met plein les bras, plein la tête. On se bourre la face de livres idiots et de comédies à l'eau de rose, histoire d'oublier qu'à quelque part au fond de soi on se sent menacée. Alors, on est un peu à côté de soi-même, pour donner le change, pour ne pas se laisser voir à quel point on est atteinte. Évidemment, ce genre de situation trace des nœuds émotifs et les explosions ne sont jamais bien loin. Des explosions qui se produisent généralement pour des raisons complètement stupides et aléatoires.

Il y a des gens qui ne sont pas plus méchants que d'autres, mais qui, dans ces moments de fébrilité, possèdent ce talents incroyable de nous pousser dans nos derniers retranchements. Et même s'ils n'ont rien fait qui vaille la peine d'être mentionné, ce sont eux qui subissent les galères des colères. Bien entendu, après on se sens coupable, on se repasse en boucle la suite de événements et on se demande comment on aurait bien pu arrêter l'escalade. Et on passe des nuits au sommeil agité, plein de rêves qui nous font revivre ces moments stressants avec des finales souvent encore plus absurdes que la réalité.

Mais on se pousse dans le dos et on continue à être sociable, à aller travailler vaille que vaille, en mettant les pieds sur des coquilles à chaque pas parce qu'on ne veut pas retourner-là. Plus jamais. Mais on sait très bien que jamais n'existe pas et que tôt ou tard le tangage naturel de l'existence fera en sorte que la colère reprendra à nouveau le pas sur les larmes, même si on essaie très fort de se convaincre que de pleurer en public n'a rien de particulièrement avilissant, au contraire.

Pour se consoler, on écoute toutes sortes d'émissions légères qui ont pour but de nous montrer le beau de la vie et on en ressort la gorge striée de pleurs que l'on n'arrive pas à verser. Et on répond abruptement à la pauvre caissière de l'épicerie qui nous demande de nos nouvelles (comme à toutes les fois qu'on la croise), parce que cette fois-ci, elle nous semble envahissante.

Et on en arrive à la conclusion qu'on a vraiment un problème avec la faiblesse. Pas celle des autres, la nôtre. Comme si on octroyait au monde entier la permission d'avoir de la peine, mais pas à soi.

Comme si l'équilibre de l'univers en entier dépendait du poids du sel que nos larmes amères videraient dans l'océan.

Et on se dit que franchement, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour arriver à l'équité envers soi.

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mercredi, juin 24, 2015

Hello Kitty

Je me rappelle encore la première fois où je l'ai vue. Assisse bien droite dans mon bureau, pour une entrevue d'embauche. Elle devait porter du rose, c'est comme rien, il y a toujours, ou presque, une touche de rose dans ses tenues, ou ses vernis. Comme n'importe qui dans sa situation,elle était visiblement nerveuse et parlait fort, et vite. J'ai appris, par la suite, qu'elle parle toujours fort et vite, en fait, elle parle tout le temps.

Elle ne marche pas, elle conquiert le monde qui s'ouvre sous ses pas. C'est rapide, pressé et bruyant, même si elle portes des souliers à semelles molles, ce qui n'est pas si souvent le cas. Parfois, j'ai presque l'impression qu'elle arrivera a faire vibrer le sol de la librairie à force de marcher du talon. Les seules fois où je l'ai vue ralentir le rythme, c'était en servant une personne âgée ou à mobilité réduite. À la regarder aller, on pourrait croire qu'elle est toujours pressée.

C'est une personne menue, tout à fait féminine. Sa peau dore au moindre rayon de soleil ce qui lui donne un air très sain. Elle cultive sa bonne humeur comme d'autres leur mauvaise foi. Quels que soient les coups que la vie lui portera. Elle choisira de se concentrer sur l'ironie d'une situation plutôt que sur ce qui pourrait l'attrister ou la choquer. Elle aime son chat, c'est indéniable. Tellement que j'ai vu des photos dudit chat bien avant de voir des photos de l'amoureux. Alors, pour la taquiner, je lui disais qu'elle avait un chum imaginaire. Cette blague aura duré plus de deux ans, parce que j'affirmais, même après avoir vu des images, qu'elle se l'était certainement inventé. Ça la faisait rire et elle a mis un point d'honneur à me le présenter en personne. Je crois que j'ai été la première de ses patronnes à qui elle a dit que cette histoire s'était terminée, parce qu'à force de niaiser sur le sujet, on avait développé une certaine forme de confiance.

C'est une personne sociable, qui aime les gens. Et les discussions. Sur tout et sur rien. Elle se passionne pour les vernis à ongle et était particulièrement heureuse de s'être trouvé un calendrier de l'avant derrière les portes duquel il n'y avait que des flacons colorés. Elle aime le rose et avoue sans vergogne un penchant certain pour Hello Kitty, malgré le fait qu'elle ai passé le cap de la vingtaine. Il a de ces penchants comme ça qui ne nous quittent jamais, j'ai Corey Hart, je lui laisse Hello Kitty.

Elle adore mes expressions colorées et se fait un plaisir de me les faire répéter lorsqu'elle en entend une pour la première fois. Ces expressions, je les travaille depuis des années, quelquefois elles sont de mon cru, la plupart du temps, je les ai piquées à d'autres et adaptées à mon vocabulaire. Je l'ai d'ailleurs surprise à utiliser certaines de celles-ci sans trop s'en apercevoir, comme quoi on est toujours la pique-assiette de quelqu'un autre, en matière d'expressions.

Hier, elle est venue nous dire qu'elle quittait la librairie pour un travail dans son domaine d'études. Elle était à la fois triste et heureuse de nous présenter sa lettre. Nous aussi d'ailleurs (la direction). Tristes de ne plus avoir cette jeune femme pétillante dans notre équipe, mais heureuses pour elle.

C'était la toute première personne que j'ai embauché à cette succursale, ça me fait drôle de la voir partir. Comme si un peu de moi partait avec elle...

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dimanche, juin 21, 2015

Pourquoi pas les larmes?

Dans la vie, il y a de bonnes et de moins bonnes périodes. Je suis dans une moins bonne période. Pas dans toutes les sphères de ma vie, mais émotivement, je suis très chancelante. En un an, j'ai piqué trois grosses colères. Et ça me laisse dans un état pas possible pour des jours et des jours après. Généralement, j'ai beaucoup de misère à dormir après avoir ainsi explosé. Mes colères sont violentes, très violentes. Mais la violence, je la tourne vers moi, pas vers les autres.

J'ai compris ce qui déclenchait ces colères lors de la dernière. Quarante deux ans pour y arriver, ça ne fait pas de moi une championne de l'introspection. J'ai compris que ce qui me fait partir sur une autre planète, c'est lorsque quelque chose me blesse tellement que je pourrais pleurer devant quelqu'un. Et je ne suis pas capable de pleurer devant public. Ce n'est pas que je ne veux pas, je ne peux pas. Au lieu des larmes, c'est une espèce de tsunami de violence qui sort. Et je pourrais crier pendant des heures. Jusqu'à ne plus avoir de voix. C'est horrible. Je ne veux pas aller-là, et pourtant je le fais.

Il serait évidemment beaucoup moins dommageable pour moi que je pleure. Personne ne me jugerait de pleurer devant quelque chose de vraiment blessant. Parallèlement, les témoins de mes colères me jugent de ces éclats forts désagréables pour tout le monde, moi la première. Je fais peur. Je le sais. On me le dit. Aussi loin que je me souvienne, j'ai agi ainsi. En fait non, je sais très exactement quand j'ai arrêté de pleurer. C'était à l'école primaire et j'avais pleuré parce que je n'avais pas obtenu un rôle que je voulais dans une pièce de théâtre et quelqu'un m'a dit que je faisais de la manipulation pour avoir mon nanan. Pourtant, malgré ces larmes, je n'avais pas eu ledit rôle. Mais j'ai cessé de pleurer en public, piquant à la place des colères sans bon sens, pour cacher ma faiblesse, pour ne pas me faire dire que je suis une manipulatrice.

Je ne cherche pas d'excuses à ce que je fais, c'est inadmissible, je le sais très bien. Je cherche à me comprendre et à tenter de réparer cette émotivité bouillonnante qui me fait du mal. J'écris ces lignes avec la gorge complètement nouée, mais je ne pleurerai pas. Je ne pleurerai pas parce que j'en suis incapable. Maintenant que je sais, je me demande ce que je pourrais faire pour changer ma donne. Pour verser les larmes plutôt que de me réfugier dans les tornades de mes excès.

Peut-être que j'ai peur ne ne plus jamais être capable de m'arrêter de pleurer si je commence. Une volonté de contrôle qui me fait perdre le contrôle. Complètement et intensément.

J'aimerais vraiment être capable de lâcher prise et cesser de me saborder ainsi. Même quand quelque chose me fait mal, surtout quand plusieurs choses se croisent en même temps et me bouleversent les émotions.

Mais j'ai l'impression que ce sera un cheminement particulièrement ardu parce que que de déconstruire un tel conditionnement, ça va me prendre beaucoup d'humilité et de travail sur moi.

Et je ne suis pas du tout certaine d'avoir ce qu'il faut pour y arriver.

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jeudi, juin 18, 2015

De l'inconduite sexuelle

Il y a des hommes qui croient que l'inconduite sexuelle est le résultat de considérations hormonales et biologiques. Ça me tue. Non, ça veut dire non, et abuser de la force physique, morale ou hiérarchique sur pour plier qui que ce soit à ses désirs sexuels, ce n'est pas acceptable. Utiliser des substances quelconque pour arriver à ses fins, non plus. Dans une société dite éduquée, que des hommes puissent banaliser une telle violence de cette manière, me renverse complètement. Sans oublier ceux qui ajouterons que l'avortement qui pourrait suivre ces violences est pire que le viol en lui-même.

Ces hommes savent-ils ce que c'est que de vivre dans un corps qui n'a plus de frontière? Parce que c'est ça au fond. Le corps, c'est la seule chose avec laquelle on est pogné pour vivre toute notre vie. Pas d'échappatoire ici. Si celui-ci a été abusé où donc se trouve la sécurité? Comment recommencer à mettre un pied devant l'autre sans verser dans la folie des peurs qui s'enchevêtrent et ne laissent plus aucune place à la liberté? L'humanité ne se targue-t-elle pas d'être le seul mammifère connu a être capable de penser? Alors pourquoi se permet-elle d'excuser l'inexcusable sur la base d'une certaine forme d'instinct de survie?

Je n'y crois pas. À mon sens, le harcèlement, le viol, la manipulation, sont davantage liés à des jeux de pouvoir qu'à quoi que ce soit d'autre. Et le pouvoir est une construction sociale. Parce qu'il n'y a pas de nécessité d'avoir du pouvoir s'il n'y a personne pour le constater. Et si ce n'est pas une question de pouvoir, c'est peut-être une question de lâcheté. Parce que ce n'est pas si simple de séduire, de susciter un désir mutuel, d'avoir assez confiance en soi pour accepter beaucoup de refus avant d'avoir une acceptation.

J'en ai marre des unes qui m'annoncent des drames où l'amour se mêle à la haine, où la peur prend le pas sur le courage. J'en ai marre des racismes, des ségrégations et des discours vaseux de ceux qui se croient supérieurs à d'autres et qui veulent imposer leur domination à coups de sermons où à coups de feu.

Il m'est arrivé d'avoir de la difficulté à faire comprendre que je ne désirais pas être séduite par certains personnages qui ont croisés mon chemin. Il m'est arrivé de défendre des filles qui avaient moins de verve que moi. Il m'est arrivé d'écouter l'histoire terrible d'une fille, ou d'un gars, dont le corps avait servi d'autoroute au désir d'un autre, sans limite de vitesse. À sens interdit.

Je n'ai pas demandé à venir au monde en tant que femme. Mais c'est ce que je suis et je suis fière de l'être. Je suis fière de pouvoir afficher ma sororité avec toutes celles qui un jour ou l'autre auront été bousculées par des hommes qui les rapetissaient pour se grandir au passage.

Surtout, je suis fière de tendre la main à tous les hommes qui, comme moi, pensent que l'inconduite sexuelle est inacceptable et à qui ne viendrait jamais l'idée de la pratiquer.

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dimanche, juin 14, 2015

La mission de mes envies

Je suis une bien drôle d'intellectuelle, j'ai un penchant (prononcé) pour les romans d'amours d'assez piètre qualité, je dois dire. Je ne sais pas pourquoi j'aime tant cela, mais ça me berce depuis fort longtemps. Je lis autre chose, c'est certain, mais je reviens toujours vers ces lectures. En fait, j'ai le même penchant au cinéma, j'adore les comédies romantiques. Il y a là-dedans quelque chose de rassurant : je sais que ça finira bien. Peut-être que je trouve que la vie avec son lot de heurts est suffisamment bouleversante pour moi, alors je me vautre dans ces œuvres qui ne peuvent que me mettre un peu de légèreté au cœur.

Je suis tellement fan de ce genre de littérature que je me suis mise à les lire en anglais depuis quelques années. Ça a de bien que je suis pas mal meilleure dans cette langue aujourd'hui, sauf à l'oral puisque mon manque d'oreille légendaire, fait en sorte que quoique je connaisse le vocabulaire, ma prononciation est, pour dire le moins, aléatoire.

Parmi les auteures de ce genre de littérature, il y en a que j'aime vraiment beaucoup. Je suis totalement accro à certaines séries et j'attends avec impatience les sorties en magasin des volumes à venir. Et comme je les lis en anglais parce que je suis trop impatiente pour attendre que les années me produisent le volume en version traduite, je dois aller voir la compétition pour obtenir mon dû. Parce que les librairies francophones n'ont pas accès à ces titres le jour prévu de la sortie; en fait on les reçoit (lorsque c'est le cas) avec plusieurs semaines et même souvent plusieurs mois de décalage.

La semaine dernière, je savais qu'un de ces livres sortait. Je me suis donc précipitée vers les librairies anglophones du centre-ville de Montréal, quelques jours après la date prévue pour la sortie. Il faisait beau, et ma petite personne étant en manque de soleil, j'ai marché jusqu'à destination. Mais aucune de ces librairies n'en avait de copie. AUCUNE. Pourtant, ledit livre était disponible au Canada, et je pouvais l'acheter en ligne. Mais quand l'impatience vous rogne l'envie depuis trois mois, deux jours pour la livraison, ce sont deux jours de trop. Je me suis donc retrouvée avec mon frein à ronger, passablement déçue.

Cependant, comme on vit à l'ère des bibittes informatiques qui peuvent nous trouver ce que l'on veut en quelques touchés d'écran, j'ai découvert que l'endroit le plus proche où trouver ce que je cherchais était au Carrefour Angrignon. Et oui, je suis assez mordue pour être aller le chercher-là. Je ne le regrette d'ailleurs pas du tout, il répondait à mes attentes, juste assez sirupeux pour que je me compte satisfaite.

Tout cela pour dire que recommencer à vivre et aller jusqu'au bout de ses envies, c'est aussi ça : se donner un objectif pour sortir de chez-soi et ne revenir qu'une fois la mission achevée, quelle qu'elle soit...



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jeudi, juin 11, 2015

Les tatoués

Selon notre bonne habitude, nous nous étions attablés à cet endroit bien précis affectueusement nommé « le bureau des confidences ». Ça faisait plus de dix ans que nous fréquentions cette table-là. À intervalles plus où moins réguliers. Le temps, de toute manière, n'ayant jamais eu de prise sur notre amitié. Elle se déclinait en coups de gueule et autres coups plus où moins bas dont l'objectif avoué est de déstabiliser l'autre pour lui faire voir ses propres mésaventures sous un angle différents. Dans mon cas, il s'agissait régulièrement de me faire admettre que je me complaisais dans un drame ou un autre et qu'il me suffisait de me secouer un peu les puces pour recommencer avancer d'un pas plus sûr dans les mois à venir.

C'était un mercredi je crois. La soirée commençait à peine dans le bar plus vide qu'à son habitude. Peut-être était-ce dû au fait que la température extérieure avait hésité toute la journée entre le gris et le plus gris encore, laissant présager une pluie qui ne se matérialisait pas, tout en chargeant l'air de cette humidité collante qui donne presque froid dans le dos malgré des celsius frisant le 30. À toutes les fois où j'avais fréquenté cet endroit, il avait été particulièrement débordant de population hétéroclite. Ce soir-là, j'avais le sentiment qu'il n'y avait d'hétéroclites que mon compagnon et moi.

Pour une raison que je ne m'expliquait pas, tout le monde était visiblement tatoué. Visiblement comme au visage. Évidemment, la plupart des gens étaient tatoués ailleurs, mais avec cette chaleur, les bras dénudés et autres jambes bien portées, laissent voir des traces d'encre, ancrées dans les peaux. Nous avions bien nous aussi, sortis nos jambes et nos bras, sauf qu'ils étaient de ce blanc terreux, résultat effectif d'un hiver qui venait tout juste de tirer sa révérence. Ça me donnait l'impression d'être entrée, sans le savoir, dans une convention de tatoués.

Le moment le plus étrange, je l'ai vécu dans les toilettes, évidemment (il me semble que toutes les histoires de bar ont aussi une histoire de toilettes des filles). Lorsque j'y avais mis les pieds, un petit groupe de femmes de tout âge se jasait de tatou justement et se montraient fièrement leurs plus belles ou leurs dernières acquisition. Je les écoutais sans les écouter, comme c'est bien souvent le cas en ce genre d'endroit. À un moment donné, la plus jeune du lot s'est tournée vers moi en me demandant : « le tien, c'est quoi? » Lorsque j'ai répondu que je n'en avais pas, elles m'ont collectivement regardée comme si je venais de leur annoncer que je descendais d'un quelconque astéroïde.

J'étais retournée m'asseoir, sans trop savoir ce que je pensais de cette altercation. Je n'ai rien contre les tatous, je n'ai simplement pas envie d'avoir une marque indélébile sur ma peau, à moi. J'ai un peu peur de me tanner et beaucoup peur de ce que ça pourrait donner une fois que ma peau se sera fripée.

Autrefois, les gens tatoués étaient les marginaux, aujourd'hui... Aujourd'hui, la marginale c'est moi, parce que je n'en ai pas...

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dimanche, juin 07, 2015

Une besace de cailloux

Tu le regardais partir, encore étonnée de te tenir debout après toutes ces heures vides à essayer de comprendre ce qui avait bien pu changer. Il avait été le pivot de ton cœur pendant des années tellement longues qu'il t'arrivait de te demander si ton organe ne s'était pas tout bonnement déréglé à force de rester accroché au même regard, même de loin. Tu frissonnais malgré la chaleur de cette nuit trop chaude pour l'époque de l'année, en essayant de refaire ta propre ligne du temps.

Il n'y avait eu ni cris, ni larmes, ni heurts. Rien qu'une discussion comme les centaines d'autres que vous aviez l'habitude d'avoir. Mais quelque part au cours de celle-ci, l'indifférence s'était invitée entre-vous, ou plutôt entre lui et toi. La dernière rencontre ne remontait pas à si longtemps, quelques semaines à peine. Lorsqu'il avait posé ses lèvres sur ta paume, dans ce geste suranné qui représentait l'annonce de ce qui allait immanquablement suivre, tu n'avais rien ressenti. Nada. Point d'expectative heureuse, plus de papillons dans l'estomac. Juste une grosse boule d'affection, comme celle que tu pouvais ressentir pour les membres de ta famille, mais certainement pas pour un amant.

Évidemment, il avait saisi la situation immédiatement, sans que tu n'aies besoin de t'expliquer. Dix ans à partager une certaine intimité, même si ce n'était pas celle du quotidien, dix ans à vous tenir en otage, en quelque sorte, à vous rendre indisponibles pour pour qui que ce soit d'autre, ça fini par créer une complicité évidente et les événements s'enchaînaient au rythme des battements de cœurs que vous souleviez, ensemble. Bien entendu, au moment où l'une des deux partie n'y était plus, il ne pouvait rester de le béant du vide et des impossibles.

Il t'avait observée avec quelque chose comme un peu de tristesse dans le fond de l’œil, quelque chose comme du regret. Vous aviez toujours cru que si quelqu'un mettait un terme à cette relation qui n'en était pas vraiment une, ce serait lui, parce qu'il n'avait jamais prétendu être amoureux de toi. L'amour, tu le portais seule, comme une écharpe un peu trop lourde. Comme une besace remplie de cailloux que tu n'arrivais pas à vider d'une rencontre à l'autre. Tu avais continué, tout ce temps, en te convainquant que tu préférais cela à rien du tout, et que malgré tout, il y avait quelque chose qui repoussait l'isolement dans cette histoire.

C'était ainsi que tu t'étais retrouvée coincée entre ta solitude et la sienne, à trente ans, avec l'intuition que la fin de cette attirance pas tout à fait saine coïncidait particulièrement bien avec la fin de ton cursus scolaire, te sentant comme sur le bout d'un tremplin, prête à plonger vers la survivance, ailleurs.

Il ne te touchait plus, tu ne voulais plus le toucher.

Tous les cailloux de ta besaces s'étaient laissés choir sur le plancher laqué de ton salon, te laissant avec les souvenirs plus heureux que tristes, que tu étais désormais prête à chérir avec un tout petit brin de nostalgie et une envie de vivre, autrement.

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mercredi, juin 03, 2015

Monsieur

Depuis hier, où que se portent mes yeux, il est question de Monsieur Parizeau. Grand homme, que je n'ai pas connu autrement que par sa prestance publique. Je sais depuis longtemps que je lui dois beaucoup, parce qu'il fait partie des bâtisseurs de la société dans laquelle j'évolue. En tant qu'historienne, je n'aurais jamais pu traverser mon corpus scolaire, au Québec, sans jamais avoir entendu parler de lui. Il m'aurait été d'autant plus difficile d'ignorer le personnage parce que dans mon histoire personnelle, j'ai été une militante étudiante, il y a longtemps, et que je suis née dans une famille souverainiste.

J'étais étudiante universitaire en 1995. J'ai connu le bouillonnement référendaire au premier plan. Je me rappelle encore très exactement de l'endroit où j'étais assise lorsque Bernard Derome a annoncé que si la tendance se maintenait le NON l'emporterait. J'ai un souvenir cuisant de la tête de Dédé Fortin sur l'écran géant qui s'est totalement défaite pendant qu'autour de moi gens pleuraient. Non, je n'étais pas au Spectrum ce soir-là, j'étais dans un petit bar de quartier de Sherbrooke. Mais l'image a été retransmise jusqu'à moi et aujourd'hui, il me semble que ça se confond avec le décès du chanteur, même si je sais très bien que plusieurs années ont séparé les deux événements. Évidemment, j'entends encore le discours de Monsieur Parizeau, amer après la défaite. On me l'a rejoué en boucle au moins un million de fois depuis. À tout coup, ça me blesse autant que la première fois et je dois admettre que j'ai mis beaucoup de temps à lui pardonner cet écart; on pardonne difficilement aux grands hommes leur humanité.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, je me rappelle aussi du référendum de 1980. J'allais avoir sept ans. Mes parents étaient militants. Il me semble qu'il y avait un ministre Tardif dans cette histoire, mais mes souvenirs sont plus que vagues à cet effet, j'étais après tout, un peu jeune pour comprendre quoique ce soit à la politique. Nous étions à l'école Regina Assumpta, et la journée était longue à mes yeux d'enfants. J'ai voulu aller à la toilette, un moment donné, mais personne ne voulait venir avec moi. On m'a indiqué le chemin, sauf que je n'ai jamais trouvé lesdites toilettes. Je me suis donc retenue toute la journée. Je me rappelle encore de ce jour de mai, brillant, nous marchions jusqu'à la maison et j'ai couru jusqu'à la salle de bain la plus proche mais je ne me suis pas rendue. C'est la dernière fois que j'ai fait pipi dans ma culotte, alors je peux dire, sans exagérer, que j'ai connu l'humiliation de ce jour, même si la mienne n'était pas celle de mes parents.

Ce n'est pas un événement qui s'éloigne tant que cela du sujet de ce texte. En fait, je suis née de la famille souverainiste. Parce qu'en réalité je dois beaucoup plus que le legs généreux que Monsieur à fait à cette société : mes parents se sont rencontrés en militant au bureau de compté de Parizeau dans Ahuntsic quelque part au début du projet du Parti Québécois.

Alors bien entendu que j'ai une pensée pour l'homme qui est parti. Parce qu'en plus de la société dans laquelle je m'inscris, je lui dois la vie.

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