Automne 2003.
Officiellement, je suis toujours inscrite à la maîtrise, mais mon
mémoire est sur la glace depuis un petit moment. Je n'ai pas
d'énergie. Je travaille à temps complet au salaire minimum et faire
aller mes neurones pour établir des liens entre les sources et la
problématique (question posée par l'historien dans le but de
démontrer une hypothèse) que j'avais émise est un défi que je ne
sens plus en mesure de réaliser. Je ne le sais pas encore, mais je
suis de plein pieds dans le pays des zombies.
Au cœur de ma détresse,
mes dettes. Essentiellement des dettes d'études. Je me percois comme
la sommes de ces dettes. Point à la ligne. Je tire le diable par la
queue et ne me réalise pas. Mais surtout, je sens que je ne vaut
humainement moins que ce que je dois à la société, financièrement
en premier lieu. C'est dans ces circonstances que je suis revenue à
Montréal et il ne m'aura pas fallut beaucoup de temps pour réaliser
qu'en fait, je ne suis même plus en mesure de travailler. Je me sens
tellement moche, que je suis persuadée que je n'ai même pas droit à
l'aide sociale parce que je dois alors tellement d'argent que la
société serait bien nouille de m'en donner d'autre.
À ma très grande
surprise, la société me donne cet argent. Bien peu, je sais, mais
quand même assez pour que je survive. En plus, elle me donne droit à
des services d'aide psychologiques qui lentement, très lentement
m'aideront à remonter la pente. Et je ne peux passer sous silence le
fait que ma mère m'a hébergée jusqu'à ce que je sois en mesure de
me trouver un travail et un nouveau logement. Pendant des années, je
n'ai pas fait mes déclarations de revenus, fuite affolée de la
petite poulette bien perdue que j'étais à l'époque. Et puis, j'ai
commencé à travailler chez Renaud-Bray. Je me suis fait un nouveau
cercle d'amis, j'ai recommencé à avoir une petite estime de moi.
J'ai tenu ce blogue, ce qui m'a fait le plus grand bien et,
éventuellement, j'ai fait face à ma musique, c'est-à-dire, mes
dettes.
J'ai commencé à payer
celles-ci à l'automne 2007, je crois. Après quatre ans à laisser
courir les intérêts. Sincèrement, je ne voyais pas à quel moment
j'en verrai la fin. Mais j'ai continué. Comme celles-ci avaient été
reprises par le gouvernement, tous les retours d'impôts provinciaux
auxquels j'aurais pu avoir droit étaient directement attribués au
paiement de ma dette. Les premières années, je recevais par
courrier un état de compte et puis, avec l'informatisation
graduelle, je devais aller voir celui-ci sur le portail du
gouvernement. Je n'y suis jamais arrivée, n'ayant jamais compris où
ces données étaient cachées. La dernière fois que j'ai vu le
solde, je devais encore plus de 10 000$.
Aujourd'hui, j'ai reçu
un état de compte. Je ne dois plus rien. Je suis complètement libre
de dette. Zéro, nul, néant, nada, rien. J'ai dû regarder le
montant pendant une dizaine de minutes, totalement ahurie. Je le sais
depuis vendredi, mais entre le savoir et le voir, il y a une
différence.
Demain, je pars à Cuba.
Ce voyage est prévu depuis la fin janvier. Mais il me semble que
c'est une bien belle manière de souligner cette très grande
victoire sur moi-même. J'ai gravi un Everest intime, à force de
persévérance et de privation. J'y suis arrivée toute seule et
sérieusement, je crois que c'est, à ce jour, ma plus grande
réalisation.
Libellés : Digressions, Vie en communauté