dimanche, novembre 29, 2015

Ses mains

C'était un de ces matins de fin de semaine où les transports en commun n'ont de commun que les quelques personnages aux yeux encore bouffis de sommeil qui se croisent sans trop se voir parce que la majorité d'entre eux a encore le souvenir de l'oreiller tout autour de la tête. Même les rues étaient d'un silence étrange, quasi paranormal. Dans mon trajet piétonier, pourtant assez long, je n'avais croisé aucun autre marcheur, aucun autobus et même pas une dizaine de voitures.

À Berri, le long corridor qui mène aux rails était désert. Mes pas résonnaient, faisaient échos à eux-mêmes me donnant l'impression que quelqu'un me suivait d'un peu trop près. Sur le quai, les quelques lèves tôt étaient largement dispersés, à peu près endormis sur leur siège où bien la tête solidement ancrée dans un livre où rivée à un quelconque bidule électronique.

Lorsque les portes du wagon se sont ouvertes, celui-ci était vide. Ou presque. Il n'y avait qu'une femme blonde assise sur le banc que je préfère. C'était en vérifiant si ce dernier était libre que je l'avait vue. Comme il me restait un bon nombre d'option, je n'ai pas fait de cas de la situation et me suis glissée dans ma deuxième meilleure option qui faisait face à l'autre passagère. En m'installant pour sortir mon livre je la voyais sans y porter vraiment attention, mais quelque chose dans la manière dont je l'ai vue remettre son fourbi dans son propre sac, a allumé une lumière dans ma mémoire.

Je connaissais ces gestes par cœur, j'en avais été immédiatement convaincue. Des gestes que j'avais appris au cours de mon troisième secondaire et qui m'avaient accompagnée, de plus ou moins près, jusqu'en 2004. Cette femme dont je n'avais pas croisé le regard puisqu'elle était descendue à la station suivant mon entrée, avait été ma meilleure amie pendant longtemps. Une amitié intense, parfumée d'absolus, de rires à en avoir mal aux côtes, de confidences, de malentendus et de chicanes épiques aussi, parfois.

Je pourrais croire que j'ai imaginé cette rencontre fugace où rien n'a été échangé. Il aurait été possible que ce soit un détour de mon imagination. Mais quand j'ai vu ses mains, j'ai su que ne n'errais pas. Des mains aux doigts longs et souples qui se meuvent d'une manière tellement particulière que j'ai déjà reconnue dans une gare d'un certain bout du monde, passablement bondée, par ces seules extrémités. Ce jour-là, ça nous avait fait bien rire car nous étions absolument convaincues que notre amitié traverserait toutes les guerres et nous amènerait un vieillissement parallèle.

Rien n'est moins vrai. Nous sommes toutes les deux tombées dans le pays des zombies, en même temps, ou à peu près, et il n'y a rien de pire pour couper les ponts, durablement.

Ce matin-là je l'avais regardée sortir sans avoir le temps de l'interpellée pour lui dire que j'étais-là. En me disant que ça avait vraiment été une belle amitié, mais que je n'avais pas envie de faire quoique ce soit pour retourner voir si j'y étais.

Un peu comme si notre amitié était tellement ancrée dans les extrêmes de l'adolescence que je ne voyais pas comment l'envisager, même de loin, dans mon âge adulte.

Et je ne m'en porte pas plus mal.

Libellés :

jeudi, novembre 26, 2015

Rumeur

Dans la cafétéria bondée, le murmure du départ devenait un bruit grondant. Un fond sonore auquel plus personne ne pouvait échapper.

Ça avait débuté à la table qui était juste au dessus de la mienne. À cause des paliers étranges qui meublaient le local. Traditionnellement, les plus vieux utilisaient les tables les plus élevées, celles qui jouxtaient les fenêtres les plus grandes et qui minimisaient les pas entre le service alimentaire et les places occupées. Les plus jeunes se contentaient des places à l'ombre, et moins ils avaient d'années scolaires dans le corps, plus ils s'approchaient du local du concierge qui avait la mauvaise habitude de partager trop d'odeurs de produits désinfectants pour que ce soit agréable.

Nous étions cinq à partager la même table. Toujours les mêmes. En secondaire trois, nous étions presque arrivées au palier principal. Presque aux tables où se mêlaient les filles et les garçons. À quelques coudées de ce que nous considérions comme la vraie vie. Notre portée d'oreille, cependant, était entièrement tournée vers ces sphères que nous aspirions à atteindre.

Lorsque les filles de la table du palier supérieur s'étaient mises à s'exclamer un : « tu me niaise » bien senti, nous savions que nous ne devions laisser passer aucun détail de ce qui allait suivre. Nous nous étions toutes tues dans l'attente de ce qui allait suivre.

C'est dans ces circonstances que nous avions appris que LE gars avait fini par faire son choix. On était en mars, et ça faisait des mois que les potins allaient bon train. Les plus jeunes voulaient qu'il choisisse la fille qui organisait toutes les activités de la polyvalente, du ski au pièce de théâtres et qui avait ce chic de savoir exactement qui était qui, quelle que soit leur année scolaire. L'autre, l'autre c'était la populaire qui avait tout devant elle. Argent, beauté, amis à ne plus savoir qu'en faire et le mépris qui vient avec ce genre de statut.

Assises sur le bout de nos chaises, nous attentions de verdict, certaines que notre candidate avaient remportée le duel qui alimentait la plupart de nos discussions.

Mais non. Ni l'une ni l'autre ne l'avait conquis. Il s'était plutôt tournée vers une fille qui n'allait même pas à notre école, trahison ultime, et qui, selon nos critères, n'en valait sans doute pas la peine puisque personne, ou presque, ne la connaissait.

Ça avait été le plus grand potin de cette année-là qui s'est avéré être bien plus que cela. Il est devenu illustrateur d'album pour enfants, les enfants qu'il a eu avec cette fille-là. À toutes les fois où je croise sa patte sur une nouvelle couverture, je ne peux m'empêcher de me souvenir de ce midi bien précis. Celui au cours duquel mon petit univers a basculé, mais sans doute jamais autant que le sien.

Libellés :

samedi, novembre 21, 2015

Quand la réalité rattrape mes fictions

Quand j'avais fait la connaissance de ce jeune homme, il me rappelait quelqu'un, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt sur la personne dont le souvenir dansait quelque part au fond de ma mémoire. Cet état de faits me fatiguait juste assez pour que j'y pense souvent en le voyant, mais pas à tous les coups. Nous avions ce genre de rapport semi convivial et semi professionnel. Ce sont des choses qui arrivent lorsqu'on travaille dans un commerce de détail où fleurissent les employés temporaires du temps des fêtes.

Lors de cette première rencontre, il se présentait à une de ses premières entrevues d'embauche, du haut de ses 17 ans et il avait ce genre de réflexions qui me laissaient coite par tant d'à propos, vu le jeune âge du personnage. Il m'avait sidérée parce qu'il avait un sens aigu du service à la clientèle, du travail en équipe et des priorités, ce que je rencontre rarement avec de jeunes personnes qui n'ont jamais travaillé. Je m'étais dis que je ne perdais rien à lui donner une chance, après tout un employé temporaire du temps des fêtes est un employé temporaire, justement.

J'avais fini par comprendre que son passé de sportif de haut niveau, pas olympique, mais assez sérieux pour que cela ait considérablement influencé sa personnalité, expliquait en grande partie sa manière d'envisager ses engagements et le travail en équipe. Je ne peux pas dire qu'il était un jeune homme plus sérieux que la moyenne. Au contraire, il aimait beaucoup faire des blagues et avait une répartie qui donnait des sueurs froides à ses collègues un peu plus âgés. Il avait surtout ce talent de donner l'impression de vivre exactement le moment présent, même dans le cadre du travail.

Je travaillais assez rarement avec lui, il était généralement assigné à des départements qui n'étaient pas les miens, sauf que le fait que j'avais été la personne qui l'avait reçu en entrevue faisait en sorte qu'il me saluait et me faisait des bribes de conversation quand l'occasion se présentait.

C'est ainsi qu'un matin, je l'avais entendu finir de raconter une anecdote qui s'était déroulée quelques années plus tôt dans sa vie. Une historiette concernant une jeune sœur, obligée de suivre tout un tournois, des gradins, malgré un rhume carabiné.

Et ça a fait tilt. Il y a quelques années j'ai écrit un roman jeunesse que je n'ai jamais envoyé à aucun éditeur. Et je ne le ferai pas. Parce que tous les écrivains ne peuvent pas être romanciers et que je ne pense pas que ce soit ma place. Dans ce roman, mon personnage principal avait un frère qui était un joueur de hockey et j'ai compris, ce matin-là que j'avais mon personnage devant les yeux, quelques dix ans après l'avoir mis sur papier, mais à l'âge où je l'avais imaginé.

Mis à part la carrure d'épaules et la hauteur, les deux individus ne se ressemblaient pas, c'est sans doute la raison pour laquelle je n'avais pas fait le lien de prime abord. Mais la personnalité, cette joie de vivre et cette générosité qui avait fait dire à ma mère que j'avais créé le grand frère que je n'avais jamais eu, étaient indéniablement présentes chez ce jeune employé que j'avais embauché, sans comprendre ce qui me percutait en lui.

J'aurais pu choisir de craindre ma propre créativité.

Bien au contraire, j'ai choisi de continuer à évoluer sur la frontière du réel, ne serait-ce que pour courir le risque de rencontrer d'aussi belle personnalités que celles que je suis capable d'imaginer.

Libellés :

jeudi, novembre 19, 2015

La vie après la mort

Étrange comme l'actualité peut influer la créativité. La saboter dans le cas présent. Jeudi, j'avais deux trois idées de textes dans la manche, ces observations du quotidien que j'aime faire. Je ne les avais pas notées, je ne le fais que rarement. Mais je sais que je retournais à la maison en essayant de trouver la bonne manière de les écrire. J'ai continué dans la même veine vendredi, je m'amusais toute seule à mon petit jeu. Et puis ce vendredi 13 nous est tombé dessus dans toute son horreur, battant à plate couture tous les films qu'on montre à perpétuité lorsque le mois nous fait l'affront de tomber sur ce jour superstitieusement fatidique.

Et je me retrouve quelques jours plus tard, avec le cerveau qui baigne dans cette histoire aussi hideuse qu'absurde. Alors je ne peux m'empêcher de penser qu'il n'y a plus d'autre sujet possible. Si ce n'est de souligner les massacres récents au Liban et au Nigéria qu'on passe pratiquement sous silence, malgré l'importance, tout aussi grande, de ces vies innocentes fauchées. Parce qu'on s'est collectivement habitués à lire ces grands titres en les chassant de nos esprits comme on chasse un moustique fatiguant, du revers de la main.

Je ne sais plus où je suis. Je ne suis pas journaliste, ni éditorialiste. J'inscris mon écriture dans le quotidien, dans l'anecdotique. Je suis donc tétanisée devant la fameuse page blanche que je n'ai que peu connue sinon devant des travaux scolaires que je jugeais démotivants. Je me dis que je pourrais oublier si je n'en parle pas encore. Pourtant je n'ai jamais oublié ni Polytechnique, ni Concordia, ni Dawson, ni les tours jumelles du Word Trade Center, ni Charlie Hebdo. J'ai toujours cultivé la souvenance, je ne suis pas historienne pour rien. Sauf que dans les circonstances actuelles, il me semble que je trahirais l'instant présent.

Et puis je me bats depuis quelques jours contre un rhume pas trop violent, mais bien présent qui me laisse la cervelle en compote et le nez dans un état pire. Il me semble que le fait d'aligner deux idées qui se suivent et forment un certain sens tient de l'effort surhumain. Parallèlement, j'ai tenu, jusqu'à maintenant, la promesse que je m'étais faite d'écrire au moins deux fois par semaine. Pour moi, pour me garder vivante, pour préserver mon équilibre, m'éviter de longer la frontière du pays des zombies. Je ne sais donc plus quoi faire avec mes deux pieds dans la même bottine.

Et puis ce matin, je suis allée lire le blogue de cet homme que j'ai connu à l'époque où j'animais des soirées d'improvisation à Sherbrooke. Il était un magnifique joueur, juste assez baveux pour surprendre par ses répliques assassines et ainsi gagner certains points. Je ne peux pas dire qu'il est mon ami, mais je dirais qu'il est une connaissance que je respecte. Depuis le début du mois, il s'est mis à s'écrire, pour passer à la prochaine étape de sa vie, je suppose.

Son entrée d'hier était une réflexion intelligente et acide sur le fait d'avoir quarante ans. À des années lumières de l'horreur qui me prend dans ses griffes et me fait tergiverser dans l'écriture. Il m'a fait exploser de rire, mettant un baume rassérénant sur les derniers jours.

Je me suis donc prise à penser qu'au fond je n'avais peut-être rien compris au concept de vie éternelle.

Parce que la vie après la mort, c'est peut-être continuer à écrire sur tout et n'importe quoi, au bout du compte.

Libellés :

samedi, novembre 14, 2015

Relativiser le Moyen-Âge

Ça ne paraît peut-être pas tous les jours, mais je suis historienne. J'ai un bac ce qui me permet de m'arroger ce titre. Sans trop le vouloir, j'ai baigné dans l'histoire socioreligieuse tout au long de mon parcours. J'y revenais continuellement, sans même m'en rendre compte. Au bout d'un an, j'ai fini par prendre les cours qui s'inscrivaient directement en ce sens, dans toutes les directions. Ainsi, j'ai suivi un séminaire sur les religions animistes de l'Afrique Noire, un autre sur les religions traditionnelles de l'Asie, quelques cours sur le judaïsme, un paquet de cours sur l'Islam et une pléthore de cours sur le christianisme.

Si j'ai suivi tant de cours sur l'histoire de l'Islam c'est, en partie parce que j'étais fascinée par son expansion fulgurante entre 634 et 751 de notre ère, quasiment sans violence. À force de taxes et d'impôts rédhibitoires plutôt qu'à coups d'estoc. Je trouvais cette forme de prédication et de manière d'occuper, certes par la force, le territoire, pratiquement rafraîchissante si je comparais avec les pratiques de mes propres ancêtres qui se tapaient dessus au nom d'un Dieu qui n'avait jamais rien demandé de tel.

J'étais aussi intéressée par la relation relativement distante que l'État gardait face à la religion dans cette partie du monde et aussi le nombre de connaissances scientifiques, culturelles qui foisonnaient à Bagdad tandis que l'Europe croupissait dans son Moyen-Âge. Époque durant laquelle l'éducation était clairsemée, les connaissances dans les mains de peu de gens, l'alphabétisation élitiste et la pauvreté galopante.

Pour désennuyer les noblesses européennes, les empêcher de se pourfendre trop vivement, il fut décidé d'aller chasser l'infidèle sur ses propres terres. Au nom de Dieu. Un Dieu d'amour, de pardon, de solidarité et de partage. Mais au nom de qui on justifiait les hordes d'assassinats d'innocents pour des questions de politiques intérieures, si je raccourci un peu le schéma.

Aujourd'hui, je crois que la situation s'est inversée. Nous, Occidentaux, ne vivons plus au Moyen-Âge. Nous avons (encore) accès à l'éducation, nous savons massivement lire et écrire. Nous aimons la recherche, la science, les découvertes technologiques. Notre rapport à Dieu se fait de loin en loin. Mais, une partie du monde musulman semble pris quelque part entre tradition et modernité. Les fous qui nous tombent dessus à coups de kalachnikov et de ceintures explosives se targuent de détruire des centres culturels parce que ceux-ci recèlent, censément, des mensonges, des impiétés.

Aujourd'hui, au nom du même Dieu, ce sont nos terres qui sont menacées, nos innocents qui sont exécutés. Ce Dieu d'amour et de pardon qui donne le droit, par la bouche de certains leaders, de semer la terreur et la désolation.

J'ai peur. Comme beaucoup d'entre nous, je crois. Mais je ne suis pas tentée par les discours protectionnistes. Je n'ai pas envie que la Terre soit parsemée de murs plus hauts et plus longs que nature. Je crois que notre planche de salut c'est la tendresse, l'écoute, la compréhension, autant que faire se puisse.

Et par dessus tout l'éducation sans œillères, celle qui permet les débats et les échanges sains de points de vue.

Celle qui regarde, discute, disserte, mais qui ne tue pas.

Libellés : ,

mercredi, novembre 11, 2015

À petits pas

Ça avait été une drôle de rencontre.

J'étais rentrée un peu chamboulée, quelque part entre l'envers et l'endroit de moi-même. J'avais à la fois le goût de mordre et celui de tendre la main pour apaiser. Je savais bien, au départ qu'il aurait ce genre d'effet sur moi. Ça faisait partie des raisons pour lesquelles je refusais de garder un vrai lien avec lui. Il me hérissait tout en m'attendrissant, tout le temps.

Il avait cette intelligence vive que j'avais toujours appréciée. Ses idées étaient aussi tranchées que l'acier. Les nuances n'avaient jamais fait partie ni de son vocabulaire ni de son être. Je n'avais jamais trop su ce que je représentais pour lui. Si ce n'est un paquets de souvenirs. Mais quels que soient les chemins que je prenais, je le croisais continuellement au tournant. J'avais beau, ne lui porter qu'une attention discrète, me contenter de le saluer au passage, j'avais le sentiment qu'il me collait à la peau. Comme si je ne pouvais vivre ma vie sans qu'il fasse partie du décor.

Je le connaissais depuis ma petite enfance. Nous avions fréquenté les mêmes classes. Nous n'étions pas amis, il me trouvait niaise et ne se gênait pas pour le dire. Je le trouvais imbu et ne m'occupais pas tellement de ce qu'il racontait sur moi. Il me brouillait la coiffure à coup de chardons que ma mère passait des heures à essayer de retirer de ma tête jusqu'à ce que les ciseaux ne deviennent la seule arme possible pour gagner ce type de guerre.

De temps à autres, je me retrouvais seule avec lui. Et il se transformait. Au lieu du bourreau de tous les jours, je voyais apparaître un être fragile qui avait son lot de peine. Un lot plus grand que le mien d'ailleurs. Il avait un grand frère qui était loin d'être un rêve, au sens propre comme au figuré. Un jour, il en rentrant de l'école, sas choses avaient été placées dans le garage, lit compris, parce que son frère voulait une chambre bien à lui. Et leurs parents n'avaient rien dit. Il s'était senti immensément rejeté. Et je m'étais dit que les petites misères qu'il me faisait vivre étaient bien minces en comparaison à celle-ci.

Ce jour-là, il m'avait attendu à la sortie de mon travail. L'air dévasté, plus encore que lors de cet épisode d'enfance. Il m'avait simplement dit qu'il avait besoin de parler. Je l'avais suivi dans un bistro de quartier et il m'avait déboulé toute sa vie. Celle qu'il ne racontait à personne, celle qu'il cachait soigneusement aux réseaux sociaux, qui étaient notre seul lien tangible. Évidemment, durant toute cette conversation, il réussissait à se rendre à la fois sympathique et odieux.

À la fin, quand j'étais sur le point de m'endormir devant ses yeux et qu'il m'eut enfin laissée partir, je lui avais demandé: « Pourquoi tu me dis tout cela, à moi » et il m'avait répondu qu'il n'avait aucune espèce de notion de ce que c'était l'amitié et les confidences échangées, qu'ils s'en était gardé toute sa vie. Mais qu'à force de me lire il s'était dit que moi, j'en avais sans doute une bonne idée.

Le problème, c'est que l'amitié ne s'impose pas, ni l'amour ni l'affection. Ça se conquiert et ça se gagne à tout petits pas.

Libellés :

dimanche, novembre 08, 2015

Le gant

J'avais l'âge de la pomme qui tombe d'elle-même de la branche. Celui lors duquel on se sent assez vieux pour voler de ses propres ailes. Elle, elle était à la fin de ses études universitaires, sur lesquelles j'avais déjà pris du retard. La différence majeure entre nous c'était qu'elle était déjà une femme, alors que je me décrivais comme un être humain que l'on ne pouvait qualifier ni d'adolescente, ni de femme.

Si mes souvenirs sont exacts, je l'ai aimée à la seconde un. Elle fut une de mes premières amies lorsque j'ai choisi de quitter Montréal pour Sherbrooke et que je n'y connaissais personne. J'ai même habité son appartement, un été durant lequel son amoureux était parti en stage dans l'ouest canadien. Elle me charmait de ses commentaires acerbes et surtout de par son honnêteté sans aucune espèce de compromis sur quoique ce soit. Ce qui est en soit, une arme à double tranchant.

À l'époque ou nous habitions ensemble, ma sœur était venue me visiter. Et nous l'avions égarée dans un centre commercial. Je ne sais pas si l'une ou l'autre s'en rappelle, mais moi si. À toutes les fois où je me remémore mes premières années sherbrookoises, je ne peux m'empêcher de me souvenir du moment où j'ai été séparée de ma sœur, qui était sous ma garde. Comme maman ne semble n'avoir aucun souvenir de l'incident, je présume que ma sœur a omis de raconter ce petit bout de son séjour, parce que je ne pouvais pas, sciemment, me dénoncer.

Puis, la vie a fait en sorte que mon cheminement et celui de cette amie se sont singulièrement éloignés; elle est mère et épouse de nos jours, ce qui n'est pas mon cas. Nos réalités sont à des zéniths opposés. Et nous n'avons pas pas entretenu ce lien. Surtout qu'elle m'avait très clairement fait comprendre qu'il serait illusoire de penser qui serait possible de rétablir un pont au dessus de ces vies qui sont à ce point dissemblables. Évidemment, c'était honnête, vrai et brut. Tout à fait son genre. Un peu blessant, certes, mais plutôt que répondre l'entendu, elle m'avait annoncé une évidence.

Ses pas ont fini par croiser ceux de ma mère. Elles se sont retrouvées dans les mêmes cercles de périnatalité. J'ai ainsi un peu de nouvelles, elle doit en prendre aussi. Sans que nous cherchions à aller plus loin que cet intérêt, un rien plus développé que celui de la simple politesse. Avec le temps, elle est devenue marraine d'allaitement, auprès d'autres femmes et aujourd'hui elle étudie pour devenir sage-femme. Un peu sur le tard, mais à l'aboutissement du sentier de toute une vie, il me semble.

Il y a des hasards dans l'existence qui font croire à l'incroyable. Cette nouvelle vie l'amènera, peut-être, à l'accouchement de ma sœur puisqu'elle est en stage avec la sage-femme de celle-ci. Cette seule femme qui fut mon amie, dont les choix l'ont rapprochée de ma mère pour finalement atteindre ma sœur.

C'était une femme que j'avais rencontré à un moment charnière de ma vie, ce moment où je commençais à devenir une femme. Ce genre de personne est presque impossible à oublier surtout quand les aléas de la vie font en sorte qu'elle réapparaît à un moment charnière de celle de ma sœur qui débutera sous peu sa plus grande aventure.

Je crois que je savais bien jeune aimer les personnes qui m'allaient comme un gant. Et que je n'ai pas changé, du moins sous cet aspect-là.

Libellés :

mercredi, novembre 04, 2015

Un mouton (presque) galeux

C'était une histoire d'une banalité absolue de cette banlieue du nord de Montréal. Une bonne famille haïtienne, bien éduquée, aimante, rieuse qui portait en son sein un mouton en voie de devenir galeux. La difficulté venait du fait que les modèles masculins les plus nombreux dans son secteur avaient la richesse facile et paresseuse de ceux qui choisissent la petite, puis, souvent, la grande criminalité.

Anthony, avait toujours été, aux yeux de sa famille, le plus bel enfant de la fratrie, le plus brillant, celui à qui tout réussissait sans qu'il ait besoin de faire un effort quelconque. À l'école primaire, il était toujours parmi les meilleurs en classe, comme dans les sports, et n'avait jamais à chercher bien longtemps l'attention pour se faire des amis. Il était le petit roi de sa cour, ses yeux noirs, pétillants, et son sourire désarmant lui assuraient un succès sans borne.

Mais Anthony avait frappé un mur au début de l'adolescence. Son corps avait commencé à lui faire défaut en grandissant n'importe comment, le rendant un peu plus gauche qu'auparavant. Les succès sportifs s'étaient fait plus mitigés et il arborais désormais ce visage ingrat propre aux garçons qui sont en pleine poussée de croissance. Comme il n'avait pas l'habitude de faire rire de lui, de ne pas obtenir tout ce qu'il voulait à coup d’œillades malicieuses, il se sentait passablement désemparé.

Dans les parcs et la cours d'école, il voyait d'autres jeunes prendre de l'importance. Des jeunes qui avaient plus d'argent dans leurs poches que ce que son père gagnait dans un mois. Des gars qui n'étaient pas gentils du tout et qui faisaient peur à tout le monde, mais qui étaient immensément respectés. Ils claironnaient à qui voulaient l'entendre qu'ils se couchaient à pas d'heures et ne se levaient jamais avant le repas du midi. La belle vie quoi.

Anthony considérait que la vie était diablement injuste. Lui devait se lever tous les matins, histoire de veto maternel qui le tirait du lit sans autre forme de procès parce que dormir toute la journée n'était pas une option. Il en était à son troisième emploi perdu parce qu'il avait omis de se présenter à un quart de travail. Pour un salaire de misère en plus.

Alors il portait son sentiment d'injustice et son mécontentement en étendard et laissait couler tout son fiel sur son entourage. Claquant toutes les portes sur son chemin, se fâchant avec père, mère, frères et sœurs. Se rapprochant, évidemment, de ceux qu'il admirait, faisant frissonner ses proches qui savaient de bien trop près comment ce genre d'histoire pouvait tourner.

Sa famille ne su jamais ce qui l'avait remis sur le droit chemin. Une histoire de filles trop sordide pour être racontée. Mais il s'était dit que si quoique ce soit du même genre arrivait à ses petites sœurs, il ne s'en remettrait jamais. Il avait donc repris le collier pour terminer son année scolaire avec assez de succès pour être admis au cécep.

Des années plus tard, il me disait avec fierté qu'il était bien heureux d'avoir laissé toutes ces histoires pas très catholiques derrière lui et je lui répondais qu'elles n'étaient même pas très vaudous.

Ce qui était tout dire.

Libellés :

dimanche, novembre 01, 2015

Halloween

Dans un autobus pratiquement vide, un 31 octobre, un clown squelettique est assis devant moi. Pour faire rire sa compagne, il tente de m'intimider. Son maquillage et terriblement réussi. Son sourire est lugubre, sauf lorsqu'il sourit pour vrai. Je ne sais pas pourquoi je suis sa cible, peut-être simplement parce que je ne suis pas déguisée et seule. Il prend des pauses envahissantes et étranges, n'ayant de cesse de me fixer jusqu'à ce que la fille à ses côtés lui disent vertement de laisser la pauvre femme (moi) tranquille parce ça devient gênant. En fait, il n'a absolument pas réussi à me déranger, je suis bien à l'abri entre les écouteurs de mon baladeur, le nez plongé dans un livre.

Au coin d'une rue d'un quartier résidentiel, un Père-Noël (adulte) à la peau basanée et à l'accent hispanique, monte en compagnie d'un Olaf, d'un Winnie l'ourson et d'un Tigrou qui doivent avoir entre huit et trois ans. La grande Olaf s'assoie à côté de moi et entreprend de regarder le contenu de sa récolte sans déballer un seul bonbon. Je sens, sans vraiment regarder ce qu'elle fait, ce qui lui plaît ou non dans ce qu'elle découvre. Les deux autres sont assis de l'autre côté de l'allée, de part et d'autre du clown qui ne semble pas du tout les effrayer. Le Papa-Noël est debout et surveille avec attention sa couvée, surtout le petit tigre qui donne l'impression de mourir d'envie de tout déballer et avaler immédiatement.

Deux ou trois arrêts plus tard, le bus se remplit d'un coup. L'attention paternelle en prend pour son rhume : les enfants sont maintenant singulièrement éparpillés, malgré le fait qu'ils n'aient pas bougé d'un pouce. Comme il est juste devant moi, je le sens tendu. Je vois sa tête tourner sans cesse dans toutes les directions, comme pour s'assurer, à chaque seconde, que tout son monde est en sécurité.

Et puis un homme vieillissant, encombré de sacs et de valises se place juste devant Winnie, empêchant désormais son père de la voir. L'homme est seul et parle sans arrêt. Fort. Très fort. Son monologue est décousu. Il y est question de bottes et de destination. Plus les minutes passent, plus il s'agite et s'affaisse sur lui-même. Se penchant presque sur la petite Winnie qui tente vaillamment de garder un air impassible, mais je vois, à son regard qu'elle n'est pas du tout rassurée. Au bout de quelques mètres, elle se met à interpeller son père de sa petite voix un peu paniquée. Mais l'autobus est trop bondé pour que le papa puisse agir rapidement. De toute manière, l'homme descend à l'arrêt suivant avec une bonne moitié des autres passagers. Le clown et sa compagne compris.

Profitant de ce vacuum impromptu, le Père-Noël a regroupé ses petits lutins, sur la même banquette, profitant de l'occasion pour asseoir une Winnie ébranlée sur ses genoux. Un petit mouvement de sa tête m'a fait comprendre à quel point elle était soulagée d'être désormais bien protégée.

Je sais, depuis longtemps, que les soirs d'Halloween regorgent de personnages étranges. Et il m'apparaît désormais évident que les plus effrayants ne sont pas nécessairement ceux qui choisissent de l'être.

Libellés : ,