Des fois, je me dis que
je n'aurais peut-être pas dû venir habiter ici.
Pas que je n'y sois pas
bien. Non, c'est juste que...
D'abord il y a la chatte.
Je n'ai jamais trop bien su comment me comporter avec les chats. Je
ne les comprends pas. Me semble que je me trompe toujours dans
l'interprétation de leurs signaux. Quand je pense qu'ils veulent
jouer, ils me mordent et quand je crois qu'ils sont d'humeur câline
et que c'est le temps de les coller, ils me laissent toujours en
plan, s'éloignant dans toute leur féline dignité. Lorsque j'habite
avec un chat, j'ai l'impression d'habiter chez
le chat. Ce qui fait que même mon espace devient comme sa chose.
C'est embêtant.
Et
puis j'habite avec un couple. Je le sais depuis le départ. Mais bon,
ça implique toutes sortes de choses auxquelles je ne suis pas
habitué.
Évidemment,
il a fallut que je tombe amoureux d'Elle. Mais elle est amoureuse de
Lui. Compliqué un peu, comme situation. Elle le sait, je crois.
Peut-être que je ne suis pas assez subtil.
Je
réfléchis donc, ce matin, à la situation dans laquelle je me
trouve.
Je me
fais le plus discret possible. Mais ce n'est pas toujours évident.
Je les entends rire et dire toutes sortes de niaiseries auxquelles je
ne comprends pas grand chose. Je fais semblant de dormir, pour qu'ils
ne me portent pas attention. Généralement, ça fonctionne assez
bien. J'ai besoin de penser calmement. Par contre, je sais très bien
que je suis censé aller courir avec Lui bientôt. On a une entente
sur ce genre de choses. Sauf qu'aujourd'hui, ça ne me dit pas du tout
de respecter cette entente, j'aimerais beaucoup mieux rester, au
chaud, dans la maison, avec Elle.
Pour
commencer, il fait froid dehors, ensuite, on fini toujours par courir
beaucoup plus que le 5 km sur lequel on s'était entendus.
Mais Lui, il est un peu hyperactif et quand il commence à bouger,
c'est difficile de l'arrêter. Il a déjà son pantalon mou, et je le
vois enfiler ses souliers de course.
Je
n'ai pas envie d'y aller.
Je me
tasse sur moi-même, en espérant qu'il oublie que je suis-là. Mais
je suis trahi par mon propre mouvement; j'ai fait du bruit. Je fais
semblant que c'est un mouvement du sommeil, et là, c'est ma voix qui
se fait entendre. Crotte. Ils savent bien tous les deux que je ne
dors pas vraiment. Lui me regarde droit dans les yeux, que je garde à
moitié clos, et Elle rit. De moi, peut-être. Misère!
J'essaie
de disparaître sous le divan, le faisant tanguer de tous les côtés
dans ma tentative. Elle me pousse vers la porte,
la traîtresse, tandis que Lui me tend la laisse.
Parce
que, vous comprenez, je ne suis qu'un gros chien blond, un peu gâté.
Et ma maîtresse trouve que j'ai un maudit beau talent de comédien.
C'est
pour ça qu'ils me gardent, je pense.
Libellés : Sur la frontière du réel